Entre réprobation, acceptation et résignation
Le ''sukëru koor'', cette pratique bien sénégalaise, prend d'année en année des proportions importantes. Dans ce reportage, les hommes qui souvent sont ceux qui casquent se prononcent sur la question. Les avis sont partagés. Les anciens appellent à un retour aux sources.
Le ''sukëru koor'' s'est aujourd'hui bien installé dans les mœurs sénégalaises. Bien qu'il soit une pratique plus courante chez les femmes, ces dernières ne se privent pas de vider les poches de leurs conjoints pour satisfaire leurs belles familles. Car, on ne se donne plus aucune limite : tissus, téléphones portables, télévisions, grosses sommes d’argent, tout y passe. EnQuête a donné la parole aux hommes.
Donner le ''sukëru koor'', oui, mais, sans contrainte. Un bon nombre d’hommes interrogés pensent que la pratique doit se faire naturellement, sans aucune contrainte. Certains déclarent même détester que leurs épouses leur demandent, voire leur imposent de l'argent pour le ''sukëru koor''.
Pape Ndiaye est mécanicien et tient un atelier à Fass. Il rejette carrément cette idée. ''Ma femme m’a demandé de l’argent pour donner le ‘’sukëru koor’’, mais je lui ai fait comprendre que je ne lui donnerai rien. Ce que j’ai, je le garde pour la dépense quotidienne, les factures et autres’’, déclare ce jeune mécanicien en tenue de travail. Il considère que le plus important est de s’occuper de ses parents. ''Elle n’a pas besoin de donner quelque chose à ma maman, car elle fait tout pour elle. Nos femmes font le plus important, c'est-à-dire, préparer le repas pour nos mamans, aller au marché et s’occuper d’elles. Et je vous assure que ma maman apprécie beaucoup ces actes'', dit Pape. Même s'il ne veut rien donner à sa femme, il renseigne qu'il a donné à son beau-père le ''sukëru koor''. Si vraiment sa femme compte faire la même chose, ''elle n’a qu’à trouver son propre argent'', dit-il. Son collègue Ousmane*, bien que polygame, souligne qu’il n’a jamais vécu cette situation. Assis sur un banc, le jeune homme au teint clair renseigne qu'aucune de ses deux femmes ne lui imposent de donner le ''sukëru koor''. ‘’J’ai la chance qu'aucune d'elles ne m’ait demandé le ''sukëru koor''. Je les ai connues ici, mais elles viennent du village'', dit-il. A son avis, personne ne doit l’imposer. ''Un homme digne ne doit pas accepter qu’on lui impose de faire quoi que ce soit'', ajoute-t-il.
Pour Ousmane Gaye, cultiver la paix avec sa belle famille vaux mieux que le ''sukëru koor''. Il souligne que son épouse ne lui a rien demandé, mais elle a pris son argent pour le faire. Les hommes auxquels on impose cela ont fait un mauvais casting en choisissant leur femme, selon lui. ‘’Ma femme fait son ‘’sukëru koor’’ à sa manière. Elle prépare chaque jour un bon repas qu'elle donne à ma maman. Et c’est ce qu'elle aime le plus. Moi, je suis tout à fait d’accord avec elle'', indique Abdoulaye Faye qui pense que les hommes à qui on impose de le faire sont des lâches.
Lorsque donner le ''sukëru koor'' tourne à la bagarre
Les hommes savent que leurs femmes sont souvent prêtes à tout pour s'acquitter de ce ''devoir''. Dans ces cas, tous les moyens sont bons, tous les coups sont permis pour arriver à ses fins. Nos interlocuteurs en sont conscients. Au cours de la discussion dans cet atelier qui tient lieu de grand-place, d’autres habitués des lieux viennent grossir les rangs. Le sujet les intéresse au plus haut point et chacun tient à doper son point de vue. Lorsqu'on en vient à aborder la question des femmes qui vont jusqu'à divorcer parce que leurs conjoints leur ont refusé le ''sukëru koor'', ils sont unanimes à dire que si elles en arrivent à ces extrémités, c'est parce qu'elles n’avaient pas l’intention de rester dans le mariage. D'ailleurs, Assane Diop est très affecté par cette situation. ''Elles utilisent toutes les armes pour mener la guerre. Il leur arrive même de refuser de se donner à leurs maris, pour y parvenir’’, dit-il avec conviction et en jurant que c'est vrai. D'ailleurs, les autres acquiescent et s'empressent d'ajouter que ce sont les hommes conditionnés par leurs femmes qui acceptent cette situation. Ils les jugent indignes et sans vergogne.
Devant ce concert de réprobations, Khalifa Diop a le courage d'avouer qu’il a donné une valeur de 100 000 F Cfa à sa femme. ‘’Mon épouse m’a demandé son ''sukëru koor'', trois jours, avant le ramadan. Je lui ai donné l’argent qu'elle a donné à ses parents. Cela ne me fait rien. Si j’ai les moyens, je peux le faire et je n’y vois aucun problème'', souligne Khalifa.
Quand le ''sukëru koor'' était un geste de teranga
Si l'acte de donner le ''sukëru koor'' est devenu sujet à caution, il n'en a pas été ainsi. Le cinquantenaire Saliou Dieng recadre le débat. Trouvé à l'arrêt du bus, les rigueurs du Ramadan l'ont contraint à prendre place sur l'un des bancs, en attendant sa ligne. Il renseigne que les femmes de sa génération ne faisaient pas l’acte pour les beaux yeux de la belle famille. ''Auparavant, les femmes le faisaient pour avoir la bénédiction, pendant le mois béni de ramadan’’, dit-il. Il ajoute que la chance qu'ils ont eue, est que leurs femmes étaient bien éduquées. ''Donner le ''sukëru koor'' n’est pas une exigence, c’est uniquement un beau geste de ''teranga'' (hospitalité, bienséance). À notre époque, il arrivait de le donner aux gens avec qui on a de bonnes relations'', souligne tonton Saliou. ''Moi, je le faisais de mon plein gré, personne ne me l’a jamais imposé. Je le faisais quand je voulais. C’est maintenant que les gens ont dévoyé cette pratique, en donnant parfois du matériel et beaucoup d’argent'', regrette-t-il. Il se désole de la situation et exhorte les femmes matérialistes à changer de comportement. La nouvelle génération, invite-t-il, doit copier sur l'ancienne génération.
Les vrais disciples ne doivent pas imposer ou demander le ''sukëru koor''. C'est l'avis du vieux Maguette Ndiaye. Assis sur un banc public en caftan blanc, il enseigne de faire des bonnes actions, même en dehors du ramadan. Tonton Maguette se désole que la nouvelle génération ne cherche pas à connaître la vie des anciens et que certains hommes se laissent mener par le bout du nez. Il ne peut s'empêcher de donner ce conseil aux femmes. ‘’Ce n’est pas juste de mener la vie difficile aux gens. Il faut tout le temps s'adonner aux bonnes pratiques et penser qu’un jour, on laissera tout derrière soi.''