Voyage à bord du ‘’Cargo salvateur’’
Le récital quotidien du ‘’Foulkoul Mashoune’’, marque de fabrique de la région de Diourbel, est très suivi dans la ville et même à travers le monde, grâce aux technologies de l’information et de la communication. ‘’EnQuête’’ vous plonge dans la ferveur et les secrets de cette tradition de Serigne Touba redynamisée par son fils Serigne Bassirou Mbacké.
‘’Keur Gou Mack’’ (maison de Serigne Touba à Diourbel) située en face de la grande mosquée de Médinatoul, est rempli de fidèles mourides, en ce deuxième jour du mois de ramadan. Ces disciples, venus d’horizons divers (Diourbel, Touba, Mbacké et villages environnants), ont rejoint les lieux après la prière de 17 h, pour prendre part au ‘’Foulkoul’’ (séances de récital de ‘’Khassaides’’ pendant le mois de ramadan). Jeunes, vieux et enfants ont convergé vers cet endroit qu’ils ont érigé en quartier général depuis le début de ce mois béni du ramadan. La grande salle rectangulaire, construite à l’entrée de cette vaste concession, est devenue trop étroite pour contenir l’innombrable foule. Cet espace peint aux couleurs beige et bleue fait le plein avant 17 h 30.
Ce qui attire l’attention, c’est la discipline qui règne sur les lieux. Tout le monde s’assoit sur des moquettes, personne ne bouge. Certains égrènent leur chapelet, d’autres psalmodient des versets du Coran ou de ‘’Khassaides’’. Le reste écoute religieusement le premier lecteur du jour, Abdoulaye Diakhoumpa. Les personnes préposées aux quatre portes d’entrée ont verrouillé l’accès, pour éviter d’éventuelles perturbations ou dérangements. Les retardataires, contraints de suivre l’évènement depuis la grande cour, se contentent alors des sons distillés par des haut-parleurs et des images diffusées par quatre écrans géants. Le mois de ramadan rime avec plusieurs actes de dévotion comme des séances d’exégèse du Saint-Coran, conférences religieuses…, dans les autres villes. Diourbel, elle, se particularise avec son ‘’Foulkoul’’.
Une tradition conservée par Serigne Bassirou et ses héritiers
Cette pratique se perpétue depuis plusieurs décennies, sous la houlette de la famille de Serigne Bassirou Mbacké (1895-1966). Ce dernier l’avait initiée en 1946, après la disparition du premier khalife général des mourides, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké (1945). Son objectif était de ressusciter une tradition que son père avait instaurée durant son séjour à ‘’Kër Gou Mack’’. La lecture du ‘’Foulkoul Mashoune’’ n’a pas été poursuivie après la disparition de Serigne Touba, en 1927. Serigne Bassirou, aidé par Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana, a rassemblé des écrits de son père pour en faire un recueil. Il confia alors à Serigne Mouhamadou Lamine Diop Dagana la lecture quotidienne avec des extraits différents d’un jour à l’autre.
L’événement de cette année est dirigé par Serigne Fallou Bassirou Mbacké. Cette tâche lui est dévolue par Serigne Mountakha Mbacké, empêché par ses nouvelles fonctions de khalife général des mourides. Le petit frère du khalife de Darou Minam, assis sur une moquette bleue, écoute, à l’instar de ses fidèles, le premier lecteur du jour, Abdoulaye Diakhoumpa. Ce dernier, vêtu d’un kaftan blanc, a récité des vers extraits du ‘’Khassaides Foulkoul Mashoune’’ (cargo rempli de bienfaits) pendant 45 minutes, avant d’être suppléé par Mountakha Guèye pour la seconde partie. Son successeur a, durant une heure de temps, tenu en haleine le public par des envolés, avec insistance sur certains passages. Serigne Fallou Bassirou Mbacké est resté sur sa posture tout au long de la séance, malgré son âge avancé. Le marabout est entouré de son petit frère Serigne Issakha Mbacké, du khalife de Serigne Mor Mbaye Cissé, Serigne Abdou Lahat Cissé, des petits fils de Khadim Rassoul et autres dignitaires de la confrérie mouride.
Selon Mountakha Guèye, les bienfaits de cette œuvre écrite par Cheikh Ahmadou Bamba sont inestimables. ‘’Assister à la prière du ‘Foulkoul’, pendant le mois de ramadan, procure la longévité. Il a aussi d’autres bienfaits, parce qu’il efface les péchés et éloigne de l’enfer’’. D’après lui, Serigne Touba disait dans ses écrits : ‘’Lorsque le ‘Foulkoul’ est lu, les portes de l’enfer sont fermées à jamais à ceux qui ont effectué la déclamation et ceux qui ont écouté religieusement jusqu’à son terme. Le paradis sera leur demeure. En plus, ils seront élevés au rang des grands saints et auront la miséricorde et la même considération que les valeureux qui ont consacré leur vie à l’adoration et au Jihad.’’
