Publié le 28 May 2018 - 19:17
DIFFÉRENTES UNIVERSITÉS REÇUES AU PALAIS

Les premières fissures du mouvement étudiant

 

Les étudiants qui parlaient le même langage, jeudi dernier, lors de la marche nationale, ont laissé apparaître les premiers signes d’une division. Les audiences au palais n’ont pas été sans effet. 

 

La Coordination nationale des étudiants du Sénégal rencontre, aujourd’hui, le président de la République. Cependant, il pourrait bien y avoir dysphonie au palais. En effet, du côté des étudiants, il est peu probable qu’on arrive à parler le même langage. En fait, le Collectif des étudiants de l’Ucad, à la suite de celui de Saint-Louis, a rencontré le chef de l’Etat samedi, vers 18 h. A l’issue de ce tête-à-tête, les camarades de Franck Daddy Diatta ont adopté une nouvelle position par rapport à leurs exigences. Comme tous les étudiants du Sénégal, ceux de Dakar ont marché jeudi dernier pour réclamer justice et le départ des membres du gouvernement impliqués dans la gestion des bourses et la mort de Fallou Sène, à savoir les ministres de l’Enseignement supérieur Mary Teuw Niane, de l’Economie et des Finances Amadou Ba, des Forces armées Augustin Tine et leur collègue de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye.

Mais, désormais, la démission des ministres n’est plus une priorité, pour le collectif de l’Ucad. ‘’Si les ministres dégagent, qu’est-ce que l’étudiant y gagne ?’’, s’interroge Amadou Faye. Se voulant plus précis, ce membre du collectif ajoute : ‘’Notre souci majeur est de défendre l’intérêt matériel des étudiants. Nous demandons que l’Etat règle nos soucis socio-pédagogiques. Nous n’avons aucun problème avec Mary Teuw Niane. Notre priorité, c’est la résolution des différents problèmes des différentes facultés’’. Des propos confirmés par le porte-parole du collectif Franck Daddy Diatta. Celui-ci décrit un Macky Sall disposé à répondre favorablement aux revendications des étudiants.

Cependant, pour ce qui est de la démission des ministres, il leur a opposé un refus catégorique. D’après Franck Daddy Diatta, Macky Sall leur a fait comprendre qu’il a entendu leur revendication, mais la nomination est sa prérogative. En plus, leur a-t-il dit, il y a des choses qu’ils ne maitrisent pas, puisqu’il y a des éléments d’appréciation hors de leur portée. ‘’C’est comme s’il n’était pas disposé à démettre un quelconque ministre’’, constate le sieur Diatta. Macky Sall termine son discours par une demande de reprise des cours. Un message qui semble avoir fait son effet. ‘’Ce qui nous importe, c’est la satisfaction de nos revendications. Nous n’avons pas pour mission de faire partir un ministre’’, se résigne-t-il.

Les rivalités au sein de l’Ucad et avec l’Ugb

Si l’on en croit ce dernier, le collectif aurait bien aimé voir Amadou Ba, Mary Teuw et Cie partir. Mais, à défaut, mieux vaut se concentrer sur l’essentiel. C’est-à-dire la fin des retards dans le paiement des bourses, la fin du monopole pour Ecobank, la revalorisation des allocations et la baisse du prix du ticket de restauration. Cet interlocuteur pense que ce ne serait pas intelligent de leur part de vouloir continuer la grève uniquement pour réclamer le départ d’un ministre. ‘’On nous aurait même accusés d’avoir un autre combat que celui d’étudiants’’, souligne M. Diatta.

Ainsi, le collectif est à l’écoute du chef de l’Etat qui doit répondre aujourd’hui à leurs préoccupations. Si des propositions concrètes sont faites ce lundi, le mot d’ordre de grève illimité pourrait être levé demain mardi.

Cependant, du côté de l’Ugb, on fait remarquer que ‘’la position reste inchangée’’. Autrement dit, le départ des ministres est une condition sine qua non à toute reprise. D’ailleurs, Mapal Sambou, un des responsables des étudiants, joint par téléphone, ne veut même pas se prononcer sur cette nouvelle posture de ses camarades de Dakar. A toutes les questions, il a répondu invariablement : ‘’Pas de commentaire.’’

