Publié le 12 Feb 2024 - 20:07
LEADERSHIP TOXIQUE ET ADHOCRATIE POLITIQUE

Plongée au cœur de la politique politicienne et des dérives psychologiques! 

 

Comment construire une démocratie soutenue par des institutions fortes et des processus qui protègent les citoyens et les électeurs contre les dérives de leaders toxiques, narcissiques, psychopathes?

Comment construire une démocratie soutenue par des institutions fortes et des processus qui protègent les citoyens et les électeurs contre les dérives de leaders toxiques, narcissiques, psychopathes et sociopathes ? Quelle est la signification et la portée de ce style de leadership ? Comment se comporter avec de tels leaders ? Comment les vaincre ? Mais qui sont-ils? Où sont-ils? Des deux côtés, tout aussi bien du pouvoir que de l'opposition ! Un débat important pour l’avenir, car, actuellement, la politique est gangrenée de ces profils à très haut potentiel de comportements conflictuels, etc. Ces profils sont complexes et résilients, comme l'établissent plusieurs études relevant la difficulté de leur faire face. Ces recherches soulignent aussi les effets dysfonctionnels de leur présence au pouvoir dans un environnement vicié par des débats violents où les enjeux discutés ne sont ni le développement, ni la transformation structurelle et durable, ni la résilience et les autres prérequis permettant de faire face aux grands et difficiles combats pour la prospérité. Mais, au fond, ce genre de leaders ne sont que le reflet d’un environnement valorisant, consciemment ou inconsciemment, le culte de l'homme fort, du sauveur charismatique. Plusieurs études attirent l’attention sur le danger de leur confier le pouvoir et sur les risques liés à la prolifération de certaines pathologies politiques au sein d’une Pathocratie affirmée, au sein d’un Etat, des gouvernements ou des partis.

Les dérives pathologiques du leadership politique

Plusieurs publications décrivent ces pathologies du pouvoir en mettant en lumière des leaders toxiques, narcissiques, psychopathes ou sociopathes, égotistes, motivés par le rêve de leur propre empire et de leur propre grandeur, le manque d'empathie et fortement obsédés par l'accroissement de leur propre valeur et à diminuer les autres. En résumé, ces recherches permettent d'inventorier des profils souvent négligés, tenaces, mais potentiellement dangereux:

- le leader narcissique, cultivant un sentiment d’insécurité, pragmatique, cynique, dépourvu d'empathie, obnubilé par le sens de sa propre grandeur, attirant l'attention sur sa propre personne, sans remords après avoir porté atteinte aux droits des autres ;

- le psychopathe manquant d'attention aux autres, recroquevillé sur lui-même, travestissant souvent la vérité, privilégiant sa propre grandeur, peu empathique et utilisant les autres pour sa propre ambition ;

- le sociopathe, souvent manipulateur, violant les droits des autres, défiant les autres par ses décisions et comportements, poussant à la violence, à l'agressivité, à l'impulsivité ;

- les profils intolérants à l’égard de toute critique, sujets à de violentes colères lorsque leur statut est menacé, résilients dans la compétition jusqu’à l’obtention d’une victoire finale ;

- des leaders qui ne parlent jamais de ce qui est critique pour la transformation, du comment, des dispositifs, des outils, des méthodes, de la consistance de leurs équipes, dans un monde de haute compétition, de disruption et de déconstructions continues comme leviers de la victoire finale.

Ces recherches et ces publications tendent à établir qu’au fil du temps, ces types de leaders sont les acteurs de leur propre chute pour diverses raisons comme leur penchant à créer leurs propres ennemis, à détruire leurs propres alliés et « followers », etc. Certes, des circonstances historiques ou culturelles peuvent jouer en leur faveur et les amener au pouvoir, sous l’effet de

paradigmes et d’espoirs circonstanciés par exemple lorsque les gens recherchent un prétendu sauveur au charisme élevé et qu'émerge une forte convergence avec des « followers » engagés.

De la lecture inversée d’un leadership politique transformationnel, pourtant nécessaire

La transformation structurelle implique un leadership permettant l'adhésion de plusieurs parties prenantes par des initiatives impactant la vision, la culture et les capacités d'une masse critique de personnes, disons de « changemakers ». C’est donc une œuvre collective qui ne résulte pas du génie salvateur d'un seul leader mais beaucoup plus probablement de leaders transformationnels qui sauront bâtir une coalition pour l’excellence et attirer une masse critique latente, la convaincre qu'il y a des défis urgents qui méritent d'être affrontés. Une telle évolution nécessite donc un processus capable de déclencher un voyage dans des modèles de gouvernance, de management, de surveillance, de leadership et de convaincre que la transformation proposée est urgente et peut impacter positivement les vies et les organisations. Dès lors, les enjeux du débat vont au-delà d’assises et de pactes, de réformes institutionnelles, certes nécessaires, mais pas suffisantes ! Comment croire en un leader qui n'a pas formalisé une vision porteuse d'impacts transformationnels ? Le pourquoi ? Mais plus décisif encore le comment ? Avec qui ? Des leaders politiques sérieux et crédibles devraient donner certaines preuves, voire certaines garanties, en termes de capacités à:

- penser de façon stratégique pour initialiser et définir les défis initiaux, proposer un état futur désirable attestant d’une vision et de projets transformationnels consistant, en ce sens, déclencher un tourbillon des vertus, de disruptions et de déconstructions qui s’imposent aujourd’hui au Sénégal et l’Afrique ;

- aiguillonner, donner du sens, voire de la signification aux autres en créant une culture collective transformationnelle, faire faire au lieu de faire à la place de ceux qui savent et peuvent ou qui sont au plus près de l’action ;

- créer d’autres leaders et des équipes qui gagnent dans ce monde de haute compétition et qui soient à même d’accomplir des choses qu'un seul cerveau ou un seul individu ne saurait accomplir seul ;

- faire preuve d'esprit critique et à induire des changements intelligents dédiés aux impacts au profit des autres, à leur développement, aux innovations.

Face à des citoyens désarmés, la mise à leur disposition de stratégies et d'outils leur permettant de faire aux leaders toxiques est plus qu’urgent, ce qui leur fournirait une base d’analyse et d’action pour[1]:

- formaliser des stratégies de confrontation face aux comportements de ces leaders toxiques préjudiciables aux tiers et organisations ainsi armés pour exprimer directement leurs préoccupations, fournir des preuves et privilégier la résolution des problèmes par une communication ouverte ;

- plaider en faveur d’une culture orientée vers le changement qui privilégie la transparence, la responsabilité et le comportement éthique face à l'influence des leaders toxiques ;

- formaliser des mécanismes de dénonciation tout en éduquant les gens sur l’utilisation de tels mécanismes de signalement de comportements non éthiques, à l’abri de représailles.

- créer des alliances entre partenaires guidés par les mêmes préoccupations d’excellence, ce qui permettrait de générer une action collective plus efficace pour réaliser des changements pertinents et pour faire face aux leaders toxiques ;

- rechercher des soutiens externes tels que des conseils juridiques ou de la part d’organismes de régulation permettant en cas de besoin de tenir les leaders toxiques responsables ;

- documenter les cas de comportements toxiques par des preuves, l’enregistrement des incidents spécifiques et de leurs impacts, n somme obtenir un dossier bien ficelé face aux followers lorsqu'ils soulèvent des préoccupations ;

- renforcer la résilience en mettant à disposition des moyens permettant de faire face au stress émotionnel du leadership toxique par des conseils, des groupes de soutien ou des ateliers de e renforcement de la résilience émotionnelle et psychologique ;

- fournir aux gens des opportunités de développement professionnel par l’acquisition de compétences et de connaissances ;

- renforcer les capacités en formant au leadership en direction de personnes aspirant à des fonctions de direction pour constituer un vivier de leaders compétents et réduire la dépendance à un seul leader toxique ;

- sensibiliser et éduquer au leadership toxique en fournissant des ressources éducatives par des ateliers ou des séminaires afin de constituer une masse critique de gens mieux équipés capables de réagir face aux comportements toxiques ;

- intensifier les plaidoyer pour des changements de politique au sein de l'Etat et du pays face aux arguments des leaders toxiques par la promotion de directives éthiques claires, de politiques de protection des dénonciateurs et de mécanismes d'évaluation de l'efficacité du leadership ;

- offrir des stratégies de sortie pour les adeptes désirant quitter un environnement dominé par un leadership toxique par des stratégies et politiques de gestion des ressources humaines, voire des talents ou autres.

Au total, les enjeux de la transformation peuvent être mal posés lorsque ceux au pouvoir n’envisagent pas un tel défi sous l’angle de leaders dont la mission principale est l’empowerment et lorsque se perpétue le mythe de dirigeants soucieux de leur propre succès. Si nous voulons une transformation capable d’impacter nos vies, il faut encourager l’émergence de leaders capables de sacraliser une expérience client et citoyenne centrée sur la création de valeurs à notre profit, au profit de nos enfants, de nos parents, de nos entreprises, etc. De tels leaders sont quasi-invisibles pour l’instant ; pourtant ce sont eux qui seraient capables de nous montrer la voie, d’élever leurs voix pour qu’ensemble nous fassions nous-mêmes la transformation. En conséquence, un grand défi est comment construire des systèmes capables de nous éviter les risques de la «pathocratie» qui font qu’aujourd’hui divers pays, gouvernements, pays, organisations, soient dirigés par de tels profils et comment alors empêcher que la démocratie ne soit un facile levier d’accession au pouvoir de ces profils à risque.

Dr. Abdou Karim GUEYE. Inspecteur général d’Etat à la retraite.

Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM).

DBA/MBA/ENAM/Faculté de droit.

[1] CF Jean Lipman-Blumen – The Allure of Toxic Leadership. Why We Follow Destructive Bosses and Corrupt Politicians--and How We Can Survive Them

Why We Elect Narcissists and Sociopaths―and How We Can Stop! Bill Eddy

Section: 
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