Publié le 21 May 2013 - 21:36

 

Pluralisme en trompe-l’œil au quotidien Le Soleil

 

Depuis bientôt une quinzaine d’années, les Sénégalais ne se contentent plus d’assister à l’accélération de l’Histoire. A deux reprises en douze ans seulement, ils y ont contribué de manière exceptionnelle en appuyant sur l’accélérateur politique grâce auquel trois présidents ont participé à des passations de pouvoir comparables à celles dont s’enorgueillissent depuis fort longtemps déjà les démocraties - anglaise, américaine et française - enfantées par des révolutions exemplaires. En 2000 et en 2012, la couverture de processus électoraux à haut risque par la presse sénégalaise fut des plus remarquables. Mais sitôt clos les débats démocratiques de campagne, un conservatisme abominable redistribue les mauvais rôles à la presse : celui de “ presse du pouvoir “ dévolu au quotidien Le Soleil et celui de “ presse du contre-pouvoir “ reconnu aux organes des sociétés privées de communication. Tout notre propos porte ici sur la responsabilité du quotidien de Hann dans une division du travail d’information du public qui, dès après une alternance démocratique, sape insidieusement le moral du nouveau pouvoir qui en est issu.

Pour nous faire comprendre, il n’y a, à notre avis, rien de mieux qu’une construction autour de la grande idée de pluralisme politique, par opposition à l’autoritarisme et au monopartisme. Par opposition aussi au bipartisme, qui caractérise les systèmes démocratiques anglais et américain dont personne au monde ne conteste le respect – par les deux - de la diversité des opinions politiques. C’est que le pluralisme politique va bien au-delà du respect des opinions politiques et de leurs représentants. Il génère un équilibre bipartite ou multipartite quand les opinions politiques s’entrelacent. Son souci n’est donc pas la coexistence pacifique des certitudes, mais la vérité qui jaillit du choc des idées sans préjudice pour la “liberté d’opinion constitutive de l’identité de chacun”. Il ne nous reste donc plus qu’à montrer comment cette théorisation succincte du pluralisme politique permet de conquérir les faits sur les préjugés.

En période électorale, la couverture simultanée des réunions politiques sur toute l’étendue du territoire par le quotidien Le Soleil est un fait qui étaye le respect du pluralisme politique. Y a-t-il pour autant choc des programmes tendant vers la sélection à laquelle débouche toute compétition électorale ? Non ! Il n’y aurait même pas de la place pour parfaire le pluralisme si le journal le voulait. Et les choses se précisent en période post-électorale : tout pour le nouveau pouvoir au nom de la visibilité de son action et très peu pour l’opposition obligée de reconquérir le pouvoir par ses propres moyens. Y compris par la violence que le Parti démocratique sénégalais (PDS) veut nous expérimenter pour empêcher “la traque des biens mal acquis”, une manière pudique de désigner le larcin.

 

“Hors de l’Histoire, l’” Astre de Hann “ désenchante l’Histoire et contribue à la morosité, précipitant notre société politique dans une sempiternelle quête du meilleur président possible.”

 

