Publié le 31 Aug 2013 - 17:50
LIBRE PAROLE

 La médiation pénale en matière d’enrichissement illicite

 

 

Toute société humaine organisée met en place des règles dont la violation entraîne des sanctions qui visent l’amendement et le reclassement social du fautif.

Mais cette recherche de sanctions ne doit pas être systématique dés lors, que par un mode alternatif, le même résultat peut être atteint c'est-à-dire l’amendement et le reclassement social.

C’est dans ce cadre qu’est apparue la  médiation pénale comme réponse alternative aux poursuites.

Au Sénégal, c’est par la loi 99-88 du 03 septembre 1999 que le législateur a introduit « cet instrument moderne de régulation des conflits ». En ce sens, la médiation pénale constitue une réponse appropriée à la demande de la victime qui peut être l’Etat ou un privé.

C’est ainsi que loi précitée a modifié l’article 32 du code de procédure pénale qui dispose désormais : « Le procureur de la République peut, préalablement à la décision sur l’action publique, et avec l’accord des parties, soumettre l’affaire à la médiation pénale s’il apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, mettre fin au trouble résultant de l’infraction, et contribuer au reclassement de l’auteur .»

Pour comprendre le lien de cet article conférant un tel pouvoir au Procureur de la République et la répression de l’enrichissement illicite qui est de la compétence du Procureur spécial ,il faut examiner l’article 4 de la loi 81-54 du 10 juillet 1981 qui dispose : « Sous réserves des dispositions de la présente loi, le Procureur spécial a ,dans les affaires de sa compétence, les mêmes attributions que les Procureurs de la République ».

Il est clair, à partir de ce moment, que le Procureur spécial peut parfaitement soumettre une affaire à la médiation pénale d’autant plus que le dernier paragraphe de l’exposé des motifs de la loi 99-88 instituant la médiation pénale précise que : «Les nouveaux articles 32 et 570 du code de procédure pénale donnent la possibilité au Procureur de la République de choisir, en fonction de la politique pénale dégagée et des circonstances de chaque cas, les faits qu’il souhaite renvoyer devant le juge pénal ou d’instruction et ceux qu’il juge préférables d’être traités par voie de médiation».

Malgré tous ces développements faits supra, il y a des juristes qui soutiennent la thèse de l’impossibilité de recourir à la médiation pénale lorsqu’il s’agit du délit d’enrichissement illicite. A l’appui de leur position, ils font valoir, d’une part que la loi ne prévoit pas de médiation dans ce domaine et d’autre que la médiation est réservée à des affaires de petite importance.

Il faut apporter une série de réponses à ces affirmations :

- D’abord la loi n’a jamais circonscrit ou précisé les infractions qui peuvent faire l’objet de médiation pénale.

- Ensuite, ce qui peut induire en erreur les tenants d’une telle thèse, c’est le passage suivant de l’exposé des motifs de la loi sus indiquée : «De même que la médiation pénale peut permettre, tout en répondant à la nécessaire répression des fautes commises, d’apporter une réponse adaptée à des faits de petites et moyennes  délinquances se rapportant à la vie quotidienne».

En réalité, cette phrase est l’illustration des multiples possibilités qu’offre la médiation pénale. C’est pourquoi, il a été créé un poste de médiateur pénal dans les maisons de justice qui siègent au niveau des quartiers, médiateur auquel l’article 32, alinéa 2 fait obligation «de vérifier l’accord des parties en litige sur le principe du recours à la médiation pénale, les aide à trouver une solution acceptée par elles. Cette solution ne doit être contraire ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs.»

Pour en venir maintenant au cas de Tahibou Ndiaye, il est utile de rappeler que c’est l’agent judiciaire de l’Etat qui, aux termes du décret 70-1216 du 07 novembre 1970 portant création d’une agence judiciaire de l’Etat, «est chargé du règlement de toutes les affaires contentieuses où l’Etat est partie et de la représentation de l’Etat dans les instances judiciaires».

Cet agent judiciaire a accepté, conformément à l’article 32 du code de procédure pénale, le principe du recours à la médiation pénale tout comme il a estimé «la réparation du préjudice subi par l’Etat satisfaisante» à travers la cession volontaire faite par Monsieur Tahibou Ndiaye,à titre définitif et irrévocable, de tous ses biens acquis après l’année 2000.

Pour ma part, je partage largement cette position de l’agent judiciaire qui répond, ainsi de façon favorable à la préoccupation du législateur lorsqu’il instituait le délit d’enrichissement illicite.

Ces différents extraits des exposés des motifs des lois 81-53 et 81-54 du 10 juillet 1981 le prouvent :

La répression de l’enrichissement illicite est rendue nécessaire par « des signes extérieurs d’une richesse mal acquise …….constituant l’expression choquante d’inégalité sociale que rien ne vient justifier ».

Etant entendu naturellement que cet enrichissement est le fait de « titulaires de fonctions gouvernementales, électives ou publiques …….ayant pu abuser de leur qualité ou de leurs fonctions ».

Et si l’on revisite l’esprit de la loi, on se rend compte qu’elle ne s’oppose en rien à la médiation puisqu’elle prévoit même une exemption des poursuites et la restitution de leurs biens en faveur «des personnes qui, auront avant poursuite judiciaire, révélé aux autorités compétentes les faits de corruption » ; à fortiori lorsqu’il s’agit de déposséder une  personne poursuivie de tous les biens acquis dans la période pendant laquelle il est supposé s’être enrichi illicitement.

AMADOU DIOP

Consultant

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