L’urgence d’une intervention signalée
La situation des migrants sénégalais bloqués dans le désert du Niger est particulièrement préoccupante, selon l'Action pour les droits humains et l'amitié (Adha). L'organisation relève qu'il y a 42 migrants à Assamaka, bloqués depuis plus d'un mois, et 41 à Agadez qui attendent depuis près de cinq mois. À l'occasion de la Journée internationale des migrants, les autorités sénégalaises sont appelées à agir face à cette situation alarmante.
La migration, loin d'être un simple phénomène transitoire, constitue une réalité structurelle, influencée par des facteurs économiques, politiques et climatiques, selon le Bureau exécutif de l'Adha.
‘’Pourtant, les politiques publiques, tant nationales qu'internationales, peinent à répondre aux défis complexes qu'elle soulève, alimentant ainsi des violations systémiques des droits fondamentaux’’, a regretté le président de l’Adha, hier, à l’occasion de la Journée internationale des migrants célébrée le 18 décembre. Adama Mbengue a dressé un tableau critique avec des chiffres alarmants.
En 2024, près de 60 216 migrants ont rejoint l'archipel espagnol des Canaries de manière irrégulière, dont 57 738 par voie maritime, d'après lui. Ce chiffre record met en évidence l'incapacité des politiques actuelles à freiner les flux migratoires, selon M. Mbengue. Il note qu’en parallèle, des Sénégalais expulsés d'Algérie et de Tunisie se retrouvent bloqués dans les camps de l'OIM au Niger, ‘’dans des conditions extrêmement difficiles, privées d'accès aux soins, à l'eau potable et à une alimentation adéquate’’.
‘’La situation des migrants sénégalais bloqués dans le désert du Niger est particulièrement préoccupante : 42 à Assamaka, bloqués depuis plus d'un mois, et 41 à Agadez, qui attendent depuis près de cinq mois. Ils subissent des conditions de vie inhumaines, exposés à des risques accrus de maladies et de privations’’, a alerté Adama Mbengue.
D’ailleurs, des membres de leurs familles et proches ont témoigné de cette situation. Abass Ndour en est un. ‘’Ils vivent dans des conditions très difficiles. Il faut tout faire pour qu’ils reviennent au plus vite. Déjà, on entend qu’il y a des morts là-bas’’, a-t-il dit.
Parent d’un migrant, Cheikh Boune Diène demande une intervention immédiate. ‘’Il faut prendre en charge nos frères de la diaspora qui sont dans des difficultés. C’est pour chercher une vie meilleure qu’ils ont quitté le territoire. Aujourd'hui, seule leur paix peut leur venir en aide. Les Blancs, quand un de leurs ressortissants est en difficulté, font tout pour le soutenir, quel que soit l'endroit où il se trouve. Donc, nous demandons au gouvernement sénégalais de s’occuper de cette situation’’, a ajouté l’activiste Diagne Solution.
Au Sénégal : financement massif, manque de résultats
Président de l’Adha, Adama Mbengue a aussi parlé du paradoxe sénégalais : financement massif, manque de résultats. D'après lui, le Sénégal, bénéficiaire de financements considérables par le biais du Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique et d'autres mécanismes, n'a pas su transformer ces ressources en solutions durables. ‘’Les projets menés, davantage orientés vers les attentes de l'Union européenne que vers les besoins réels des populations, engendrent frustrations et critiques’’, a-t-il constaté.
Il dénonce des détournements et l’inefficacité. ‘’Les fonds destinés à la lutte contre la migration irrégulière et au développement local souffrent souvent d'une gestion opaque et de détournements, exacerbant la méfiance des communautés. Les migrants de retour et les associations locales, censés être les principaux bénéficiaires de ces programmes, dénoncent leur marginalisation et l'absence de résultats tangibles’’, soutient Adama Mbengue.
En outre, il regrette un manque de solutions structurelles. À l’en croire, plutôt que de promouvoir des initiatives alignées sur les contraintes structurelles du Sénégal, ces projets visent principalement à satisfaire les objectifs sécuritaires des bailleurs de fonds.
À cet effet, l’Adha a formulé des recommandations pour un changement de paradigme. La première consiste à garantir une gouvernance transparente et responsable.
En effet, l’Adha invite le président de la République à ordonner un audit national et international des institutions publiques et privées ayant bénéficié de financements liés à la migration ou au développement. Cet audit devra : identifier les détournements et dysfonctionnements, sanctionner les responsables conformément aux lois nationales et internationales, et restaurer la crédibilité du Sénégal auprès des partenaires et citoyens.
En deuxième lieu, Adama Mbengue et ses collègues demandent l’adoption de politiques nationales adaptées aux besoins locaux. Il s’agit de revoir le système éducatif pour offrir aux jeunes une formation adaptée aux réalités économiques. Il est également question de renforcer le droit du travail, souvent bafoué, pour garantir des conditions de travail décentes et réduire l'exode économique.
Troisièmement, l'Adha invite le gouvernement à placer les droits humains au cœur de la gestion migratoire. ‘’L'État sénégalais doit respecter ses engagements en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Les migrants bloqués dans les camps de l'OIM au Niger doivent bénéficier d'un rapatriement immédiat, dans des conditions respectant leur dignité et leurs droits fondamentaux’’, a dit Adama Mbengue.
Le quatrième point invite à réorienter la coopération internationale. D’abord, concernant les financements de l'Union européenne, ceux-ci doivent s'aligner sur les besoins structurels et conjoncturels du Sénégal, plutôt que sur des priorités sécuritaires, d'après l’Adha. L'organisation demande également une approche participative incluant les migrants, la société civile et les acteurs locaux pour garantir l'efficacité des programmes.
En cinquième lieu, il faudrait mobiliser la société civile et les citoyens. ‘’Les organisations de la société civile doivent se tenir à l'écart de toute gestion opportuniste des financements, en assurant une vigilance accrue contre les détournements. Chaque citoyen a un rôle à jouer pour promouvoir une culture de responsabilité et de transparence’’, indique Adama Mbengue.
Par ailleurs, l’Adha soutient qu’il faut aller vers un avenir inclusif et respectueux des droits humains. Elle rappelle que, conformément à l'article 13 de la DUDH, "toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État” et que les restrictions actuelles ne doivent jamais justifier des violations des droits fondamentaux.
La célébration de la Journée internationale des migrants consiste à honorer la résilience des millions de migrants à travers le monde. Inscrit dans le calendrier des Nations Unies depuis 2000, cet événement permet de promouvoir la dignité humaine, tout en interrogeant les mécanismes actuels de gestion migratoire.
BABACAR SY SEYE