Quand Washington et Paris finançaient… Habré
Comme beaucoup d’autres chefs d’Etat, le président tchadien des années 1982 à 1990 a été soutenu dans sa volonté de faire régner un régime de terreur dans son pays. Sa DDS, simple structure administrative au départ, s’est transformée en monstre tueur grâce au «soutien financier, matériel et technique» de grandes démocraties comme les Etats-Unis et la France, selon le rapport d’enquête sur les crimes de Hissein Habré.
Les puissances occidentales ont, à leur manière, l’art de retourner leurs vestes contre certains de leurs alliés qui deviennent encombrants dans un premier temps, puis définitivement infréquentables. Nelson Mandela, disparu hier, et ses compagnons de lutte ont vécu ce phénomène dit de «réalisme politique» dont les fondements renvoient essentiellement au business.
Alors que le procès contre l’ancien président tchadien Hissein Habré semble inévitable au regard du déroulement de la procédure d’instruction devant y mener, un retour en arrière fait constater le soutien important que certains Etats ont apporté à l’ex-Président accusé de crimes contre l’humanité,
Dans le «Rapport de la Commission d’enquête sur les crimes et détournements commis par l’ex-Président Habré, ses co-auteurs et/ou complices», il est clairement indiqué que les Etats-Unis d’Amérique ont été les principaux bailleurs de fonds de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), transformée en police politique au service du régime de Habré.
«Des conseillers américains»
«Parmi les pays qui ont soutenu activement la DDS au plan financier, matériel et technique, les Etats-Unis viennent en tête de liste», souligne le rapport. Ne lésinant jamais sur les moyens, les Américains ont régulièrement débloqué «5 millions de francs Cfa (avant dévaluation) chaque mois. Cette somme (…) aurait été augmentée à partir de 1989 à 10 millions de francs», en plus «des moyens roulants, (des) armements, (de) l’habillement et d’autres moyens sophistiqués d’observation et de communication».
Les enquêteurs ont révélé que cette hausse de la contribution des Usa répondait à une demande adressée à l’ambassade par la DDS qui était soucieuse de «couvrir les besoins croissants du service».
Outre la «régularité des conseillers de l’ambassade américaine chez le directeur de la DDS», le rapport piloté par Me Mahamat Hassan Abakar précise également que ces conseillers US «rendaient quotidiennement visite (au directeur), soit pour le conseiller, soit pour échanger des informations».
Les autres soutiens de la DDS ont été la France sous le nouveau régime socialiste de François Mitterrand arrivé au pouvoir en 1981, l’Irak de Saddam Hussein, l’Egypte de Hosni Moubarak, et le Zaïre (République démocratique du Congo) de Mobutu Sese Seko. Ces pays «ont contribué, chacun selon ses moyens et ses expériences aux financements, à la formation, aux livraisons du matériel et aux échanges d’informations».
Élément notable relevé par le rapport, «la coopération en matière de sécurité entre les services de renseignements des pays précités et de la DDS a été intense et continue jusqu’à la chute du tyran», en 1990, et son exil au Sénégal.
«Mosaïque, un lien inter-dictateurs»
Comme d’autres pays appartiennent à des organisations cloisonnées et quasi secrètes, les agences de renseignements avaient également leur réseau, si l’on en croit le rapport de la commission d’enquête. Ainsi, la DDS appartenait au groupe «Mosaïque», «un organisme qui regroupe les services de renseignements et de sécurité de sept pays dont six «d’Afrique francophone (qui sont) Côte d’Ivoire, Israël, Tchad, Togo, RCA, Zaïre, Cameroun».
«Mosaïque» s’était assigné plusieurs objectifs dont «l’échange de renseignements, les actions bilatérales combinées (…), le repérage de tous les terroristes ou agents subversifs». Ce dernier point prend en charge les extraditions illégales d’opposants dans leur espace géographique.
C’est à ce titre que «Bichara Chaïbo, ancien directeur-adjoint de la DDS, un criminel sans scrupules, meurtrier présumé de la Française Gisèle Verdon, qui a déserté les rangs de Habré, a été interpellé lors d’une brève escale aérienne au Togo pour être livré à Habré qui l’assassina aussitôt».
Selon Mahamat Djibrine surnommé «El Djonto», ancien coordinateur de la DDS, «Mosaïque» était une organisation «financée par les Etats-Unis d’Amérique».
3 780 Tchadiens et 26 étrangers tués dont 2 Sénégalais La commission d’enquête de Me Mahamat Hassan Abakar a recensé, pour la période 1982-1990, un chiffre de 3 780 personnes tuées ou mortes entre les mains de la DDS. Ce nombre ne concerne que les Tchadiens. Pour ce qui concerne les étrangers, ils sont «26 morts dans les prisons de la DDS ou exécutés». Ce sont : (6) Camerounais, (5) Libyens, (4) Centrafricains, (2) Sénégalais, (2) Nigériens, (1) Malien, (1) Nigérian, (1) Zaïrois, (1) Ethiopien, (1) Syrien, (1) Yéménite et (1) Française. |
MOMAR DIENG (ENVOYÉ SPÉCIAL AU TCHAD)