Publié le 29 May 2018 - 01:37
ANIMATION DES CONFERENCES RELIGIEUSES

Pourquoi les prêcheuses sont ignorées

 

Ramadan rime avec conférences religieuses, au Sénégal. Tout le monde en organise, surtout les femmes. Mais elles portent très souvent leurs choix sur des prêcheurs et non des prêcheuses. Pourtant, il y en a de plus en plus dans nos médias. Pour dire que si les invitations se font suivant la notoriété des uns et des autres, les femmes ont leur cote de notoriété. Pourquoi alors ne sont-elles pas invitées à animer les conférences VIP ? EnQuête pose le débat.

 

Il fut un moment où, à la radio comme à la télé, la religion était l’affaire des hommes. Il n’y avait que des prêcheurs. Beaucoup considéraient alors que ce domaine ne pouvait être nullement réservé aux femmes. Cela reposait, disaient-ils, sur un principe islamique. Lequel voudrait que les femmes n’interviennent pas devant de grands publics. Seulement, ce principe ne serait qu’une mauvaise interprétation des textes sacrés. En effet, il serait permis aux femmes d’enseigner les recommandations du prophète Mouhamad (Psl) dans les règles de l’art. Au Sénégal, depuis quelque temps, des prêcheuses occupent les plateaux de télévision durant les mois de Ramadan. Elles sont en train de bousculer la hiérarchie. Elles occupent les premières places dans les médias. Elles sont  bien suivies et bien appréciées par les téléspectateurs. Seulement, leur aura semble encore se limiter à la télévision.

Pendant le mois de ramadan, nombreuses sont les conférences religieuses qui sont organisées. Ce sont généralement des femmes qui en sont les maîtresses d’œuvre. La présidente de l’association féminine pour le bien-être social de la radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS), Khady Fall Coulibaly, le confirme d’ailleurs. Toutefois, ces organisatrices portent très souvent leurs choix sur des hommes pour l’animation de leurs rencontres. Même si des dames sont invitées, elles ne sont pas au premier plan. Elles ne sont là que pour 15 à 30 minutes de parole. La part belle est donnée à leurs collègues hommes. Ce qui semble insolite, à la limite incompréhensible eu égard à la légendaire solidarité féminine.

‘’Nous n’avons aucun problème avec les prêcheuses’’

Cependant, cela s’explique. ‘’La plupart du temps, ce sont les hommes que nous choisissons pour qu’ils animent nos conférences religieuses, parce que c’est la tradition qui nous l’impose. Ils étaient les seuls à s’illustrer dans ce domaine. Ils ont pu ainsi asseoir une certaine notoriété. Ils sont bien suivis. Un prêcheur comme Iran Ndao est toujours sollicité, parce qu’il draine du monde’’, explique Khady Fall Coulibaly. Aussi, défend-elle, ‘’le choix d’un conférencier doit être culturel et religieux, parce que nous avons nos réalités. On nous dit souvent que la voix de la femme ne doit pas être entendue en public’’. Même si elle reconnaît que de plus en plus les femmes sont également très demandées. Elle aussi pense que cette tradition qui promeut plus l’homme que la femme est la base de ce problème. Elle et ses amies de l’association qu’elle dirige souhaitent participer au changement de cette donne. C’est ainsi que, l’année dernière, elles ont porté leur choix sur une dame pour qu’elle soit leur hôte. Une conférencière peu connue, mais qui quand même maîtrisait bien son sujet.  

Que cela soit un homme ou une femme qui véhicule les enseignements du Prophète n’a pas trop d’importance. Ainsi pense la présidente des femmes du Port autonome de Dakar, Khary Badiane Ndiaye. Pour elle, tout dépend de l’agenda des uns et des autres. ‘’Nous n’avons aucun problème avec les femmes prêcheuses. Souvent, ce sont les dates qui posent problème, mais nous adorons les femmes’’, justifie-t-elle. D’après Khary Badiane Ndiaye, elle aurait préféré une femme à la place d’un homme pour animer leur conférence religieuse. ‘’Notre association regroupe des femmes. Donc, nous aimerions bien prendre des prêcheuses pour qu’elles animent nos conférences. Mais avec le mois de ramadan, c’est très difficile de trouver un prêcheur ou même une prêcheuse. Cela fait juste deux ans que nous organisons une conférence religieuse et nous portons notre choix sur Iran Ndao, pour le moment’’, renseigne la présidente.

‘’Certaines femmes demandent des cachets élevés’’

Toutefois, il y a une réelle prédilection pour les hommes. Cette présidente d’une grande association de femmes de la place, qui a requis l’anonymat, s’en explique. ‘’Pour nos conférences religieuses durant le ramadan, nous préférons les hommes parce qu’avec les femmes, c’est un peu compliqué. Elles s’attardent trop sur les détails. En plus, une fois sur le présidium, au lieu de débattre sur les thèmes, elles passent tout leur temps à faire du ‘’sambay mbayaan ou des allusions personnelles, alors que ce n’est ni le moment ni l’occasion. Elles s’habillent aussi ou se maquillent de manière extravagante’’, dit-elle. La plupart d’entre elles, ajoute-t-elle, réclament des cachets trop élevés alors que cela ne devrait pas être le cas.

Animatrice à la RTS, Ya Aïcha Diagne n’est pas de celles-là. ‘’Depuis bientôt 25 ans, j’anime des conférences, que ce soit pendant le mois de Ramadan ou non, et je n’ai jamais demandé un sou et je ne le ferai jamais’’, assure-t-elle. Comme Iran Ndao, elle ne réclame aucun pécule. ‘’Même pour les chroniques que je fais à la RTS, on ne m’a jamais payé un sou. Je travaille pour Dieu. Nous n’avons pas non plus besoin de faire des allusions personnelles, lors des conférences. Nous avons des messages à transmettre et pas plus’’, répond-elle.

