Publié le 26 Nov 2016 - 00:46
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

L’autre insécurité

 

Considérée comme le « sexe faible », la femme doit être, dans nos sociétés africaines, docile et subir sans broncher, ni protester… Ce faisant, elle fait souvent l’objet de brimades. En cette journée mondiale de l’élimination des violences faites aux femmes, EnQuête fait un focus sur ce phénomène sous-jacent mais actuel, à travers des témoignages et le regard éclairé de la sociologue et enseignante-chercheure, Dr Selly Ba. Dans une période marquée par des meurtres crapuleux qui posent la question sécuritaire.

 

Il est 11 heures. Nous sommes dans les rues du quartier périphérique de Dieuppeul. L’ambiance est animée. C’est l’heure de la récréation pour les élèves de presque toutes les écoles riveraines. Ils courent dans tous les sens des deux voies de la route à la recherche d’un vendeur de petit-déjeuner ou de friandise. Les voitures roulent au ralenti et certains chauffeurs s’arrêtent pour les laisser traverser. D’autres automobilistes moins patients martyrisent leurs klaxons.

Pour les gérants de boutiques, salons de coiffure, ateliers, les activités commencent à peine. Au siège de l’Association des handicapés moteurs du Sénégal, tout le monde s’affaire au travail. On coiffe, on découpe les tissus déjà teints pour confectionner des pagnes, etc. Du côté de l’atelier de chaussures, c’est le moment de découper les talons. Interrogée sur la violence faite aux femmes, Astou Ndiaye, la cinquantaine, argumente. « On ne peut pas parler de tous les types de violences que subissent les femmes au Sénégal. Certaines filles depuis le bas-âge, surtout quand elles ne vivent pas avec leurs parents, souffrent. Les femmes n’ont que des devoirs, et personne ne se préoccupe de leurs droits », dit-elle, le regard fixe, tout en se frottant les mains.

Insultes, injures et coups, au cœur de la vie de couple

Pour Astou, la violence verbale fait « plus de mal » que celle physique. Parce qu’elle se transforme en rancune qui pousse les femmes à réagir souvent d’une manière inattendue. « Au Sénégal, les gens qui font souffrir les autres sont généralement ceux qui occupent un rang social très élevé. Personne n’en croira ses oreilles si on lui raconte ce qu’ils font », poursuit-elle. Si pour Astou, ceux qui font souvent subir les violences aux femmes sont ceux qui ont un statut social important, la plupart des femmes interpellées indexent les maris.

« Il y a des hommes qui sont sans pitié. Leurs femmes se sacrifient matin et soir à la recherche de quelque chose à ramener à la maison pour la famille, mais une fois qu’elles posent le plat de riz, ce sont des injures, des coups. Il y a des hommes qui agissent de la sorte sciemment, par indiscipline. Ceux qui le font inconsciemment sont généralement les soulards, les drogués, etc.», martèle Marième Guèye, la quarantaine, vendeuse de concombres au marché Castor, non loin de Dieuppeul. La dame se fait plus précise en racontant : « J’ai une voisine qui était tout le temps battue par son mari. Or, ce denier n’est ni soulard ni drogué. Il était simplement indiscipliné. C’est la femme qui faisait tout pour la famille mais le soir, il la frappait comme une gamine, l’injuriait. J’ai été témoin des faits à maintes reprises.»

« Nos mères ne se sont jamais rendues chez une juriste »

 La violence faite aux femmes est un phénomène social contre lequel personne ne peut rien, estiment ces femmes. « La première forme de violence, c’est le fait de rester à la maison pour cuisiner, s’occuper des enfants, des travaux ménagers. Si on y ajoute la violence corporelle, ça devient invivable. La femme est toujours stressée à cause des difficultés qu’elle vit chez elle », indique Mme Fall, une autre dame rencontrée dans les parages. Et contre toute attente, elle se met à s’en prendre aux victimes de violences qui contactent les femmes juristes pour rechercher une solution. « Les conseils qu’elles donnent souvent ne font pas partie de notre culture. Elles leur conseillent d’entamer une procédure judiciaire. Or, cela ne doit pas toujours être le cas.

