Publié le 5 Dec 2025 - 16:45
FIN DE RÈGNE ET DÉBOIRES JUDICIAIRES

Sale temps pour Embalo

 

Renversé dans son pays, acculé par le Premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko, le désormais ex-président de la République de Guinée Bissau doit faire face à l’exhumation de vieux dossiers judiciaires qui pendent encore devant les tribunaux du Sénégal

 

Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour Embalo. Alors qu’on n’a pas fini de parler de sa chute à Bissau, le voilà rattrapé par un vieux dossier d’escroquerie pendant devant les tribunaux sénégalais. Un dossier qui l’oppose à une femme d’affaires de nationalité marocaine qui l’accuse de l’avoir spoliée de biens meubles d’une valeur de plus d’un milliard de francs CFA. 

Munies d’une pile de documents (factures, requêtes, ordonnances), des sources ont joint EnQuête pour revenir sur cette affaire jusque-là bloquée par le statut de Président du mis en cause. 

Fin décembre 2024, la Marocaine avait saisi le tribunal de commerce hors classe de Dakar pour demander la saisie conservatoire sur des comptes et des biens d’Embalo, mais le tribunal avait rejeté la demande. Motif : le statut de président de la République de la personne poursuivie. 

Le juge, qui évoquait l’article 30-3 de l'Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et des conventions internationales, rappelait qu’il n’est pas possible de pratiquer une telle procédure sur des personnes morales de droit public étrangères et des organisations internationales qui bénéficient de l’immunité d’exécution, sauf renonciation expresse de leur part. 

“Le Président de la République en exercice de l'Etat de la Guinée- Bissau bénéficie d'une immunité d'exécution qui fait obstacle à la mise en œuvre d'une mesure conservatoire ou d'exécution forcée à son encontre”, soulignait le juge dans son ordonnance dont nous détenons copie. 

Malgré ce blocage, la Marocaine n’a jamais lâché prise. Elle a engagé plusieurs procédures au Sénégal et attend d’être rétablie dans ses droits. 

Les faits 

Les faits remontent aux années 2019-2021 pour l’essentiel. Candidat à la présidentielle de la Guinée Bissau, l’ancien Premier ministre avait rencontré à Dakar, plus précisément aux Almadies où il disposait d’un appartement, la Marocaine, gérante d’une société qui s’active dans la vente et la livraison de marchandises. Par la suite, rapportent nos sources, il aurait passé dans ladite société plusieurs commandes dont des T-shirts, des impressions de logos et du matériel destiné à sa campagne pour l'élection présidentielle de Guinée-Bissau en 2019. 

En plus de ces produits, la société avait également livré, sur sa commande, deux véhicules de luxe : un Lexus LX570 SUV Platinum-Autobiography 2020 et un Mercedes-Benz G63, 4.0 Lir, 577BHP, V8 Petrol-Limited, de couleur noire… L’entreprise et sa gérante réclament ainsi à Embalo  la somme de 1.729.811 dollars US HTC, soit 1.050.786.838 FCFA.  

“Il est à noter que toutes ces livraisons ont été effectuées à l'Aéroport International Blaise Diagne de DIASS, entre les mois de Septembre 2019 et juin 2021”, précise la source. 

Élu président de la République, Monsieur Embalo aurait continué les affaires avec son partenaire, après avoir réussi à établir une relation solide de confiance. Selon la plaignante, il a poursuivi les commandes sans payer. Après avoir perdu beaucoup d’argent, la gérante de la société qui se présente également comme épouse du désormais ex-président de la Guinée Bissau commence à réclamer le paiement de ses créances.

Plusieurs procédures en suspens

Plusieurs procédures ont ainsi été initiées à Dakar, aussi bien devant le juge pénal qu’au tribunal du commerce. Malgré les multiples relances, Embalo aurait refusé catégoriquement de payer, laissant la société dans une situation difficile.

Informé des différentes initiatives de la dame, le sieur Embalo aurait commencé à intimider la plaignante en la menaçant.  Le 6 février 2025, la plaignante introduit une nouvelle plainte contre Umaro Sissoco Embalo, pour menaces et intimidation, en complément de la première plainte qu’elle avait déposée pour escroquerie. La commerçante avait mis sur la table différents échanges WhatsApp pour attester de ces menaces et tentatives d'intimidation.

Le mode opératoire              

Selon l’accusation, afin de pouvoir mieux ferrer la dame, Embalo l'a prise comme épouse dans un mariage célébré en catimini à Dakar. “Les desseins inavoués de ce mariage étaient dans l'optique d'assoir sa position et d'obtenir la confiance de la dame. C'est ainsi, que le sieur Umaro Moukhtar Sissoco EMBALO a utilisé le prétexte du mariage pour faciliter la préparation et la commissions de plusieurs infractions portant sur les biens de la plaignante et son intégrité physique et morale de femme”, charge la requérante dans l’une de ses plaintes.

Avec la situation actuelle, la dame à travers ses avocats réactive le dossier et estime que plus rien ne s’oppose à ce que le droit soit dit dans cette affaire.

Après Dakar, Brazzaville, Rabat : la dernière destination

Renversé à l’issue d’un putsch controversé, le Président Umaro Sissoco Embalo a trouvé refuge à Rabat, au Maroc après de brefs séjours à Dakar et à Brazzaville. De nombreux observateurs le soupçonnent d’avoir lui-même orchestré ce coup d’État pour masquer sa défaite lors du scrutin présidentiel.

Chef de la mission d’observation de la Cedeao, Goodluck Jonathan avait déclaré : “C’est un coup d’État cérémoniel. C’était une cérémonie menée par le chef d’État lui-même". Le Premier ministre Ousmane Sonko avait pour sa part dénoncé une combine. “Ce qui s’est passé en Guinée-Bissau, nous savons tous que c’est une combine. Et ce n’est pas normal", avait fustigé le Premier ministre sénégalais.  

À rappeler que la commission électorale (Commission nationale électorale, CNE) a annoncé, à la suite du putsch, qu’elle ne pourra pas publier les résultats du scrutin du 23 novembre, car le matériel électoral a été détruit ou confisqué par des assaillants.  

Pour sa part, la CEDEAO a dépêché une délégation début décembre pour engager un dialogue avec la junte visant à négocier une transition et la reprise du processus démocratique.  

Politologue de formation, ayant étudié au Portugal, en Espagne et à Tel Aviv, l’ex-président de 53 ans est décrit comme un polyglotte, parlant bien le portugais, l’espagnol, le français, l’anglais et l’arabe.

Mor AMAR

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