Déjà, entre l’Ucad et l’Ugb, il y a une forte rivalité. Les filleuls de Cheikh Anta Diop avaient reproché à ceux de Gaston Berger d’avoir rencontré le président sans eux. ‘’Les étudiants de Saint-Louis ont essayé de nous écarter, parce qu’ils disent que nos facultés n’ont pas d’amicales. Mais qu’ils sachent que personne ne peut écarter l’Ucad. Nous serons à la rencontre du 28, qu’ils le veuillent ou non’’, déclare Amadou Faye.

Mais, apparemment, le collectif n’a pas que l’Ugb en face de lui. Deux entités à l’Ucad ont également pris leurs distances. En fait, l’université est en plein renouvellement des amicales de ses facultés. Seule la faculté de Médecine, les écoles et les instituts ont élu leurs délégués. Et ce sont ceux-là qui sont membres de la Coordination nationale des étudiants du Sénégal. Déjà, ils n’ont pas voulu participer à l’audience au palais de la République avec leurs camarades du collectif qui, à leurs yeux, n’ont pas la même légitimité. ‘’Nous sommes dans la dynamique d’une amicale, alors que les autres, ce sont des listes, on ne peut pas les contrôler’’, déclare Diène Ngom, membre à la fois de l’Amicale des écoles et instituts et de la Coordination nationale des étudiants du Sénégal.

Thiès, Ziguinchor et Bambey reçus hier soir

Ce dernier, comme son camarade de Saint-Louis, se refuse à tout commentaire par rapport à la position du collectif piloté par Franck Daddy Diatta et Cie. Cependant, il précise que la coordination nationale n’a jamais demandé le départ d’un ministre, il cherche plutôt une solution à un problème récurrent. ‘’Ce que nous demandons, c’est que le système de paiement des bourses soit revu. Ce n’est pas un problème de personne. Le circuit par lequel passe la bourse est trop long. Pourquoi ne pas créer une agence nationale qui gère la bourse’’, préconise-t-il.

Si l’on sait que les étudiants de l’Ugb, membres eux aussi de la coordination nationale, exigent le départ des ministres, on comprend alors la division du mouvement estudiantin, même si certains ne veulent pas entendre parler de fissure. Il s’y ajoute qu’à Thiès, au sein même de la coordination, on n’avait pas un consensus à propos de la démission des ministres. ‘’Chaque entité a sa position en fonction de ses intérêts’’, indique une source.

C’est peut-être ce qu’a compris le pouvoir. Depuis quelques jours, le palais déroule son agenda. Il semble manœuvrer avant le jour de la grande rencontre. En effet, outre les étudiants de l’Ucad samedi, ceux de Bambey, Ziguinchor et Thiès ont été reçus hier dimanche vers 21 h. Face à ces différentes rencontres, se pose la question de savoir si la coordination réussira à avoir une voix commune. Si l’on en croit Diène Ngom, une réunion a été tenue pour harmoniser les positions, afin de rester dans une dynamique unitaire. Qu’en est-il alors de la position des étudiants de l’Ugb ? ‘’Il y a ce qu’on appelle le secret de séance. Je ne saurais m’avancer sur ce sur quoi nous sommes convenus’’, esquive Diène Ngom.

EL HADJ HAMIDOU KASSÉ, MINISTRE-CONSEILLER

‘’Je pense que c’est une démarche à saluer’’

Le ministre-conseiller, chargé de la communication de la présidence, a écarté toute idée de manipulation, dans cette série d’audiences au palais. Joint par téléphone hier soir, El Hadj Hamidou Kassé affirme que les étudiants ont été reçus sur leur demande. ‘’Ceux qui parlent de division, ce sont eux qui divisent les étudiants’’, rétorque-t-il. D’après lui, c’est juste un parallélisme des formes qui consiste à recevoir les autres, après avoir reçu les étudiants de Saint-Louis. L’objectif est surtout d’avoir le temps de discuter des spécificités des uns et des autres, avant d’aborder les questions transversales. ‘’Si le président de la République prend le temps de recevoir les étudiants, je pense que c’est une démarche à saluer. Il faut souhaiter que la crise soit dépassée’’, déclare-t-il.

BABACAR WILLANE

Section: