Des écuries défient l’arrêté préfectoral
Malgré l'interdiction notifiée, il y a 2 mois, par le préfet de Dakar, des lutteurs continuent de s'entraîner dans les écoles.
Le soleil continue de darder ses rayons même si le temps est devenu plus doux en cette fin d'après-midi de décembre, dans la banlieue dakaroise. Clément, et donc très loin des périodes caniculaires de septembre-octobre. Cependant le quotidien de Ouz*, la vingtaine dépassée, n'a quasiment pas changé. Toujours ponctuel au rendez-vous. Vêtu d'un pantalon blouson bleu-nuit, en mode check-down, le jeune pénètre dans l'enceinte de l'École II de Guédiawaye. En guise de salutation, il lève sa main, faisant constater ses gros muscles. ''Djaa djef way !'', dit-il en wolof. ''Begee !'', lui répondent-ils de leur côté, dans le nouveau jargon des jeunes dits branchés. Après lui, de nombreux autres jeunes aux biceps et aux cuisses impressionnants arrivent en masse. C'est ''l'appel des arènes'' qui vient de sonner. Il est 17 heures et tous les lutteurs restent fidèles au rendez-vous, pour une séance d'entraînement dans cet établissement scolaire.
Pourtant le préfet de Dakar a envoyé, en novembre dernier, une circulaire pour notifier l'interdiction aux lutteurs de s’entraîner dans les écoles. Mais aux Écoles II et XVI de Guédiawaye, comme à l'École PAZ des Parcelles Assainies, c'est le même quotidien que trois ou quatre mois ou encore deux ans auparavant. Les pensionnaires des écuries continuent de vaquer à leurs occupations. ''Ce n’est pas qu’on ne veut pas quitter les écoles et ou qu'on défie l’interdiction préfectorale, mais c'est parce que nous n'avons pas où aller si jamais nous devons quitter les écoles'', tente d’expliquer, sous le couvert de l’anonymat, un chef d’écurie trouvé à Pikine. A l’en croire, il leur est impossible de s'entraîner sur les plages : ''Il y a un nombre pléthorique de lutteurs, qui dépasse la cinquante, au niveau des écuries. En outre, il faut noter que la lutte est un sport qui nécessite beaucoup de 'soutoura' (discrétion) et de sécurité, mystiquement parlant. Et de telles pratiques ne peuvent pas se faire sur les plages. Celles-ci ne sont la propriété privée de personne'', argue-t-il.
''Nous voulons des mesures d'accompagnement''
Les écuries de lutte ne sont donc pas prêtes à se plier à la circulaire du préfet de Dakar. Pour les aider à déguerpir des établissements scolaires, elles préconisent une politique infrastructurelle viable. ''Il faudra que cette interdiction vienne avec des mesures d’accompagnement, comme la création de centres sportifs au niveau de la banlieue. On ne peut pas nous imposer une telle mesure alors qu’on ne nous propose rien en retour. Il faut que nos gouvernants sachent que la lutte est un facteur de développement'', tient à rappeler notre interlocuteur. Même son de cloche chez un lutteur trouvé à Guédiawaye.
Ce dernier va plus loin en affirmant : ''notre sport national n’est pas une chose qui peut être intellectualisée''. ''La lutte n’est pas une chose qu’on peut gérer depuis les bureaux, c’est plus loin que cela. Il est impossible d’intellectualiser ce sport qui draine de la foule et qui fait nourrir des milliers de personnes. Je n’ai rien contre les auteurs de cette interdiction mais je pense qu’il fallait qu’on associe les acteurs de la lutte avant de prendre une telle décision'', a hurlé le lutteur, qui suait à grosses gouttes, avec sa montagne de chairs. Il poursuit : ''Comment peut-on nous demander de quitter les écoles alors que nous ne savons plus où aller ? C’est comme si on demandait aux intellectuels de ne plus se rendre au bureau le matin. J’invite les autorités à nous réunir pour parler de cette interdiction qui hante notre sommeil. Si vous voyez que nous tardons à quitter les écoles, ce n’est pas par défiance''. Pour ce champion qui a capitalisé plus d’une dizaine d’années d’expérience dans la lutte, toutes les écuries de lutte de la région de Dakar doivent se souder afin de pousser les autorités à revenir sur cette décision.
''Influence négative sur les apprentissages des élèves''
Les acteurs de cette discipline sportive, qui appellent à une solidarité entre eux, ne pourront toutefois pas compter sur un des leurs. Un autre jeune lutteur, trouvé dans une écurie sise à Pikine, ne partage pas le même avis que les interlocuteurs. Il approuve totalement la mesure prise par le préfet. ''Moi, je suis pour que les lutteurs quittent les cours des écoles, même si je suis un acteur de la lutte et même si cette discipline est mon gagne-pain. Il ne faut pas être égoïste dans la vie. Nous arrivons toujours vers 17 heures dans les écoles alors que les potaches, qui sont l'avenir de ce pays, sont encore dans les classes. Forcément nous les perturbons. Et quoi que l'on dise, nous avons une influence presque négative sur leurs apprentissages. Nous les influençons, sans le savoir, à abandonner les études au profit de la lutte'', a martelé le jeune champion. Selon lui, il ne suffit pas simplement de prendre des décisions, mais il faudra que cela soit accompagné de rigueur pour obtenir gain de cause dans cette interdiction.
Ouz* : nom d'emprunt
CHEIKH THIAM
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