Publié le 22 May 2018 - 22:57
ENSEIGNEMENT PRIVE POST-BAC

Une qualité de formation pas si supérieure

 

L’enseignement privé supérieur au Sénégal est en pleine expansion. Mais cette prolifération des établissements n’est pas forcément synonyme de qualité. Accusés, les chefs d’établissement se défendent et renvoient la balle à l’Etat.

 

La politique de l’Etat visant à orienter les nouveaux bacheliers vers le privé, ne s’est pas faite sans couacs. Certains responsables des écoles privées concernées reconnaissent un impact négatif sur la qualité de l’enseignement. ‘’Avant 2012-2013, la qualité était dans l’enseignement privé. Mais, avec cette orientation qui a entraîné la massification de nos effectifs et un développement exponentiel de nos investissements, cela nous paraît difficile de respecter les normes de qualité fixées par l’Unesco et les organes d’accréditation, si les moyens ne suivent pas’’, avoue Mamadou Gningue, Président de la Conférence des universités privées du Sénégal.

Aujourd’hui, dit-il, l’enseignement supérieur privé compte 43 000 étudiants, selon les dernières statistiques.  Si l’on y ajoute les bacheliers de l’année 2016-2017, on se retrouve entre 50 000 et 60 000 étudiants, affirme-t-il. Pendant ce temps, l’Etat sénégalais n’a pas respecté sa part du contrat, en versant à temps les sommes dues aux établissements. A ce jour, une dette de dix milliards peine à être réglée. ‘’Aucun sou n’a été versé l’an dernier (2016-2017) quant à la prise en charge des nouveaux bacheliers’’, regrette-t-il. Un fait qui, de son point de vue, paralyse l’enseignement privé qui n’arrive plus à payer correctement ses enseignants.

Tant de paramètres qui influent sur la qualité de l’enseignement supérieur privé, sachant que plusieurs établissements privés, selon lui, ne maîtrisent pas les critères d’évaluation. Ce qui rend difficile l’obtention d’une accréditation.

L’Anaq-Sup à la rescousse

Quand on parle de qualité des études après le Baccalauréat, le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (Cames) reste la structure d’évaluation par excellence. Le Sénégal est le premier pays en Afrique francophone à se doter d’une structure autonome en vue de se conformer aux normes standards internationales dans l’enseignement et la formation. Mise en place en août 2012, l’Autorité nationale d’assurance qualité de l’enseignement supérieur (Anaq-Sup) est chargée de valider la qualité des contenus dispensés dans les institutions publiques et privées.

Cette année, ce sont vingt-deux instituts privés de formation, contre onze en 2013, qui ont obtenu l’agrément de l’Anaq-Sup, une agence autonome sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Selon son secrétaire exécutif Papa Guèye, ‘’la création de cette structure est la preuve d’une prise de conscience des autorités que l’émergence du Sénégal passe par des ressources humaines de qualité’’. Elle est composée de 40 experts dont 30 universitaires et 10 professionnels qui évaluent ces établissements sur la base d’un rapport d’auto-évaluation qu’ils déposent au préalable.

En fait, l’Anaq-Sup a érigé deux principes fondamentaux qui, de l’avis de M. Guèye, ont permis d’améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Il s’agit de ‘’la légalité de ces établissements et la qualité des sésames qu’ils délivrent’’. Désormais, (normalement) aucun établissement ne peut établir un curriculum ou un programme de formation sans respecter les standards fixés par les référentiels (qualité et légalité) de l’Anaq-Sup. Voici une affirmation qui aurait dû faire trembler les fondateurs et directeurs d’écoles de formation privées.

Cependant, il est clair que le milieu est loin d’être assaini, quand on sait qu’il y a quatre ans, seuls onze établissements sur vingt demandeurs d’agrément ont été reconnus par l’Anaq-Sup. Chaque année, plusieurs instituts privés se voient refuser l'accréditation et l’habilitation, faute de conditions requises à une formation crédible et compétitive à l’échelle internationale. Pourtant, en mai 2015, un décret a été mis en œuvre pour faciliter les modalités et les procédures aux établissements, et rééquilibrer le rapport diplôme privé/diplôme public.

Selon M. Gningue, une école privée ou un institut ne peut pas fonctionner comme une université publique, car l’orientation n’est pas la même. Il estime que les référentiels de ces deux entités doivent être différents.

Le mirage de l’insertion professionnelle

Si le gouvernement sénégalais essaie de poser des garde-fous pour limiter les dérives notées dans l’enseignement supérieur privé, les étudiants, eux, disent n’avoir noté aucun changement. Mamadou Fall est en Licence dans un institut de management de la place. ‘’On nous fait croire que les filières dans lesquelles nous évoluons sont reconnues, mais en sortant, sur le marché de l’emploi, on se rend compte que c’est loin d’être vrai’’, dénonce-t-il.

Aujourd’hui, beaucoup pensent qu’il y a usage de faux. Cet étudiant, qui ne veut pas que  son école soit citée, affirme que ses camarades en droit, à la fin de leur formation, ne valent presque rien sur le marché de l’emploi, comparés à leurs camarades sortis de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il ajoute que sur leur parchemin, il n’est pas clairement écrit un diplôme en droit, mais autre chose, à savoir gestion des affaires. ‘’Je ne suis pas cette filière, mais ce qui est certain, c’est que mes aînés déjà diplômés chôment. Pourtant, on parle de formation professionnelle. Il existe des filières qui sèment le doute chez les employeurs, parce que non reconnues. Aussi, beaucoup n’ont pas fait de pratique’’, se désole-t-il.  

