Voyage dans les villages qui n’émergent pas
A l’heure où au Sénégal, on parle de PUDC, de PSE, de pôle urbain de Diamniadio, le monde rural vit toujours dans l’attente d’un semblant de développement. Enclavement, déficit ou absence totale d’infrastructures scolaires ou sanitaires, des jeunes sans emploi… Bref, on reste toujours embourbé dans le sous-développement. Se sentant laissés à eux-mêmes, les ruraux demandent leur part dans ces nouveaux projets de développement. EnQuête s’est promené dans les villages de Mbassis, Diohine, Gadiack, des contrées qui cherchent la signification du mot émergence. Reportage.
A Dakar, les infrastructures de dernière génération ! À l’intérieur du pays…même pas les miettes. Dans le milieu rural, le visiteur a l’impression que le Sénégal s’arrête à Diamniadio. Le contraste entre les deux mondes est à la fois surprenant et saisissant. A hauteur de Keur Martin, sur la route nationale qui mène à Fatick, des charrettes sont accostées à droite dans l’attente d’un client. En effet, dès que vous empruntez la piste qui mène vers Mbassis, Gadiack et Diohine, plus question de rouler sur une voie goudronnée. Au contraire, le reste du trajet se fait sur une route ravinée, latéritique et poussiéreuse.
Au fur et à mesure qu’on s’enfonce, l’état défectueux de la route rend la progression plus difficile. Le chauffeur est contraint de slalomer, afin d’éviter un nid de poule par-ci, des arbrisseaux par-là. Il faut juste avancer avec précaution pour ne pas crever un pneu ou s’enliser. Le conducteur suit le sillon déjà tracé par les nombreux passages antérieurs. D’ailleurs, il est rare de rencontrer un autre véhicule.
Manque criard d’infrastructures
Après plusieurs kilomètres chaotiques, enfin un village : Mbassis. Ici, tout manque : infrastructures de base, électricité, réseau téléphonique, établissements scolaires et sanitaires. “Des mesures d’urgence s’imposent pour le bitumage des voies. Pendant la saison hivernale, les routes sont impraticables. D’ailleurs, les voitures n’osent pas s’y aventurer’’, gémissent nos interlocuteurs. ‘’Nous manquons de tout. Le poste de santé est distant de 5 kilomètres. Nous sommes des cultivateurs et nous n’avons pas d’engrais, ni de semences. Nos enfants diplômés sont sans emplois. Ils sont là dans les champs. C’est vraiment triste et désolant’’, rouspète Made Diouf, chef du village de Mbassis.
Les élèves aussi vivent le calvaire. Les écoles sont très éloignées des villages. En période hivernale, les études deviennent infernales. ‘’Nos enfants, pour aller à l’école, enlèvent leur habits pour pouvoir traverser le marigot. Si nous avions un pont qui relie Mbassis et Senghor, ce serait une aubaine pour nous’’. Les habitants veulent aussi que des routes praticables qui connectent les villages entre eux. ‘’Nous voulons que le Sénégal émergent arrive jusque dans la zone rurale. Nous avons foi en Macky Sall et nous voulons que le PSE soit aussi pour le monde rural’’, déclare Paul Faye, professeur à l’INSEPS.
L’enclavement freine le développement économique
Dans ce bourg de 900 âmes, il n’y a pas une seule unité de transformation de produits locaux. Le seul moulin disponible tombe souvent en panne. Ainsi, les femmes sont confrontées à d’énormes difficultés liées aux activités génératrices de revenus. ‘’Nous avons pu réparer le moulin, il y a peu de temps, grâce à Paul Faye. Il habite Diohine, mais c’est comme s’il habitait dans notre village, car il nous aide dans plusieurs domaines’’ témoigne Ndéye Diouf, reconnaissante. Pourtant, il suffirait que le moulin soit en bon état pour qu’il soit possible d’avoir des activités rémunératrices. ‘’Avec un matériel de transformation adéquat, nous pourrions au moins transformer le mil et le commercialiser’’, explique Ndéye. La machine consomme 10.000 francs par jour, entre le gasoil et les frais d’entretien. Lorsqu’elle tombe en panne, les femmes sont contraintes d’aller jusqu’à Diouroup ou Diarrére, des localités lointaines, pour piler le mil.
Malgré tous les obstacles, elles refusent de céder à la fatalité. Très dégourdies et bien organisées, ces femmes s’activent dans le micro-jardinage. Elles cultivent l’oignon, le chou, la carotte, le navet, la tomate, la mangue, l’anacarde et le jujube. Mais, faute de routes, elles ne peuvent pas écouler leurs produits. ‘’On loue une charrette à 1000 francs ou 1500 francs pour rallier la route nationale. De là, nous prenons un car pour Fatick. Avec les mauvaises pistes, à quelle heure allons-nous atteindre le marché, vendre nos produits et rentrer à la maison ? C’est difficile de pratiquer une activité génératrice de revenus’’, se plaignent-elles. Alors que la terre est très riche pour développer l’agriculture. D’ailleurs, les jeunes à défaut d’un emploi, se lancent dans le secteur agricole. Mais là aussi, le manque de moyens financiers, d’équipements et d’intrants vient leur compliquer la tâche, explique Made Diouf, chef du village.
Ici, les habitants regrettent le dénuement dans lequel ils se trouvent. ‘’Les routes et les édifices ne se mangent pas. Ils construisent, inaugurent, au moment où nous qui sommes dans le milieu rural, n’avons ni électricité, ni écoles. C’est ça le Sénégal. On entend parler de milliards. Pourquoi l’Etat n’injecte-t-il pas de l’argent dans les infrastructures destinées aux zones défavorisées ?’’, lance l’étudiant Sébouré Diouf. Avec dépit, il poursuit : ‘’On parle de milliards injectés dans l’éducation, dans la santé, dans l’électricité et le financement, alors que pour nous soigner, il nous faut faire des kilomètres. Idem pour l’éducation. Dès qu’on arrive à Keur Martin, la route devient impraticable. Et cela depuis que nous sommes nés’’.
L’école, le parent le plus pauvre
Après Mbassis, cap sur Gadiack. Les villageois reçoivent la visite de leur ancien maire Paul Faye, venu leur apporter son soutien pour le chantier du CEM qui en construction. En effet, le seul établissement du moyen secondaire se trouve à Diohine. Les élèves font des kilomètres pour le rallier. Ce CEM polarise 6 villages et compte 1.702 élèves. Mais, il est confronté à un manque d’enseignants, car ceux qui viennent préfèrent demander une affectation. ‘’On trouve des écoles de 6 classes avec 2 enseignants. Cette situation, on la trouve dans tous les établissements de la zone’’, confie Youssouf Dramé, le directeur de l’école du village. ‘’Ici les enfants sont confrontés à beaucoup de problèmes. Le seul CEM se trouve à des dizaines de kilomètres par rapport aux 6 villages qu’il polarise. Chaque jour, des enfants qui quittent leurs villages font 20 kilomètres aller-retour pour rallier l’établissement’’. Conséquences : ‘’ils passent toute la journée, certains sans prendre un repas. Ils quittent à 6 heures du matin pour revenir à 19 heures, ce qui est très difficile pour les enfants’’, explique Youssouf Dramé. Qui regrette que beaucoup d’enfants abandonnent leur scolarité. ‘’Le taux d’abandon ici est le plus élevé dans tout le Sénégal. C’est lié aux difficultés que les enfants rencontrent pour rallier leur établissement. Il y a peu d’enseignants. La zone est tellement démunie qu’ils ne veulent pas rester. La zone est tellement enclavée qu’un enseignant qui fait deux ans demande déjà à partir’’. ‘’Je demande à l’Etat d’aider à la construction du CEM. Ce qui va retenir beaucoup d’enfants à l’école’’, plaide l’enseignant.
Ce même constat est fait par Sémou Diouf, le proviseur du lycée de Diohine. ‘’Je suis à Diohine, depuis quatre ans. Chaque année, les parents construisent deux salles de classes. L’effort que l’Etat devait faire, c’est les parents qui le font’’. Il ajoute : ‘’Il y a huit villages qui sont à 8 kilomètres et plus de Diohine. Les élèves ne peuvent pas rentrer chez eux, l’après-midi, et revenir, vu la distance. Donc, ils sont obligés de passer leur journée au lycée, sans manger. Certains se rabattent sur les arachides pour s’alimenter. Le soir, ils rentrent chez eux fatigués pour apprendre leurs cours’’. Malgré tous les obstacles, les élèves parviennent tant bien que mal à relever le défi. ‘’Les meilleurs élèves sont ceux qui vivent hors de Diohine’’, indique le proviseur.
Zéro médecin, zéro infirmier et zéro sage-femme
Outre, la délicate question de l’école, Gadiack et Mbassis vivent avec zéro médecin, zéro infirmier et zéro sage-femme. ‘’Nous sommes des laissés-pour-compte. Pour nous soigner, il nous faut faire des kilomètres. Nous ne faisons pas partie du Plan Sénégal Emergent (Pse). L’émergence s’arrête à Dakar’’, indique Paul Faye. Youssouf Dramé lui dit toute sa peine de voir les femmes souffrir, quand leurs progénitures tombent malades. ‘’Le village est trop éloigné des postes de santé. L’Etat doit aider à avoir une case de santé’’. Ainsi, ce sont les cadres issus de la zone qui en prennent pour leur grade. ‘’La commune a beaucoup de cadres. Certains ne plaident pas pour notre communauté. Pourquoi ne pas amener dans leurs villages les évolutions mises en œuvre par Macky Sall ? Quand ils cherchent un électorat, nous les voyons. Mais, dès qu’ils sont élus, ils ne se préoccupent plus de la vie de leur village. Ils ne soutiennent même pas les étudiants’’, dit cette dame dont le ras-le-bol fait tâche auprès de ses concitoyens.
Electricité, l’énergie rare
Dans ces contrées, l’électricité est une énergie rare. On en est encore à la bougie et aux lampes-tempêtes, d’où les nombreux cas de vol de bétail. ‘’L’électricité demeure notre équation. Nos élèves ne peuvent pas faire des recherches sur internet, comme les autres. Nos multiples demandes n’ont pas encore porté de fruit. Pour charger leurs téléphones portables, ils doivent aller jusqu’à Diouroup”, renseigne Made Diouf. ‘’Nous vivons dans une insécurité totale. Si là où il y a de l’électricité, il y a de l’insécurité, imaginez là où il n’y en a pas. Le taux de réussite des élèves a aussi beaucoup diminué, à cause de ce manque d’électricité. Même pour les bougies, on ne peut pas tous s’en procurer par manque d’argent’’, dit Sébouré Diouf.
Les jeunes n’ont aucune activité. Et pourtant ce ne sont pas les idées qui manquent. Le rappeur de Mbassis, Ibrahima Ngom dit ‘’Mc Djiné’’ déclare : ‘’Nous sommes jeunes et nous avons besoin qu’on nous aide dans le milieu où nous voulons évoluer qui est la musique’’. “Nous attirons l’attention de l’État et nous croyons en la bonne volonté de notre président Macky Sall'', dit Paul Faye. L’ancien maire compte créer un cadre de concertation pour le développement des différentes localités. Ainsi, dans chaque village, un comité villageois de développement sera mis en place.
KHADY NDOYE (MBOUR)