Publié le 12 Apr 2018 - 16:21
PENURIE DE PAPIER JOURNAL

Une vie aléatoire 

 

Le stress, ces derniers jours, semble élire domicile dans certains organes de presse. Tous les jours, les journalistes se décarcassent comme de beaux diables pour donner aux lecteurs de bonnes informations. Mais à cause d’une pénurie sans précédent de papier journal, les parutions relèvent dans certains cas de l’exploit.

 

Un moral en berne. Tant d’efforts sacrifiés. Depuis quelques jours, le climat est plus que morose sur le ciel déjà plein de nuages de la presse sénégalaise, particulièrement celle écrite. Après l’épisode des fermetures, celui des retards de salaires et des licenciements en cascade, c’est au tour d’une ‘’pénurie’’ de papiers rarement enregistrée qui empêche certains patrons et journalistes de dormir. Alors que OLD se plaint du format du papier de son journal ‘’EnQuête’’, tantôt d’une blancheur écarlate, tantôt aux couleurs jaunes du Parti démocratique sénégalais, parfois même un pur ‘’njaxass’’ (mélange) de jaune et de blanc, Rassoul Guèye de ‘’Vox Populi’’, lui, s’en fout de la couleur et du format de papier. Comme dirait l’autre, chez les aveugles, être borgne est un moindre mal. C’est du moins ce que semble reconnaître Rassoul. Il dit : ‘’C’est vrai que nous ne sommes habitués ni à ce type de papier ni à cette couleur, mais l’essentiel pour moi est que le journal paraisse. Cela fait trois jours que nous ne paraissons pas pour des raisons indépendantes de notre volonté. C’est honteux pour un pays comme le Sénégal. L’information, c’est capitale et c’est un droit élémentaire pour les citoyens. On ne peut accepter qu’il y ait des journaux qui ne paraissent pas juste à cause d’un problème de papier.’’

Et le mal gagne de l’ampleur. Dans certains organes, l’ambiance bon enfant a fini de céder sa place à l’inquiétude, le stress et l’angoisse. Même si tout semble se passer comme sur des roulettes. Certains patrons sont tendus. Quelques journalistes, éprouvés. Ils travaillent comme des forcenés, mais ne savent même pas avec certitude que le journal, objet de leur sueur, sortira le lendemain. Pourtant, comme à leur habitude, les reporters sont sur le terrain : matin, midi et soir, parfois suant à grosses gouttes dans leur quête permanente de l’information. Après avoir rédigé leur article avec beaucoup de peine, ils rentrent tranquillement chez eux, espérant trouver le lendemain le produit de leur dur labeur. Grande est parfois leur surprise, selon M. Guèye, quand il découvre que le journal n’est pas sorti. ‘’Cela fait mal. On se rend compte qu’on a perdu du temps en fait. En écrivant ces papiers, on donne le meilleur de nous-mêmes, pour nous faire plaisir, mais aussi pour satisfaire le lecteur envers qui on a une obligation. Cela fait mal de voir que tout ça n’a servi à rien puisque le journal n’est pas sorti. C’est vraiment très difficile’’, regrette le reporter.

Et ce qui naguère était le principe tend à devenir l’exception. La parution qui était une banalité devient parfois extraordinaire pour certains organes. Des journaux qui paraissaient au quotidien sortent maintenant par intermittence. Certains qui ont encore la chance de sortir tous les jours le font avec  un papier parfois inhabituel. Pour Rassoul, c’est là une manifestation éloquente de la situation difficile que traverse la presse. ‘’On doit tout faire pour y remédier. Il faut essayer de trouver des alternatives si c’est un problème de fourniture qui se pose. Un seul opérateur ne peut avoir le monopole sur un tel marché. Pourquoi ne pas envisager de fabriquer du papier au Sénégal ? La presse d’un pays ne peut pas dépendre des aléas du marché. C’est dangereux. La presse est vraiment à genoux’’.

En attendant qu’elle se relève, la galère gagne du terrain. Vox Populi est loin d’être tout seul. Mardi au journal Le Témoin, c’est un jour comme tous les autres. Du moins en apparence. Comme à son habitude, Bassirou Dieng a quitté son domicile tôt le matin pour aller au bureau. Comme à son habitude, il a fait son travail : collecter et traiter l’information, écrire son article. A l’arrivée, vers les coups de minuit, son boss, Mamadou Omar Ndiaye,  apporte la triste nouvelle : ‘’Il y a un problème de papier, le journal ne pourra pas sortir’’. Bassirou : ‘’C’est vraiment déplorable, mais c’est indépendant de la volonté de l’entreprise. Moi, j’ai travaillé sur l’Apr. J’ai travaillé également sur un autre dossier. On se décarcasse pour avoir un bon journal et au dernier moment, on apprend que le journal ne sortira pas ; c’est frustrant, mais on n’y peut rien.’’ Ainsi donc, les adeptes de ce journal ont été sevrés hier, tout comme lundi dernier. Pour le journaliste Dieng, la situation est tout simplement inquiétante. ‘’C’est un vrai casse-tête. Il faut vraiment tirer sur la sonnette. Il faut en parler pour que les lecteurs comprennent que s’ils ne voient pas un journal, c’est à cause du manque de papiers. Je ne sais pas où se situe le problème, mais il faut vite trouver des solutions. Surtout qu’on est à quelques mois de l’élection présidentielle.’’

‘’Qu’est-ce qui se passe ?’’

Voilà une question qui taraude les esprits dans le milieu de la presse. Les lecteurs aussi s’interrogent. Bass estime qu’il y a une ‘’coïncidence troublante’’ entre cette pénurie et l’approche des élections. Il déclare : ‘’Personnellement, je me dis qu’il y a anguille sous roche. Est-ce au niveau des imprimeries ou de l’Etat ? On ne sait pas. Il faut situer les responsabilités. Il faut que tout le monde s’implique pour que ce problème soit résolu au plus vite. Il y va de l’intérêt de la population.’’ Joint au téléphone, le secrétaire général du Synpics, Ibrahima Khaliloulah Ndiaye, dégage la responsabilité de son syndicat dans cette affaire. ‘’Cela ne touche pas directement aux intérêts matériels et moraux des travailleurs, le Synpics ne peut donc se prononcer là-dessus. Il faut voir avec les patrons de presse’’, conseille-t-il d’un air courtois.

MOR AMAR

 

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