Ce qui est certain et qui revient fréquemment dans cet exercice de collecte d’informations, c’est le leurre dont sont victimes les étudiants. Plusieurs formations dispensées dans ces établissements privés se font sans aucune pratique en entreprise. ‘’Souvent même, le stage obligatoire n’est pas évident. Moi, je n’en ai pas fait’’, témoigne Mamadou Dièye, étudiant en troisième année dans une école de commerce.

Les étudiants de ces instituts dénoncent, pour la plupart, les techniques frauduleuses des dirigeants. Selon eux, le quantum horaire officiel affiché est loin de ce qui est fait dans la pratique. Une affirmation confortée par un enseignant.  Professeur en droit à l’Ucad, M. Sall dispense des cours  dans le privé. Lui non plus n’est pas satisfait de ce qu’il a vu. ‘’Les programmes de ces écoles sont très souvent vides ou puisés sur Internet’’, déclare-t-il. Il s’y ajoute, renchérit-il, que ces établissements sont remplis de vacataires ayant soit un Master, soit un Dea. Dans le seul but de remplir leurs salles de classe, les chefs de ces écoles investissent toutes les plateformes publicitaires. Ils promettent monts et merveilles (avenir professionnel garanti, stage à l’extérieur, diplômes reconnus par le Cames ou l’Anaq-Sup) aux étudiants et à leurs parents. Si l’on en croit les étudiants, les cours se font dans des appartements avec des chambres faisant office de salles de classe. En plus, l’Etat laisse planer une certaine confusion quant à la légalité d’un établissement et la qualité de la formation qu’il propose.

Tout d’abord, l’Anaq-Sup est un nouveau-né qui effectue un travail d’assainissement qui n’existait pas il y a dix ans. De plus, les référentiels propres aux filières enseignées dans une école supérieure privée diffèrent de ceux requis par l’Anaq-Sup. Un établissement peut ne pas avoir l’agrément, mais posséder des filières reconnues et agréées par l’autorité précitée. Madame Léontine Bâ, membre du Conseil administratif de l’Ecole supérieure de journalisme et de communication (Ejicom) soutient que c’est au gouvernement de poser des règles claires afin de ‘’séparer les instituts d’excellence et de qualité, de celles qui n’existent que de nom’’. ‘’Ses agents doivent régulièrement faire des descentes sur le terrain pour s’enquérir de façon plus concrète des conditions d’enseignement dans les écoles privées’’, suggère-t-elle. Elle déplore cette multiplication effrénée d’instituts supérieurs qui effritent l’image de l’enseignement supérieur sénégalais.

‘’Ils ne prévoient pas le volet pratique dans leur formation. Ils n’ont pas des enseignants compétents ou habiletés à dispenser certains cours’’, s’offusque-t-elle. Son établissement existe depuis huit ans. Selon ses responsables, il a décroché l’agrément de l’Anaq-Sup, il y a quelques mois. De ce fait, ses diplômes ne sont pas encore reconnus par le Cames. Madame Ba soutient cependant que tout cela n’est qu’une question de procédure. Louant les mérites de son établissement en termes d’insertion des sortants, elle déclare que des écoles de bonne qualité, il n’en manque pas à Dakar. ‘’Je pense que c’est un faux procès que l’on fait aux écoles privées. Il existe d’excellents instituts de formation professionnelle. C’est aux parents et aux étudiants d’aller vers l’information et de chercher à savoir quelle est la meilleure en termes de qualité. Il ne faut pas mettre tout le monde dans un même sac’’, plaide un enseignant de l’institut supérieur de management de Dakar (Ism).

Le rapport public/privé

D’aucuns jugent que l’université publique, autrefois une référence et un temple de recherche, est en train de perdre de sa notoriété, si ce n’est déjà fait. Dans plusieurs instituts privés, affirment certains interlocuteurs, ce sont les professeurs du public qui président les conseils scientifiques et les directions académiques. ‘’Tout le monde ne peut pas faire l’université, ni la recherche. Nos universités publiques sont essoufflées face à cette masse croissante de bacheliers. Les instituts privés offrent des formations professionnelles et l’étudiant est opérationnel dans un court délai’’. Les propos sont de Babacar Ndiaye, Professeur à la faculté des Sciences et techniques de l’Ucad. Il estime que l’université joue son rôle et les instituts privés le leur. Ainsi, la question d’une décrédibilisation de l’enseignement public ne se pose pas, car ce sont deux pôles qui se complètent. Il n’empêche que certains enseignants trouvent ‘’malhonnête’’ ce foisonnement d’écoles privées à des fins purement mercantilistes.

La responsabilité de l’Etat quant à l’assainissement de ce secteur et la redéfinition des objectifs est, une fois de plus, pointée du doigt. Souleymane Ndiaye, Professeur à la faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, écarte toute idée de comparaison entre les deux systèmes. ‘’L’université a été pendant longtemps une référence en Afrique de l’Ouest. Elle a accouché de beaucoup de cadres. Je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir une sorte de concurrence entre le privé et le public. Les finalités sont différentes. Pourquoi nos jeunes refusent le savoir ? Ils préfèrent faire une formation de deux ans et toucher un salaire, même si on les exploite’’, se désole-t-il.

Le Sénégal compte actuellement près de 300 établissements privés. Une prolifération qui a comme point de départ 1994, l’année de la libéralisation du secteur.

Emmanuella Marame Faye (Stagiaire)

 

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