Mais tout le monde n’est pas aussi désintéressé, selon une de nos interlocutrices. ‘’Nous avons une fois porté notre choix sur une femme pour animer une conférence, mais après, on a eu quelques problèmes avec elle. Depuis lors, nous portons notre choix sur les hommes qui sont beaucoup plus raisonnables’’, dit-elle. Embouchant la même trompette, cette femme qui a l’habitude d’organiser des conférences religieuses et qui assiste à beaucoup de rencontres du même genre durant le mois béni indexe certaines prêcheuses.  ‘’Parfois, ce sont des femmes qui prêtent beaucoup plus attention à leur personne et à  leur mise qu’au public venu les écouter. Au lieu de venir parler du thème et rentrer, elles veulent attirer toute l’attention sur elles. À un certain moment, les gens prêtent plus attention à la personne qu’à ce qu’elle dit’’, ajoute notre interlocutrice. Ce qui fait, d’après elle, qu’il est beaucoup plus simple de choisir un homme qui vient faire sa conférence sans bruit ni protocole, contrairement à certaines femmes qui prennent tout leur temps avant de se présenter au lieu de la conférence.

Ce prétexte ne se justifie pas, selon Seyda Ya Aïcha Diagne. Selon elle, l’islam ne bannit pas la bonne mise, même s’il est recommandé de s’habiller sobrement. ‘’Il faut toujours rester correct dans tout ce que l’on fait. C’est cela le minimum. On va dans des rencontres où on croise beaucoup de personnes. On ne saurait y aller n’importe comment. Maintenant, cela ne signifie pas non plus qu’on doive en faire trop’’, lance-t-elle. Il faut juste s’habiller suivant les préceptes de l’islam. ‘’Je m’habille bien et correctement. Je mets toujours des habits décents. Je ne porte jamais d’habits courts, serrés ou transparents. C’est ce qu’interdit ma religion. Mais je considère quand même que bien s’habiller, être présentable, ne signifie pas être extravagante’’, avance-t-elle.

Seyda Zeinab Fall de la radio Dunyaa est du même avis. ‘’Je ne suis pas dans les protocoles ou autres. Je ne me maquille jamais, quand je vais animer des conférences. Je reste très simple. Je suis naturelle. Je dirais même que c’est le Bon Dieu qui m’a maquillée. Je n’ai même pas de boîte à maquillage. Je reconnais qu’il y a certaines qui le font, mais cela n’engage qu’elles’’, indique-t-elle.

‘’Les hommes nous voient comme des concurrentes’’

Cependant, même si les femmes n’animent pas les plus grandes conférences religieuses ou encore celles qui sont médiatisées, elles sont tout de même autant sollicitées que les hommes. C’est ce que dit du moins l’animatrice à la Sen Tv Sokhna Absa Fall. Elle révèle être très sollicitée durant ce mois béni. Il lui arrive d’animer deux à trois conférences, les samedis et les dimanches. Il en est de même pour sa collègue de Dunyaa Fm, Zeinab Fall. Elle boucle son agenda six mois avant le ramadan. Elle est ainsi full pendant la trentaine de jours que dure ce moment béni, même si, à ce jour, certaines hésitent encore à l’inviter. Zeinab Fall ne sait faire ni dans la dentelle ni dans la langue de bois. Elle dit aux femmes, quelle que soit la somme déboursée, ce que Dieu a dit. Que cela les arrange ou pas, qu’elles soient frustrées ou pas, c’est le cadet de ses soucis. L’essentiel pour elle est de dire la Parole de Dieu, la Bonne Parole.

Sur un autre registre, Sokhna Absa Fall balaie d’un revers de main l’idée selon laquelle la voix de la femme ne doit pas être beaucoup entendue. Pour elles, si les hommes ont plus de succès qu’elle et ses pairs, c’est juste parce qu’ils ont été les premiers à investir les médias. ‘’Les hommes nous ont devancées dans le milieu, donc ils sont beaucoup plus connus. Mais maintenant, ils nous demandent de venir assurer les premières parties dans la plupart de leurs conférences.

Mais ce n’est pas toujours facile, car certains d’entre eux nous voient comme des concurrentes’’, explique Sokhna Absa. D’après elle, ‘’il y a des personnes qui pensent que la femme n’a pas droit à la parole ou même ne doit pas être au-devant de la scène. Il y a d’autres aussi qui disent que la femme ne doit pas être prêcheuse, car elle ne doit pas beaucoup se présenter en public. C’est juste de fausses croyances. ‘’Cela ne me gêne pas d’être entourée par des hommes et des femmes, au moment des conférences. Je me vois comme Khadidja (RTA). La personne qui pense autre chose sur ma personne, cela la concerne. Ce qui m’importe, c’est de transmettre les messages du prophète PSL et des hommes de Dieu. Maintenant, c’est à l’homme de contrôler son regard’’, pense-t-elle.

Zeinab Fall pense comme elle. ‘’Le Prophète (PSL) avait demandé à un moment à son épouse Khadija de dispenser des cours aussi bien à des femmes qu’à des hommes. C’est juste ceux qui ne maîtrisent pas bien les textes de la religion qui pensent qu’une femme ne peut partager en public les enseignements du Prophète (PSL). Nous avons appris le Coran ; si c’était prohibé, on ne le ferait pas’’, fait-elle savoir. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui les écueils sont en train d’être levés. Actuellement, selon Sokhna Absa Fall, les femmes abattent un travail extraordinaire.  ‘’Nous sommes très rigoureuses et accordons beaucoup de sérieux à notre travail’’, assure Seyda Sokhna Absa. 

HABIBATOU WAGNE

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