Baboul mouridine, au-delà des dread locks
Une des figures de proue de la confrérie mouride, Cheikh Ibrahima Fall demeure un mystère pour certains, notamment la plupart des disciples mourides et même “Baay fall”. La jeune génération ignore presque tout de celui qui est surnommé Baboul mouridine (la porte du mouridisme). Bienvenue dans l’antre d’un digne héritier de la lignée des Damels du Cayor qui a renoncé à son trône pour suivre Bamba dans sa quête.
La célébration hier de la 119e édition du grand Magal de Touba a été l'occasion d’aller dans l’antre des baay fall, pour essayer de percer l’énigme que constitue leur guide spirituel, Cheikh Ibrahima Fall qui fut accompagnateur de Bamba. Qui est Mame Cheikh Ibrahima Fall ? Pourquoi le surnomme-t-on Baboul mouridine (la porte du mouridisme) ? Quelles sont ses origines et quels sont ses rapports avec le fondateur du mouridisme Cheikh Ahmadou Bamba ? Que serait aujourd’hui le mouridisme sans lui ?
Autant de questions auxquelles il est difficile d’apporter des réponses, tellement l’homme demeure un mystère pour la jeune génération. Mais à force de fouiller un peu partout, EnQuête a pu mettre la main sur quelques dignitaires “Baay falll” qui content ici l’histoire de celui qui est présenté comme le premier disciple de Bamba.
“Cheikh Ibrahima Fall est le consolateur des âmes perdues”
Trouvé dans un coin du cimetière jouxtant la grande mosquée de Touba, Moustapha Ngom, les mains levées vers le ciel comme pour implorer le pardon de Dieu, récite des poèmes de Serigne Touba. Cheveux blanchâtres, visage ridé, le vieux Ngom, rongé par l’âge, est emmitouflé dans un modeste grand boubou qui a perdu de son éclat et de sa couleur. L’homme, âgé de plus de 80 ans est sûrement au crépuscule de sa vie.
Malgré son âge avancé et son air fatigué, il se met quand même à notre disposition pour éclairer la jeune génération sur la vie et l’oeuvre du guide spirituel des baay Fall. “Cheikh Ibrahima Fall, c’est celui qui est le consolateur des âmes perdues”, commence-t-il par raconter. Avec une certaine dose de fanatisme, le vieux Moustapha Ngom poursuit : “Cheikh Ibrahima Fall, c’est celui qui nous a montré la bonne voie, qui nous a indiqué comment se comporter avec Serigne Touba “.
Issue de la lignée royale des damels du Cayor, Cheikh Ibrahima Fall est le fils de Serigne Modou Rokhaya Fall et de Mame Seynabou Ndiaye. Dès le bas âge, il s’est départi des mondanités pour suivre le fondateur du mouridisme dans sa résistance pour émanciper la race noire, alors sous le joug du puissant colon blanc.
Selon Moustapha Ngom, c’est à Mbacké Cadior, dans la région de Louga, que les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois, Une occasion pour le guide des baay fall de faire acte d’allégeance à Cheikhoul Khadim, en même temps que ses condisciples Serigne Adama Guéye et Serigne Ibra Sarr Ndiagne. Tout en lui jurant fidélité, loyauté, abnégation, le fils de Serigne Modou Rokhaya Fall et de Mame Seynabou Ndiaye va révolutionner les rapports entre Bamba et ses disciples trouvés sur place, raconte le vieux Issa Sarr, 86 ans, originaire de Ngadj Sarr dans le Ndiambour.
“Il n’a pas d’égal dans la mouridya, il a eu ce que personne n’a eu en termes de récompenses”, estime Modou Ndiaye gardien du mausolée de Cheikh Fall Baye Gor, fils de Serigne Modou Moustapha Fall, premier Khalife de Cheikh Ibrahima Fall.
Érudit doublé d’un agriculteur
Érudit doublé d’un grand agriculteur (il fournissait aux blancs de la pomme de terre qu’il cultivait), Cheikh Ibrahima se distinguait des autres disciples de Serigne Touba par sa carrure et son culte du travail. Mais aussi par ses dread locks. Selon certaines confidences, il a arrêté de couper ses cheveux et décidé de porter des haillons, le jour où il a reçu les bénédictions de Serigne Touba. Dès lors, on le surnomma le “fou de Bamba”, certains allant même jusqu’à soutenir qu’il était devenu fou avant sa mort.
“Cheikh Ibrahima Fall n’était pas fou. Ceux qui disent qu’il ne jouissait pas de ses facultés mentales n’ont rien compris. Il était arrivé à une dimension qui dépassait l’entendement”, explique Serigne Abdou Bakhé Thioune, un fidèle baay fall. Proche collaborateur de Serigne Touba, Cheikh Ibrahima Fall est décédé en 1930, trois ans après la disparition du fondateur du mouridisme.
Tout comme Cheikh Ahmadou Bamba, il a eu cinq khalifes : Serigne Modou Moustapha Fall, Serigne Mortalla Fall, Serigne Aliou Fall, Serigne Assane Fall et Serigne Abdou Sakor Fall, avant le règne des petits-fils, ouvert par Serigne Modou Aminata Fall. Aujourd’hui, sa lignée est conduite par Serigne Cheikh Dieumbe Fall, Khalife général des baay fall.
LAMP LA LUMIERE : Et il “illumina” la voie du mouridisme… Comme pour magnifier son compagnonnage avec Bamba, Cheikh Ibra Fall porte le nom du plus grand minaret de la mosquée de Touba. Une lampe qui…illumine le mouridisme. Le minaret Lamp Fall est au coeur de Touba. Il surplombe la ville et l’illumine. Point de repère incontestable et incontesté des pèlerins, il brille. Il est pour la mosquée de Touba, ce qu’était cheikh Ibra Fall dans la vie de Bamba : “une grosse torche qui éclaire tout”. En 1963, date coïncidant à ce que l’on peut appeler l’achèvement de la construction de la grande mosquée de Touba, Serigne Fallou Mbacké, 2e Khalife de Bamba, appela les dignitaires mourides. Il leur lança le défi suivant : “Quiconque parmi vous devinera le nom que je compte donner au plus grand minaret de la mosquée sera récompensé”. Personne n'y parvint. Serigne Fallou Mbacké leur annonça que le minaret allait porter le nom de Lamp fall, en hommage à Cheikh Ibrahima Fall, fidèle compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba. Depuis, les travaux de la mosquée de Touba se sont poursuivis et Lamp Fall est resté toujours perché bien en haut de l’édifice. “Il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps”, renseigne un vieux “Baay fall” trouvé à l’entrée du cimetière principal de Touba. Selon lui, sans Cheikh Ibrahima Fall, Serigne Touba n’allait jamais avoir une telle notoriété. |