Mais rien n’est aussi simple qu’on voudrait nous le faire croire dans les colonnes du Soleil ! Dans une couverture parfaite des activités du chef de l’Etat et de celles des membres du Gouvernement, il suffit de glisser subrepticement le communiqué travaillé d’une faction pouvoiriste pour transformer le respect du pluralisme en raillerie plurielle, ce qui n’est guère meilleur qu’un parti pris habile dans une mise en page impeccable. Le Soleil, daté du vendredi 17 mai 2013, nous en administra la preuve en colportant le dernier communiqué du secrétariat national de “Rewmi” sommant les députés issus de ses rangs d’engager avec leurs collègues un débat sur la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale. Il est clair que ledit communiqué est un déplacement de la fronde – commencée le 25 mars 2013 – du patron de “Rewmi” sur un nouveau terrain. Idrissa Seck ne se soucie ni de la bonne marche de l’Assemblée nationale, ni du confort de son président. Ce qu’il dit être “ la dignité” de la représentation nationale se trouve ailleurs. Les textes prévoient qu’une assemblée élue est libre de voter des lois bonnes pour le pays tout entier, qu’elle est faite pour contrôler l’action du pouvoir exécutif et qu’elle peut renverser un gouvernement incompétent par le vote d’une motion de censure. Toutefois, le régime parlementaire dualiste actuel – avatar (prudent) du parlementarisme moniste de type britannique – limite la marge de manoeuvre de l’Assemblée nationale pouvant être dissoute par le président de la République deux ans après son renouvellement par les électeurs. En droit public, on parle de “ séparation souple des pouvoirs “ par opposition à la “ séparation rigide des pouvoirs “, qui est le propre du régime présidentiel américain. En démocratie, souplesse veut dire dialogue pour l’intérêt général loin des manoeuvres politiciennes. Le peuple du 23 juin 2011 aurait de quoi désespérer des élus de “ Rewmi “ si M. Seck obtenait d’eux ce que lui refusèrent les ministres Pape Diouf et Oumar Guèye nommés à la faveur de la coalition victorieuse de mars 2012. Pourquoi, après tout, deviendraient-ils plus royalistes que le “ roi” Niasse ? Il y a là un bien mauvais présage : l’homme qui fait et défait les carrières sans en avoir le pouvoir, détruirait des vies s’il en avait un petit lopin.

 

“Plus aucun directeur général du Soleil ne doit pourfendre le pluralisme véritable pour son confort personnel. Il n’y a pas d’une part les choses du pouvoir qui peuvent être montrées et celles qui ne devraient pas l’être d’autre part.”

 

Parce qu’elles nomment les personnes qui ne cachent pas leur jeu, nos analyses sont censurées par Le Soleil qui, dès sa naissance, plaça notre démocratie sous haute surveillance. Le journal se refusa de publier trois de nos derniers articles parus dans les colonnes des gazettes privées sur un total de quatre tribunes. Hors de l’Histoire, l’” Astre de Hann” désenchante l’Histoire et contribue à la morosité, précipitant notre société politique dans une sempiternelle quête du meilleur président possible. Tel est le mauvais service rendu au pays depuis 1974 ! Plus aucun pouvoir ne doit s’en accommoder. L’actuel doit d’autant moins s’en accommoder que ses choix sont crédibles et ses cibles (jeunes, femmes, monde rural et groupes vulnérables) pertinentes. Plus aucun directeur général du Soleil ne doit pourfendre le pluralisme véritable pour son confort personnel. Il n’y a pas d’une part les choses du pouvoir qui peuvent être montrées et celles qui ne devraient pas l’être d’autre part. La portion congrue à l’opposition est un leurre. Qui de nos concitoyens ne se rend pas compte qu’une note dissonante est plus audible qu’un vacarme entretenu ? Seul le débat permet de débusquer les imposteurs. L’Astre privilégié doit en être le réceptacle plutôt que de se dire : “ ces débats-là ont libre cours chez les autres confrères. Les autres ? Quel droit aurait un journaliste du Quotidien que n’aurait pas un confrère du Soleil ?

Né avant tout le monde, Le Soleil distille insidieusement – nous l’avons dit – une division du travail à laquelle la presse privée a souscrit à son insu en trouvant dans la chasse aux impérities, supposées ou réelles, de tout nouveau pouvoir un moyen d’exister et de provoquer, après coup, des craquements dans l’édifice de la communication publique. Pourtant, la communication politique – “ espace où s’échangent les discours contradictoires entre trois acteurs (les journalistes, les hommes politiques et le public) légitimés à parler de politique “ – permet à toutes les chapelles de tirer leur épingle du jeu. Quid de la qualité des communications ? Elle passe par la mutation du pluralisme en trompe-l’oeil en “ devoir d’irrespect “ pour délivrer la démocratie de sa résidence surveillée. La confrontation des projets plutôt que des hommes est à ce prix.

 

ABDOUL AZIZ DIOP

Conseiller spécial à la Présidence de la République

 

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