L’enseignant Mamadou Sow, lui, comprend bien la portée de cet ouvrage. D’après lui, le ‘’Foulkoul’’ préserve les jeûneurs contre le blâmable, en les empêchant de se livrer à des actes inutiles. ‘’Je ne vais nulle part pendant le ramadan. Je fréquente ce lieu depuis plus d’une décennie’’, témoigne-t-il.
Référence à la pirogue du prophète Noé
Selon l’historien Baye Mbaye Nguirane, Serigne Moustapha Bassirou, le fils aîné de Serigne Bassirou Mbacké, a perpétué cette tradition de 1966 à 2007, à la suite du rappel à Dieu de son père. Il avait confié la lecture à Tafsir Diop et à Makhtar Diop, deux fils de Serigne Mamadou Lamine Diop Dagana, Abdou Guèye Nguirane et Serigne Moussa Thioune. Mais Serigne Abdou Lahat Mbacké lui avait ordonné, en 1976, d’y ajouter un recueil de ‘’Khassaides’’ qu’il avait rassemblé. L’innovation consistait à procéder à deux récitations durant les 29 jours du mois de ramadan : une première partie consacrée au ‘’Foulkoul Mashoune’’ et une seconde réservée à ‘’Khourania’’ (recueil de poèmes dans lequel Cheikh Ahmadou Bamba fait l’éloge de certains versets coraniques). Aujourd’hui, Abdoulaye Diakhoumpa et Khadim Gadiaga récitent le ‘’Foulkoul’’. Mountakha Guèye se charge de la lecture de la seconde partie. Le ‘’Foulkoul’’, jusqu’ici spécificité de la ville de Diourbel, a été élargi à Kaolack, Porokhane et Thiès par Serigne Moustapha Mbacké qui leur a donné le ‘’Ndiguel’’ (autorisation). Serigne Mountakha Bassirou Mbacké a pris le relais en 2007. Il a présidé le ‘’Foulkoul’’ de 2008 à 2017, avant de confier la tâche à son frère Serigne Fallou Bassirou. Le chercheur ajoute aussi que le ‘’Foulkoul Mashoune’’ relate l’histoire du prophète Mouhamed (Paix et Salut sur Lui) et de ses prédécesseurs, en s’inspirant de la pirogue fabriquée par le prophète Noé pour sauver les croyants qui avaient répondu à son appel, après 950 ans.
L’absence de Serigne Mountakha ressentie
Le fait marquant du ‘’Foulkoul’’ 2018, c’est l’absence de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké. Des sources proches de la famille du khalife de Porokhane avaient annoncé que leur guide allait passer le ramadan à ‘’Kër Gou Mack’’. Mais le nouveau khalife général des mourides est finalement resté à Touba. D’après le responsable de la sonorisation, Moussa Seck, l’absence de Serigne Mountakha Mbacké est certes ressentie par les fidèles, mais cela ne les a pas empêchés de venir en masse. Pour lui, la fonction de khalife général des mourides ne lui permet pas de passer le mois de ramadan à Diourbel. ‘’Il a délégué son frère Serigne Fallou qui a été à ses côtés, ces dernières années. Il l’avait donc préparé. C’est pourquoi tout se passe bien. C’est comme si Serigne Mountakha était présent’’, tempère l’octogénaire.
Certains fidèles, venus prendre part au ‘’Foulkoul’’, rompent leur jeûne sur place, grâce à l’appui du Dahira Foulkoul Mashoune. Les travailleurs qui ne peuvent pas effectuer le déplacement sur Médinatoul écoutent le ‘’Foulkoul’’ chez eux où dans leurs lieux de travail avec l’aide des radios communautaires qui assurent la retransmission. Ces stations diffusent quotidiennement l’évènement en direct. L’avancée des nouvelles technologies de l’information et de la communication a permis aux fidèles mourides de Dakar et de la diaspora de suivre le ‘’Foulkoul’’ par le biais d’une retransmission en direct sur des sites internet et chaines de télévision.
