Une légende ivoirienne
Le pays se cherchait un héros, il l'a trouvé. L'attaquant de Chelsea Didier Drogba a offert la victoire à son club en finale de la Ligue des champions. Enquête sur une icône dont tous aimeraient se revendiquer, mais qui a su rester à bonne distance de la politique.
Ils crient leur joie, hurlent leur fierté. Nous sommes le 19 mai. Didier Drogba vient de permettre à son club de Chelsea de remporter la prestigieuse finale de la Ligue des champions, à Munich, et dans les rues d'Abidjan on fête la grandeur de celui que Laurent Gbagbo avait surnommé le Petit. En son temps, l'ancien chef de l'État avait aimé suivre les exploits du plus célèbre des attaquants ivoiriens. Il avait pris soin de le recevoir, avec plusieurs autres joueurs, en son palais de Cocody et admirait son charisme. Mais ça, c'était avant. Avant que la guerre éclate. Avant que Gbagbo soit envoyé devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI). Avant que la Côte d'Ivoire se cherche un nouveau héros. Elle l'a trouvé.
Les jours suivants, la presse n'a cessé de vanter « son coup de tête surpuissant », de réclamer l'édification d'« une statue à la mesure de son immense talent » et de proclamer, avec des élans christiques, la gloire de Drogba « pour les siècles des siècles »... Le penalty transformé face au Bayern Munich a été fêté avec la même ferveur dans les maquis de Yopougon, quartier d'Abidjan traditionnellement fidèle à Laurent Gbagbo, que dans les rues d'Abobo, commune réputée acquise au président Alassane Ouattara.
Les partisans de l'ex-chef de l'État n'ont pourtant pas manqué de rappeler que Drogba était un Bété, comme Gbagbo, et que le village de son père (Niaprahio, dans la région de Gagnoa) était situé non loin de celui du président déchu. Qu'importe si Didier Drogba ne s'y est rendu qu'une seule fois, en 2008, pour assister aux funérailles de sa grand-mère. Dans cette bourgade que le footballeur connaît à peine, on aime rappeler que cela fait longtemps qu'on l'avait surnommé Gbagbadê, « la foudre » - en hommage à la puissance de ses tirs. Le père du joueur lui-même se plaît à raconter que, lorsqu'il était jeune, « on disait au village qu'il y a longtemps, un grand voyant avait prédit la naissance d'un enfant qui serait très puissant et qui rendrait Niaprahio très célèbre. Aujourd'hui, je réalise qu'il s'agit de mon fils ».