Publié le 13 Dec 2023 - 19:12
RADIATION D’OUSMANE SONKO DES LISTES ÉLECTORALES

 Le tribunal se prononce demain 

 

Si le tribunal d’instance de Ziguinchor avait vidé l’affaire en une journée, celui de Dakar prendra 48 heures pour rendre sa décision sur ce nouveau procès essentiel en vue de la participation d’Ousmane Sonko à la Présidentielle de 2024.

 

Comme attendu, les plaidoiries ont été âpres entre les avocats de l’État du Sénégal et ceux d’Ousmane Sonko, hier, au tribunal de première instance de Dakar, lors de l’audience du procès opposant Ousmane Sonko à l’État autour de sa radiation des listes électorales. Au terme d’une journée chargée, le juge a décidé de rendre publique sa décision le 14 décembre 2023.

Avant même le début des plaidoiries, une dispute a éclaté entre les deux parties sur le temps imparti pour plaider. Au nombre de 35, les représentants de l’opposant ont vu d’un mauvais œil que le juge accorde le même temps de parole (4 heures) à toutes les parties au moment où les avocats de l’État sont au nombre de 5. D’ailleurs, l’un d’entre eux a accusé le juge de prendre parti. Ce à quoi ce dernier a répondu : "Je ne  vous permets pas de dire que j'ai pris parti. Vous ne me connaissez pas. Retirez ces propos !"

C’est Me Ousseynou Fall qui a lancé les premières hostilités pour le compte de la plaidoirie des avocats d’Ousmane Sonko. Il a fait remarquer : ‘’La première entorse à la défense, c'est de limiter les droits du prévenu afin qu'il ne soit pas défendu comme il le faut. L'État qui s'oppose à ce droit légitime n'a pas sa place ici, ni l'agent judiciaire qui le représente. Pour exercer une action en justice, il faut avoir l'intérêt à agir. Quel est le grief que l'État peut nous opposer ? Ici, c'est l'esprit de Macky Sall qui n'a pas digéré que sa troisième candidature soit écartée et il a juré d'écarter Ousmane Sonko. Il s'acharne sur lui en créant toutes sortes de problèmes et comme il n’y arrive pas, il a rendu juridiques les choses.’’

Il sera conforté par Me Ndoumbé Wane qui estime qu’‘’il n’y a pas eu d’acte de notification. Ce qui veut dire que l’État agit comme il le veut. Sonko a été informé de sa radiation par son mandataire Ayib Daffé. Vous aviez une décision de contumax ; il faut le faire comme le dicte la loi. Il a été arrêté avant les délais. Ce qui a anéanti les décisions de contumax’’.

C’est sur ces arguments que s’est basé Me Saïd Larifou, septième avocat de Sonko. Selon lui, l’opposant n’est pas en conflit avec l’État du Sénégal, mais avec certains agents de l'État qui utilisent tous les moyens pour le démolir. ‘’Certains agents du Sénégal sont en train de démolir la démocratie du pays. Il n’y a pas eu de décision de radiation. Sonko est victime d’un abus de pouvoir par des agents de l’État.

Ce qui me choque et qui me révolte, c’est la précipitation des procédures et diligences pour arriver à leur fin. C’est malsain comme procédure et ça n'honore pas du tout le Sénégal. La décision de radiation n'existe pas. La signification n'a pas été faite. Monsieur le Président, la dimension juridique doit l’emporter sur le dossier et vous avez la matière pour le faire’’.

Un autre moment fort de la plaidoirie des avocats du maire de Ziguinchor fut l’intervention de Me Massokhna Kane qui a demandé au juge de déclarer nulle la radiation de Sonko. Car l’Administration, pour l’éliminer, s’est acharnée sur Ousmane Sonko à travers combines et magouilles. ‘’Il y a de faux PV qui ont été produits et fabriqués par la police, mais ils ont été démentis le 30 septembre par l’huissier qui est parti et qui est revenu dire qu’il n’y a pas eu d’affichage.

C’est tellement grossier. Il n'y a absolument aucune décision de radiation et il n’y a pas eu d’acte de notification de radiation. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a eu un acte abusif et irrégulier de la part de la DGE envers Sonko. Qu’il pleuve ou qu’il neige, Ousmane Sonko sera candidat’’.

Lors du jugement du 12 octobre au tribunal de Ziguinchor, le juge Sabassy Faye avait soulevé un vice de procédure pour écarter la radiation administrative d’Ousmane Sonko qui, selon lui, n’a pas respecté l’article 311 du Code de procédure pénale (CPP). Constatant qu'en l'espèce, aucune preuve des formalités qui permettent d'appliquer la déchéance n'a été versée à la procédure, le président du tribunal d’instance de Ziguinchor avait jugé que la demande du requérant est juste et fondée, et que la mesure de radiation du nom de Ousmane Sonko des listes électorales est irrégulière.