PROFIL - MOUNTAKHA GUEYE, CHANTEUR DU ‘’FOULKOU’’ Une vie dédiée aux ‘’Khassaides’’ Après s’être rebaptisé pour prendre le nom de son guide religieux, Mountakha Guèye a consacré sa vie à la lecture des écrits de Serigne Touba. OUMAR BAYO BA Mountakha Guèye, chanteur attitré de la seconde partie du ‘’Foulkoul’’, était l’attraction, samedi dernier, à ‘’Keur Gou Mack’’. Il a fait pleurer l’assistance en versant des larmes devant les micros. La voix enraillée par les trémolos, il a finalement répété un vers à trois reprises avant de pouvoir le terminer correctement. Une scène qui a ému des dizaines de fidèles. Ces derniers, à la fin de la cérémonie, sont allés lui serrer la main pour le remercier de sa belle prestation. Ils lui ont demandé de formuler des prières pour eux. Cet homme de teint clair et de taille moyenne est bien connu de beaucoup de disciplines mourides. Chaque mois de ramadan, sa voix retentit tous les 29 jours, de 18 h à 19 h, sur les ondes des radios locales de Diourbel, de certaines stations de Dakar et sur des sites internet. L’homonyme de Serigne Mountakha Mbacké est à sa quarantième année de lecture de la seconde partie du ‘’Foulkoul’’. C’est Serigne Moustapha Bassirou Mbacké qui lui avait confié cette tâche, le dernier jour du ramadan de 1977, alors que le ‘’Foulkoul’’ était chanté par Makhtar Diop et Abdou Guèye Nguirane. ‘’Ce jour-là, Serigne Mountakha avait demandé à Serigne Moustapha Bassirou de prévoir une troisième lecture après la rupture. Elle était réservée à un ‘’Khassaide’’ dans lequel Serigne Touba faisait les adieux au mois de ramadan, coïncidant avec un mardi. Un problème s’était posé, car Abdou Guèye Nguirane ne pouvait pas continuer après une coupure d’électricité. Je me suis porté volontaire pour poursuivre, parce que je maitrisais cette œuvre’’, se souvient-il. Serigne Moustapha Bassirou, satisfait de cette prestation, lui demande de revenir l’année prochaine pour assurer la seconde partie du ‘’Foulkoul’’. ‘’Il m’avait dit que je remplissais tous les critères : une bonne maitrise de la langue arabe et une bonne prononciation, comme le souhaitait son père’’, ajoute-t-il. Mountakha Guèye, né en 1954, a appris le Coran en Mauritanie. Il a approfondi ses connaissances islamiques sur cette terre en étudiant le Fikh (jurisprudence islamique), le Tawhid (unicité de Dieu), le Nahu (grammaire arabe) et le hanroude (poésie). Son appartenance à une famille khadria ne l’empêche pas de changer de confrérie en devenant mouride. Selon lui, c’est le fondateur du mouridisme qui est à l’origine de son retour au Sénégal en 1974, lorsqu’il a lu un de ses ‘’Khassaides’’. ‘’Quand j’ai lu le ‘Khassaide Mazalikoul Djinane’, j’ai été ébahi par la qualité de l’écriture. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire allégeance auprès de ses héritiers. C’est un disciple mouride originaire de Louga et vivant en Mauritanie à l’époque, qui m’a mis en rapport avec Serigne Mountakha Bassirou Mbacké’’, renseigne-t-il. Le natif de Dagana, baptisé ‘’Khouya’’ par son père, a, par la suite, changé de prénom, en portant celui de son guide Serigne Mountakha. Ce dernier l’a incité, après son acte d’allégeance, à se consacrer à la lecture des ‘’Khassaides’’ et à la recherche sur les écrits de Khadimou Rassoul. Une instruction qu’il dit avoir suivie jusque-là. Cela lui profite bien. En dehors du ‘’Foulkoul’’ de Diourbel dont il assure la lecture quotidienne de la seconde partie, Mountakha Guèye anime des conférences sur le mouridisme au Sénégal et à l’étranger. DAHIRA FOULKOUL MASHOUNE Toujours au service de la famille de Serigne Bassirou Le Dahira Foulkoul Mashoune est le bras technique de la famille de Serigne Bassirou Mbacké dans l’organisation des activités religieuses durant le ramadan. OUMAR BAYO BA Le ‘’Foulkoul Mashoune’’ a connu une avancée rapide, grâce à la contribution du ‘’dahira’’ éponyme. Cette association, créée en 1982, sur instruction de Serigne Moustapha Bassirou Mbacké, a pour mission d’appuyer la famille de Serigne Bassirou basée à Diourbel pendant le déroulement du ‘’Foulkoul’’. Les membres du Dahira Foulkoul Mashoune veillent sur l’organisation, la sonorisation et la restauration des fidèles. Ce sont eux qui financent la connexion pour faciliter la retransmission de l’évènement en direct sur des sites d’information. Cette diffusion permet aux Sénégalais de la diaspora de vivre l’ambiance de l’évènement. Le ‘’dahira’’ compte cinq cellules à Diourbel. Ces entités sont reparties dans les quatre quartiers de la commune (Médinatoul, Cheikh Anta Mbacké, Thierno Kandji et Cheikh Ibrahima Fall). Il dispose d’une antenne à Dakar et d’une autre aux Usa. ‘’Le ‘dahira’ intègre tous les disciples mourides. Son rôle est de s’impliquer dans les activités connexes à la lecture du ‘Foulkoul’. J’invite donc mes condisciples vivants au Sénégal et à l’étranger à l’intégrer massivement. Nous venons en appoint au khalife de Serigne Bassirou. Cela ne peut se réaliser que par une contribution financière symbolique’’, précise le coordonnateur Khalifa Sarr. Le président du Dahira Foulkoul Mashoune, Khadim Guèye, (ancien ministre de l’Agriculture sous Wade) et ses condisciples ont remis à leur guide, Serigne Mountakha Bassirou, 3 000 000 F Cfa avant le début du mois de ramadan 2018. La construction d’une grande bâtisse abritant l’évènement est également à leur actif. Leur plus grand souhait, aujourd’hui, est de voir le khalife général des mourides présider la cérémonie de clôture du ‘’Foulkoul’’ prévue le 14 juin 2018. Mais ils ne sont pas encore édifiés sur l’effectivité. |
OUMAR BAYO BA (DE RETOUR DE DIOURBEL)