Publié le 6 Apr 2024 - 13:21
NOUVELLE IDÉOLOGIE DU NOUVEAU RÉGIME

Le panafricanisme social à l'épreuve de la realpolitik économique

 

L'idéologie du nouveau régime basé sur le panafricanisme marque un retour aux sources des idées de Cheikh Anta Diop qui militait pour un État fédéral africain. Ainsi, le panafricaniste de gauche prône un idéal d'émancipation totale des peuples africains et une économie autocentrée. Cette situation risque de se heurter à la realpolitik des organismes internationaux basée sur la défense des intérêts des puissances étrangères. 

 

Le nouveau credo du régime actuel, qui est le panafricanisme, a longtemps été l’arlésienne des politiciens africains qui, pendant longtemps, rêvaient des États unis d’Afrique. Le panafricanisme peut se définir comme un mouvement qui entend mettre en place les politiques et les mécanismes de l’unité africaine et des personnes d’afrodescendance, indépendamment de leurs origines ethniques, leurs appartenances religieuses ou leurs apparences physiques. Cet idéal, qui s’est fortement développé après la période postindépendance, a connu des figures de proue comme le président ghanéen Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Ahmed Sékou Touré de Guinée. Cette vision d’un gouvernement fédéral africain devait être matérialisée par l’Organisation de l’Union africaine (OUA) dans un contexte de Guerre froide entre le bloc occidental et le bloc communiste.

L’Union africaine qui va succéder à l’OUA en 2002, sera aussi confrontée aux réflexes nationalistes qui laisseraient peu de place au panafricanisme. Cette idéologie sera considérée comme le chantre d’une croyance mythique capable de faire sortir l’Afrique de l’ornière face aux coups de boutoir de la mondialisation et du néo-colonialisme.  Son objectif est la réalisation d'une organisation politique intégrée de toutes les nations et les peuples d'Afrique.

Selon Amadou Moctar Ann, enseignant-chercheur en sciences politiques et analyste pour des questions de sécurité et de défense, ‘’le panafricanisme de gauche prône un idéal d'émancipation totale des peuples africains, à la fois sur les plans politique, économique, social et culturel.  Sur le plan politique, ce courant milite pour l'avènement d'États-nations africains véritablement souverains et indépendants des anciennes puissances coloniales. Il rejette ainsi le néo-colonialisme sous toutes ses formes et appelle à une refonte des institutions internationales jugées défavorables aux intérêts du continent’’.

Poursuivant son propos, l’analyste indique que les partisans de cette idéologie défendent un développement autocentré, débarrassé des diktats des institutions financières occidentales.

Sur le plan économique, le panafricanisme de gauche prône une véritable industrialisation, une valorisation des ressources naturelles africaines et une intégration économique régionale approfondie, a-t-il fait savoir dans une contribution signée dans le journal ‘’EnQuête’’.

Sur le plan social, le panafricanisme de gauche se veut le chantre d'un profond rééquilibrage des rapports de force, en luttant contre les inégalités criantes héritées de la traite négrière et de la colonisation, soutient l’expert en sciences politiques.

Le processus de démocratisation entamée dans les années 90 en Afrique a relancé la formation de partis politiques sur fond de tribalisme et d’ethnicisme. Une situation qui, dans des pays comme le Rwanda, a vu la multiplication de partis identitaires hutus qui va accélérer le génocide des Tutsis en avril 1994. Dans d’autres pays, elle sera à l’origine de plusieurs guerres civiles comme au Soudan, au Tchad et dans la région du Sahel, avec la rébellion touareg.

De son côté, Abdou Fall, ancien responsable du Rassemblement national démocratique (RND), le parti panafricaniste fondé par le professeur Cheikh Anta Diop, estime que ‘’ce projet panafricain doit transcender les affiliations partisanes pour constituer le socle d'un corps de doctrine au service de l’émancipation du continent qui sera collective ou aura bien de la peine à se réaliser’’, a indiqué l’ancien ministre de la Santé sous Wade.

