Publié le 27 Mar 2018 - 21:58
DECES DU MAIRE DE DAKAR MAMADOU DIOP (1984-2002)

Fin de parcours d’un administrateur-né

 

Mamadou Diop passe l’arme à gauche. Le premier ‘‘vrai’’ magistrat de la Ville de Dakar, depuis l’Acte II de la décentralisation, est décédé hier dans sa résidence secondaire, à Mbour. Champion de la décentralisation, ministre, député, intellectuel, politique, professeur et ancien maire de Yoff, il sera inhumé aujourd’hui.

 

D’habitude très pondéré, ‘‘Diop le maire’’ a quitté la scène publique sous les vivats d’un public acquis à la cause socialiste, après qu’il a vertement tancé le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye. C’était en février dernier, au douzième jour du procès de la caisse d’avance où son lointain successeur à la Ville de Dakar, Khalifa Sall, est en délicatesse avec Dame justice. ‘‘Vous n’avez pas le droit de me parler comme ça (...) J’ai 82 ans et j’ai exercé différentes fonctions dans ce pays’’. Sa tirade a été plus longue que ces deux phrases, la réplique du maitre des poursuites le sera tout autant. Mais cette répartie de la réaction de Mamadou Diop suffit à essentialiser le grand serviteur de l’Etat qu’il a été.

Avocat à la Cour, officier supérieur de la gendarmerie nationale, avocat général près la Cour suprême du Sénégal (1971-1992), président de section au Conseil d’Etat, professeur associé à la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Ucad (1971-2005), ministre d’Etat, député plusieurs fois, vice-président du Sénat (1998-2000), Me Diop était au cœur de l’Etat et de l’histoire politique du Sénégal.

‘‘Le bâtisseur est parti, l'un des plus grands acteurs de la décentralisation au Sénégal. Le père de l'Administration municipale est parti (sic). Nous venons de perdre notre père, notre doyen, ancien maire de Dakar, ancien député et ancien ministre’’, déplore-t-on sur la page Facebook de l’actuelle édile de la capitale, Khalifa Sall.

 De toute la palette de l’Administration, seule la magistrature suprême a manqué à ce spécialiste de la décentralisation qui dit pourtant être ‘‘entré en politique par accident’’, confie le conseiller à la mairie de Yoff et à la ville Ibrahima Fall. Quant au maire Barthélémy Dias, il s’inscrit dans la même  litanie de lamentations. Il dit : ‘’Nous venons de perdre un grand homme d'Etat, le protagoniste de l'Administration municipale, l'architecte de la décentralisation sénégalaise s'en est allé. Au nom de toute la population de Mermoz – Sacré-Cœur, je présente mes sincères condoléances à la nation sénégalaise, à la famille éplorée et particulièrement à mon frère le député-maire Khalifa Ababacar Sall.’’

Diop, ‘‘le’’ maire !

Le destin a parfois ses coïncidences sans équivoque. Au moment où le Conseil économique, social et environnemental (Cese) remettait son rapport au président Macky Sall hier, l’un de ses membres les plus éminents depuis 2013, pas forcément le plus en vue, tirait sa révérence. C’est sous l’appellation parfois populaire de ‘‘Diop le maire’’ que maître Mamadou Diop était plus connu. C’est également ce poste qui lui a certainement offert plus de visibilité dans sa mosaïque professionnelle, puisqu’en mars 1996, la réforme de l’Acte II de la décentralisation change la perception de la fastidieuse question de la décentralisation et met le maire au-devant de la scène. ‘‘C’est sous son magistère que les gens ont compris qu’une mairie ne servait pas seulement à la délivrance d’actes de naissance ou de décès. C’est lui qui a fait comprendre au plus grand nombre que la collectivité était la base du développement. C’est lui qui a mené les plus grandes réformes après la loi 96-06  et c’est d’ailleurs pour ça qu’il est considéré comme le maire de Dakar’’, explique le conseiller municipal à Yoff et à la Ville de Dakar Ibrahima Fall, qui déplore la perte de ce grand serviteur de la République et du peuple.