Nous ne sommes pas des toubabs ; nous sommes des Africains, de surcroît des Sénégalais. Nous avons nos réalités », dit-elle. Selon Mme Fall, les violences conjugales ont toujours existé mais, « nos mères ne se sont jamais rendues chez une juriste. Aujourd’hui, Dieu merci, leurs enfants ont grandi, et elles ont peut-être oublié qu’elles ont souffert un jour. Je préfère que tout se règle en famille et ne pas mêler les femmes juristes aux vies de couple. Si je vivais ce genre de pratiques, je n’irais pas vers elles. »

Sur cette question, la gent masculine a également son mot à dire. Djimé Touré, chauffeur de profession et avocat des femmes, de dire qu’il y a des hommes qui « ne méritent même pas de prendre une femme ». « Je vous le jure. Si on est marié à un soulard, il vous insultera quand bon lui semblera. Avant-hier, j’ai été témoin d’une scène qui m’a fait très mal. Le gars insultait sa femme en présence de leur garçon, qui est un adulte. Et l’enfant lui a demandé d’arrêter d’insulter sa mère devant lui », narre-t-il. Mais Abdou Seydi Keïta, la soixantaine, assis à côté du vieux Touré, sous l’ombre d’un arbre en face du terrain de Derklé, a un tout autre avis. « On parle souvent des violences faites aux femmes, alors qu’il y a des hommes qui subissent le pire avec leurs femmes. Pour moi, c’est quelque chose qui touche les deux genres », déclare-t-il avec le sourire.

LE CALVAIRE D’AISSATOU

‘’17 années de mariage, de coups et d’humiliation’’

« Le mariage est une plus grande affaire qu'on ne peut croire (…) Il y va d'être heureux ou malheureux toute sa vie (…)»,  a écrit Molière dans sa comédie intitulée l’Avare. Et Aïssatou, une jeune femme, qui vient de souffler sa 40ème bougie, résidant à Thiaroye-Sur-Mer, dans la banlieue dakaroise, ne dira pas le contraire. Elle a vécu le supplice durant ses 17 années de mariage avec un époux qu’elle pensait être « l’homme de sa vie ».

Aïssatou n’a savouré que quelques mois de bonheur. « Tout a commencé au moment où je suis tombée enceinte de notre premier enfant. Au début de notre mariage, je vivais avec sa famille, notamment ses frères et leurs femmes. Un jour, en allant au marché, j’ai surpris la femme de son frère aîné racontant que son mari était fatigué de donner la dépense quotidienne pour toute la famille. Parce que nos maris, le mien, celui de son autre frère, ne donnaient rien. Elle avait même ajouté qu’il avait décidé de quitter la maison pour trouver un autre appartement afin de soulager ses charges. Et les choses se sont passées comme telles, peu de temps après. C’est ainsi qu’a commencé mon calvaire », raconte-t-elle.

Depuis que le frère aîné a quitté la maison, son mari n’a jamais voulu assurer la dépense quotidienne. Ce fut alors le début des bagarres, des injures, au sein du couple. « Il se levait tôt et se rendait au travail sans me laisser un centime. Donc, je devais me débrouiller pour manger. Je venais juste d’accoucher de ma fille aînée et je restais souvent des jours sans manger. J’étais devenue toute maigre, je n’avais même plus de lait pour allaiter la petite», dit-elle les larmes aux yeux. En plus de la faim et la maladie de son enfant, cette dame était obligée de vaincre sa jalousie. Car l’homme amenait sa maîtresse dans leur chambre, tous les week-ends.

« Il m’a donné des coups de poing, je suis tombée avec mon enfant sur le dos »

« A peine un an de mariage, il amenait sa maîtresse à la maison et dans notre chambre. C’était une étudiante, une fille très belle, dépigmentée avec des formes généreuses. Elle venait régulièrement à la maison et parfois, elle venait avec ses amies. Un jour, j’ai interpellé mon mari à ce propos, il m’a sèchement répondu que c’est la fille qu’il avait toujours rêvé d’épouser. Mais que c’est sa mère qui l’a obligé à m’épouser. » Malgré ces violences et se disant que le mariage, c’était pour le meilleur et pour le pire, elle est restée, espérant des lendemains meilleurs. Les années passèrent mais rien ne changea. Ils eurent quatre autres enfants, durant leurs 17 années de mariage.