Mais il s’empresse d’ajouter  que le panafricanisme peut conduire à l’émergence du continent. ‘’C’est une Afrique unie qui se donnera la chance et les moyens de sortir de la marginalité pour jouer un rôle de premier plan dans la gestion et la marche des affaires du monde à côté de tous les géants qui tirent leur puissance de leur constitution en entités fédérées telles que la Chine, l'inde, la Russie, le Brésil, etc.’’, soutient le président du Conseil d’administration de l’Apix.

La Zlecaf comme perspective d’une économie africaine intégrée 

Cette fragmentation de l’espace politique va entraîner un affaiblissement de la cause du panafricanisme. Mais le développement de la mondialisation va rapidement rattraper les économies africaines qui souffrent de l’ouverture des marchés et de la montée en puissance des blocs économiques et politiques comme l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), l’Union européenne (UE) et l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean). Les tentatives de création du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad) et de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) sont des réponses africaines à la mondialisation qui a détruit des tissus économiques locaux au profit des grandes puissances et des multinationales. 

Pour l’ancien responsable libéral Abdou Fall, ‘’l'émergence de la Zlecaf doit pouvoir être, sous ce rapport, le catalyseur d'une dynamique d'entente de nos États aux plans politique et économique.  Ceci, dans la perspective d'une compétitivité dont elle a tous les moyens pour tirer le meilleur profit du marché attractif de la Zlecaf qu'elle aura elle-même créée.’’

Cette nouvelle quête par une intégration continentale doit permettre de stimuler le commerce intra-africain de 52,3 %, d'ici 2025 et de réduire les droits de douane de 90 % des marchandises au plus tard en 2030 et de 7 % en 2035.  La Zlecaf doit devenir la plus grande zone de libre-échange au monde avec une population de 1,3 milliard d’habitants et un produit intérieur brut combiné de 3,4 milliards de dollars.  

Le panafricanisme face au défi de la mondialisation et de la libération des échanges

Mais la volonté de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko de mettre en avant cette politique risque de se heurter à la réalité des économies africaines avec une balance des paiements souvent déficitaires. Le pays, qui connaît un fort taux d’endettement avec une dette publique à 67 % du PIB en 2024, pourrait être dans le collimateur des institutions de Bretton Woods comme le Fonds monétaire international (FMI) malgré les revenus issus de l’exploitation du pétrole et du gaz. Une situation qui risque de mettre en place la volonté de souverainisme et d’un développement autocentré qui doit s’accompagner de vastes plans d’investissement dans le secteur primaire et l’édification de grands pôles industriels.

Déjà, le Sénégal a déjà entamé le processus de réduction des subventions dans le domaine énergétique. Une mesure qui risque d’être en porte-à-faux avec les promesses du candidat Diomaye Faye de lutter contre l’inflation et de réduire le coût de la vie. La rationalisation des financements publics et la suppression de plusieurs institutions jugées budgétivores comme le HCCT (Haut conseil des collectivités territoriales) le Cese (Conseil économique, social et environnemental), le HCDS (Haut conseil du dialogue social) devront permettre à économiser des fonds considérables qui peuvent être affectés à des programmes et des services qui répondent directement aux besoins de la population. Néanmoins, le nouveau pouvoir sénégalais, qui dépend aussi énormément des investissements directs étrangers, devra aussi modérer ses relents souverainistes et même nationalistes, de peur d’inquiéter les partenaires étrangers.

Dans son premier discours, Bassirou Diomaye Faye a indiqué que le Sénégal va respecter tous ses engagements internationaux, un moyen de rassurer les investissements étrangers.

Par ailleurs, la promotion de l’emploi des jeunes, qui est au cœur des préoccupations du nouveau pouvoir, nécessite une plus grande implication des bailleurs de fonds étrangers.  La faiblesse du secteur privé sénégalais pourrait contraindre Bassirou Diomaye Faye à faire des concessions économiques et financières aux intérêts étrangers. 

En outre, la volonté de renégocier les contrats gaziers et de pêche pourrait se heurter à l'hostilité des grandes puissances comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine. Une situation qui pourrait contraindre le nouveau régime à faire des compromis dans la mise en œuvre de ses politiques économiques souverainistes. Surtout que les accords de financement avec les bailleurs de fonds concernant les projets liés au Plan Sénégal émergent (PSE) nécessitent aussi un certain cadre de dialogue avec les intérêts occidentaux. 

Mamadou Makhfouse NGOM

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