 En 1984, il succède à Amadou Clédor Sall à la tête de Dakar et devient même, à ce titre, le premier maire de Dakar, après la réforme de l’Acte II de la décentralisation avec un découpage administratif portant à dix le nombre de régions, mais surtout le fameux transfert de neuf domaines de compétences qui a assuré aux collectivités la capacité d’assurer à l’ensemble de la population, sans distinction, les meilleures conditions de vie. Cet acte II qui a promu l’intervention dans le domaine de la planification, de la programmation du développement local et de l’harmonisation de cette programmation avec les orientations régionales et nationales, fera de Mamadou Diop le premier ‘‘vrai’’ maire dans la nouvelle version de la Ville de Dakar.

Des compétences solides en matière de décentralisation qui lui ont permis de jouer les premiers rôles, à l'occasion de la préparation du 2e Sommet des villes en 1996 à Istanbul, explique le professeur de géographie à l’Ucad, Lat Soucabé Mbow sur sa page Facebook. ‘‘En raison de son expérience du fonctionnement des établissements humains, compte tenu de son passage au ministère des Travaux publics  dans les premières décennies de l'indépendance, de sa fonction d'élu de l'une des plus grandes métropoles africaines, il fut l’un des principaux animateurs de structures faîtières telles que l’Iula (International Union of Local Authorities) et l'Amf (Association des maires francophones). Il eut à les représenter en maintes rencontres de haut niveau à travers le monde, notamment à l'approche de la seconde Conférence des Nations Unies sur les établissements humains’’, témoigne Lat Soucabé Mbow,

Intellectuel prolifique 

Le Pr. Mbow, qui a préfacé sa dernière œuvre, regrette également que la cérémonie de dédicace se fasse à titre posthume.  ‘‘Monsieur le Maire Mamadou Diop subissait jusqu'au soir de sa vie la tyrannie des études et de la recherche. Il a produit des ouvrages faisant autorité sur le droit administratif. Il a consacré son dernier livre à la gouvernance urbaine éditée par les Presses universitaires de Dakar. C'est une référence pour tout ce qui a trait à la législation afférente à l'aménagement des villes. Il m'avait fait l'honneur et l'amitié d'en écrire la préface. C'est au moment où il s'apprêtait à organiser la cérémonie de dédicace qu'il fut ravi à notre affection’’, informe-t-il dans une publication postée hier.

Une carrière bien remplie récompensée par plusieurs décorations

Grand commis de l’Etat et cacique du Parti socialiste, sa présence se fait très rare, à la perte du pouvoir en 2000, et surtout après celle de ‘‘sa’’ mairie, deux ans plus tard, remplacé par un autre Diop, Pape. Il se contentera d’une mairie de commune d’arrondissement beaucoup plus modeste, Yoff, qu’il géra entre 2002 et 2009. 

Une tentative de relance politique, avec la ‘‘résurrection’’ d’un autre Bds, le Bloc pour la démocratie et la solidarité en 2008, qui se fracasse toutefois contre les rudes parois de la recomposition du jeu politique. Les temps ont durement changé et le maire, soutien de l’actuel président de la République, est coopté dans le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Alors Mamadou Diop se consacre à ce qu’il a toujours su faire sans que cette facette de sa personnalité ne lui soit forcément (re) connue : écrire. ‘‘C’était un grand intellectuel. Il disait qu’il était entré en politique par accident, qu’il est resté colonel dans sa tête. Il était également un grand enseignant, pas seulement dans les facultés, mais dans tous les actes qu’il posait’’, témoigne Ibrahima Fall. Son profil technocrate lui colle tellement à la peau qu’on en oublierait le prolifique littéraire qu’il a été.

 ‘‘La Gouvernance judiciaire, promouvoir au Sénégal une justice moderne et efficiente’’ ; ‘‘La Gouvernance culturelle, promouvoir la culture pour construire le développement durable de la nation sénégalaise’’ ; ‘‘La Gouvernance sécuritaire, construire et garantir au Sénégal la sécurité pour tous’’, ne sont qu’une trilogie dans la presque vingtaine d’ouvrages - seize précisément - et d’articles consacrés  à ses domaines de compétences : finances publiques, défense et sécurité, institutions. La quatrième de couverture de ces œuvres précités, publiés chez L’Harmattan,  montre que la dimension intellectuelle de l’homme est sous-cotée par rapport à son élévation politique. Une carrière bien remplie récompensée par plusieurs décorations nationales et étrangères comme le Chevalier de l’ordre du mérite, l’Officier de l’ordre national du Lion et la Croix de la valeur militaire.

OUSMANE LAYE DIOP

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