‘’On s’est marié en 1999 et on a divorcé cette année, en 2016. On n’a jamais eu un moment de bonheur au foyer. Un jour, je venais d’accoucher de notre deuxième fils, il m’a donné des coups de poing à la tête, jusqu’à ce que je tombe avec mon enfant sur le dos. Ce sont les cris de l’enfant qui ont alerté les voisins qui sont venus à notre secours », raconte-t-elle. A ce moment du récit, elle se met à verser des larmes. Mais elle se reprend vite et poursuit. « A son retour du travail, s’il me trouvait dans la cour, seule ou avec mes voisines, il se mettait à m’injurier et m’invitait à venir me battre avec lui. Tant que je n’étais pas blessée, il ne me laissait pas. J’ai eu plusieurs fractures et entorses. » « Le soir dans notre chambre, il lui arrivait de me réveiller au beau milieu de la nuit pour m’insulter. Il me disait : si tu réponds, je te tue. Je t’étrangle », se confesse Aïssatou.

Le combat d’Aïssatou pour obtenir la garde de ses enfants

La dame raconte que son mari ne mangeait jamais à la maison. Il allait au restaurant. Ce n’est pas tout, il avait instruit le boutiquier de ne pas donner de vivres à sa femme. « Même s’il lui arrivait de charger la bonbonne de gaz, et qu’en rentrant à la maison il me voyait cuisiner avec, il soulevait la marmite et démontait le bec. Sans rien dire, j’allais chercher du charbon de bois pour terminer mon repas. Il me disait sans détour : Je vais te faire souffrir jusqu’à ce que tu prennes la décision de partir de la maison. »

‘’Toute histoire a une fin’’, a-t-on coutume de dire. Le mariage d’Aïssatou a pris fin en mai 2016, lorsqu’après quatre plaintes auprès de la gendarmerie, les deux conjoints se sont rendus au tribunal où le divorce a été prononcé. Aujourd’hui, son seul combat est de récupérer ses enfants qui, selon elle, vivent dans de mauvaises conditions avec leur père qui a obtenu la garde légale.  

MARIAMA DIEME

Section: 
ESCROQUERIE PORTANT SUR PLUS DE 500 MILLIONS DE FRANCS CFA : Marie Lo jugée devant la chambre correctionnelle  
POUR SURMONTER LES ATTAQUES, HARCÈLEMENTS... : Les femmes journalistes conseillées à suivre une formation en gestion du stress
LETTRE DE MACKY SALL AU GOUVERNEMENT : La réponse cinglante du ministre-porte-parole Ousseynou Ly
TRAFIC DE DROGUE SUR L’AXE POINT E-RUFISQUE-MÉDINA : 300 kg de chanvre indien saisis par la police
Cartes d’électeur
Inondations Bakel-Matam
Obsèques Mamadou Moustapha Ba
LINGUÈRE LYCÉE ALBOURY NDIAYE : Les élèves en grève pour dénoncer le déficit de professeurs
CAMPAGNE POUR UNE RÉFORME SUR LES PROCÉDURES DE VISAS : Quatre mille personnes ont déjà signé la pétition
DÉFIS SÉCURITAIRES MULTIFORMES DANS LA SOUS-RÉGION ET AU SAHEL : Les pistes de solutions du général Birame Diop 
Magal Mbacké Kadior
Hommage Moustapha Ba
SUSPENSION DES CONSTRUCTIONS : La mesure prorogée de 45 jours
ENTREPRENEURIAT FÉMININ : Les femmes peinent à trouver des financements
ACCUSÉ DE DÉTOURNEMENT DE MINEURE, PÉDOPHILIE ET VIOL : Le parquet requiert l’acquittement du commerçant I. Faye
HOMMAGE DU GÉNÉRAL MBAYE CISSÉ À SON PROMO ‘’BOSQUIER’’ ET DU COLONEL NDAO
TAMBACOUNDA - ASSOCIATION DE MALFAITEURS ET COMPLICITÉ DE FAUX : Deux individus arrêtés pour trafic d'identité
BEN TALLY - AVORTEMENT CLANDESTIN : La jeune étudiante s’est réfugiée dans son village natal
AFFAIRE AMETH NDOYE : Le tribunal statuera le 7 novembre…
DÉCÈS MAMADOU MOUSTAPHA BA : Parcours élogieux d’un vrai commis de l’État