Publié le 12 Apr 2018 - 20:26
MAMADOU IBRA KANE (PRESIDENT DU CDEPS)

‘’Il y a un renchérissement du prix du papier journal’’

 

Le Président du Conseil des éditeurs et diffuseurs de la presse (Cdeps) revient dans cet entretien sur les tenants et aboutissants de la pénurie de papier journal au Sénégal.

 

Il y a actuellement une tension sur le marché du papier. Certains journaux n’arrivent même plus à paraître tous les jours. Quelles en sont les raisons ?

Il y a une raréfaction du papier journal sur le marché international. La raison est que plusieurs usines ont délaissé ce type de papier. Elles se sont reconverties dans d’autres formats plus rentables comme le carton. Au même moment, des entreprises ont été fermées en Chine. Ce qui fait que la demande chinoise vient s’ajouter sur le marché. Comme nous sommes dans une économie libérale, si un produit se raréfie, son prix augmente. C’est ce qui s’est passé et le prix du papier journal a connu une hausse extraordinaire d’environ 50%. Ça, c’est au niveau mondial. Au niveau interne, si on veut être en mesure de faire face à ce genre de situation, il faut s’approvisionner au moins pour trois mois. Cela demande beaucoup d’argent. Les structures qui ne sont pas préparées sont exposées à ces genres de situation. Malheureusement, nous avons une presse presque Baol Baol. Le papier est un produit qu’on n’achète pas comme ça à la boutique. Il faut un planning d’approvisionnement. Et si vous n’avez pas l’argent, vous ne pouvez le faire. C’est ce manque de professionnalisme qui fait que certains organes en sont à des situations pareilles. Au niveau d’Africome, nous n’avons aucun souci.

Est-ce qu’on peut avoir une idée sur la demande du Sénégal en papier journal et le nombre d’importateurs sur le marché ?

Les besoins, pour une presse sénégalaise évaluée à environ 250 000 exemplaires par jour, tournent autour de 3 000 tonnes. Avec le contexte préélectoral, ils vont augmenter. Avant, j’importais la totalité des besoins du Sénégal. Maintenant, d’autres sont arrivés sur le marché. Avec la pénurie, des gens sont revenus me demander du papier mais je ne peux leur en fournir. La vie, ce n’est pas un jeu, c’est un combat. Il y a quelques petits importateurs qui évoluent dans le secteur, mais les grands ne dépassent pas quatre (4).

Ce renchérissement du prix ne risque-t-il pas à terme d’avoir un impact négatif sur l’avenir de la presse écrite ?

Voilà le véritable problème. Nous avons une presse dont la valeur faciale est à 100 francs. C’est ce qui fait que le Sénégal est le premier tirage de la presse francophone, en Afrique subsaharienne. Nous sommes loin devant des pays même plus puissants que nous économiquement. Par exemple, le Cameroun et la Côte d’ivoire. Je ne parle même pas des pays comme le Bénin… C’est ce modèle de presse à 100 francs qui est menacé. Sinon, ce n’est pas demain sa disparition, mais il faut anticiper et s’adapter à la nouvelle situation. Avec l’augmentation de 25 à 30%, le journal risque d’être plus cher que son prix de vente. Certains ne pourront pas le supporter. D’autres tenteront de trouver des compensations avec la publicité. Avant l’augmentation au mois de janvier dernier, la presse pouvait tenir pour 5 à 10 ans. Mais avec le nouveau contexte, beaucoup de journaux ne pourront pas continuer à ce prix. Certains journaux risquent de disparaître pendant cette période. Seuls les grands vont rester.

Y-t-il des solutions face à ce péril et que peut-on espérer avec le nouveau Code de la presse ?

Dans n’importe quelle activité industrielle ou commerciale, tout est dans la maîtrise du coût.  Il faut une réduction drastique des charges pour assurer l’équilibre. Dans ce cas de figure, la solution ne peut être prévue dans le nouveau Code de la presse. Ce dernier a tout de même créé un Fonds d’appui et de développement de la presse. Celle-ci est une sorte de banque. Le crédit au Sénégal coûte entre 12 et 14%. Ce fonds permettra de donner du crédit à des taux moindres, variant par exemple entre 1 et 5%. Ainsi, une entreprise saine qui présente un projet bancable pourra être financée. Ce qui pourrait être fait par l’Etat, c’est de se dire qu’il faut que la majorité des Sénégalais puissent avoir accès au journal. Pour ce faire, il peut subventionner l’intrant qui représente 80% dans la fabrication d’un journal, en vue de renforcer la démocratie. D’autant plus qu’en principe, l’aide à la presse n’existe plus. Elle n’est pas prévue dans le cadre du nouveau code de la presse.

Que pensez-vous de l’argument selon lequel il y a une main invisible qui est à la base de cette règlementation ?

(Il s’emporte). Ça c’est totalement faux ! Parfois, les gens sont irresponsables. Au lieu d’assumer les conséquences de leurs actes, ils cherchent des bouc-émissaires. Moi, j’ai du papier, mais je ne peux le vendre à des gens autres que mes clients. Car il y a un renchérissement du coût.

MOR AMAR

 

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