Par contre, les avocats de l’État ont cité les articles 622 et 623 du Code procédure pénale qui ne citent pas l’impératif de notifier directement à Ousmane Sonko l’acte de sa radiation, tout en soutenant que l’huissier a usé d’autres moyens indiqués par la loi pour faire parvenir l’acte à qui de droit. Ils ont également indiqué que M. Sonko, de par les documents produits par ses avocats pour argumenter leur recours devant certaines juridictions comme la Cour de la CEDEAO, a prouvé qu’il était bien au courant de sa radiation par voie de presse, citant notamment des articles de presse du quotidien ‘’Yoor-Yoor’’ et du magazine ‘’Jeune Afrique’’ (l’entretien avec Ismaïla Madior Fall, ministre des Affaires étrangères parlant de contumace).

Pour répondre aux arguments des avocats de Sonko selon lesquels la contumace a anéanti son jugement dès son arrestation, les avocats de l’État ont insisté sur le fait que le juge du tribunal d’instance de Dakar n’avait pas compétence à se prononcer sur l’effectivité de la contumace.

Estimant que l’Administration a respecté les formes dans la procédure de radiation du chef de l’opposition, la défense de l’État a misé sur la forclusion de la demande faite par Ousmane Sonko qui n’aurait pas respecté les délais. Ainsi, estiment-ils, ‘’entre le 19 et le 24 août, aucun acte de recours n’a été  fait. L’huissier a fait son rôle.

Donc, nous considérons qu’il y a forclusion. Monsieur Sonko avait un délai pour agir, il ne l’a pas fait. Son inactivité a eu des conséquences et il a été sanctionné par la loi. L’autorité qui a radié Sonko s’est conformée aux règles. Sonko n’a pas justifié de moyens sérieux pour sa retraite des listes électorales. Toutes ses tentatives vont échouer, parce qu'elles sont mal fondées’’.

Encadré

PARTICIPATION OUSMANE SONKO À LA PRÉSIDENTIELLE

Une infime chance entre les bras du juge

Deux mois se sont écoulés entre l’audience du 12 octobre à Ziguinchor, lors de laquelle le président du tribunal d’instance a ordonné la réinscription d’Ousmane Sonko sur les listes électorales et celle d’hier, au tribunal de première instance de Dakar, après la cassation prononcée par la Cour suprême du premier jugement cité. Dans la course contre la montre autour de l’enjeu de la participation à l’élection présidentielle 2024 de l’opposant, deux jours précieux seront perdus avant la décision du président du tribunal de première instance de Dakar qui rendra son verdict jeudi prochain.

Une décision qui respecte les formes juridiques. C’est l’avis de Me Clédor Ly, avocat d’Ousmane Sonko qui a déclaré, au sortir du tribunal : ‘’Cela fait partie du droit. Le juge a bien 48 heures pour délibérer. Si jeudi prochain, la décision n’est pas favorable à une partie ou une autre, les chambres réunies vont donner l’ultime décision.’’

Ainsi, cette affaire est appelée à se prolonger de nouveau devant la Cour suprême, quelle que soit la décision du juge demain. Déjà, précise le coordonnateur du pool d’avocats du maire de Ziguinchor, ‘’nous attendons de voir si le juge de Dakar va confirmer la décision de Ziguinchor ou s’il aura un autre point de vue qui sera nécessairement encore devant les chambres réunies de la Cour suprême’’, indiquant qu’un recours sera déposé si la décision venait à être défavorable à son client.

Il en sera sans doute ainsi pour l’autre partie dont le recours est à l’origine de ce retour au point de départ.

Alors que les prétendants à la Présidentielle de 2024 ont jusqu’au 26 décembre pour déposer leur dossier devant la Cour constitutionnelle chargée de vérifier et de valider les candidatures, le temps presse pour les avocats d’Ousmane Sonko actuellement en prison. À partir du 14 décembre, il ne lui restera plus que 12 jours pour déposer, si la décision du tribunal lui est favorable. Les fiches de parrainage lui ont été refusées et la caution déposée par son mandataire à la Caisse des dépôts et consignations a été retournée.

Malgré tout, les espoirs ne sont pas nuls pour les partisans du leader de l’ex-Pastef. Avec une décision favorable demain, le recours n’étant pas suspensif dans le cas d’espèce, selon les spécialistes, il gagnera le droit de déposer un dossier de candidature au Conseil constitutionnel. Même si la DGE avait refusé de prendre en compte la décision du tribunal de Ziguinchor de réintroduire Ousmane Sonko sur le fichier électoral, en se basant sur le recours introduit par l’agent judiciaire de l’État.

Si toutefois le tribunal de première instance de Dakar déboute sa demande de réintégration, s’en sera pratiquement fini des chances d’Ousmane Sonko de participer au scrutin du 25 février 2024. Même en introduisant un recours, Sonko devra compter sur un miracle afin de voir la Cour suprême vider cette affaire avant la date limite de dépôt des parrainages.

Lamine Diouf

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