La défense dénonce une stigmatisation des ‘’Ibadous’’
La bataille pour l’obtention d’un acquittement se poursuit pour la défense. Tout comme leurs prédécesseurs, hier, les avocats de Moustapha Diatta, d’El Hadji Mamadou Bâ dit Mama Ba et d’Alpha Diallo ont critiqué vertement la procédure. Me Ousseynou Ngom, un des conseils de Diatta, trouve que le procès d’Imam Alioune Ndao et ses 28 co-accusés est celui de la stigmatisation des ‘’Ibadourahmane’’ ou sunnites.
Hier, au sixième jour de plaidoiries dans le cadre du procès d’imam Alioune Ndao et ses 28 co-accusés, la parole était aux avocats de Moustapha Diatta, El Hadj Mamadou Bâ dit Mama Ba et Alpha Diallo. Tous ont plaidé l’acquittement de leurs clients pour absence de preuves et de matérialité même des faits. Et pour Me Ousseynou Ngom, un des conseils de Moustapha Diatta, ‘’c’est le procès de la stigmatisation d’une communauté, notamment les ‘’ibadourahmane’’ car, dans ce lot de personnes qui comparaissent, il n’y a que des Ibadous’’. Cependant, il trouve ‘’dommage qu’on soit arrivé à un moment où l’on assimile ‘’Ibadou’’ au terrorisme.’’Ce serait très grave alors qu’on oublie qu’Ibadourahmane est un terme coranique. Ce sont des personnes qui ont choisi de vivre leur religion en respectant les préceptes de l’islam’’, a asséné Me Ngom. Son confrère Me Khoureychi Bâ est du même avis et estime que cette stigmatisation doit cesser. D’ailleurs, il reste persuadé que ‘’la liberté de culte est l’une des problématiques du dossier puisqu’on a stigmatisé des individus pour rien’’.
Me Babacar Ndiaye pense pour sa part ‘’qu’il est très exagéré de culpabiliser les accusés parce que rien n’a été démontré par le Parquet pour soutenir qu’il existe une entreprise terroriste’’. Sa conviction est ‘’qu’on a voulu faire peur, effrayer les Sénégalais pour leur dire que vous l’avez échappé belle mais tel n’est pas le cas’’. Cependant, s’est désolé Me Ndiaye, ‘’si on regarde avec sérénité et attention le dossier, il n’y a aucun acte qui peut justifier l’acharnement du Parquet contre les accusés. On veut faire croire à votre juridiction qu’une entreprise terroriste état en train de se préparer or il s’agit d’une simple fiction’’.
Tout compte fait, d’après Me Ngom, si Moustapha Diatta a été à nouveau inculpé, un an après son incarcération, c’est parce que le Parquet et le juge se sont rendu compte que le dossier était vide. En fait, l’accusé a été inculpé dans un autre dossier de terrorisme mais également pour détention d’arme. La robe noire trouve cela ‘’inconcevable’’ et ‘’incroyable’’ et que le Parquet veuille maintenir leur client en prison en cas d’acquittement dans le dossier Imam Ndao. Me Ngom a écarté ce délit au motif que ce sont les armes à feu qui sont réprimées. Or, les munitions retrouvées chez l’accusé proviennent d’une arme de chasse, dite arme de loisir. Pour l’association de malfaiteurs en relation avec des réseaux terroristes, le défenseur a déclaré que le Parquet n’a rien fait d’autre que de la gymnastique intellectuelle en profitant du fait que Moustapha Diatta a eu à échanger avec le djihadiste Abdourahmane Mendy pour le mêler dans cette affaire. ‘’Il a contacté Mendy pour savoir si Abdallah Ba et Abdallah Dièye étaient vivants. S’il est coupable pour avoir échangé via facebook, les journalistes qui ont eu à interviewer Mendy doivent également être poursuivis’’, a rectifié Me Ngom. Ce dernier de se demander d’ailleurs en quoi aider l’épouse de son ami est un délit.
En fait, outre la conjonction avec Mendy, il est également reproché à Diatta d’avoir aidé la dame Penda Keïta dans ses démarches pour rejoindre son défunt mari en Libye. L’auxiliaire de justice ne comprend pas non plus que les enquêteurs aient mentionné avoir trouvé une photo de djihadistes or l’image en question porte sur un arbre qui se prosterne. En somme, il considère qu’il y a eu de l’exagération mais également un lynchage médiatique. Par conséquent, ‘’l’accusé ne mérite pas les 20 ans de travaux forcés requis contre lui’’, a estimé la défense. Car, selon Me Ba, ‘’dans ce dossier, l’empressement est tel que le b.a.-ba manque’’. Et si jamais Moustapha Diatta est acquitté dans ce dossier, il trouve dommage qu’il doive rester en prison.
‘’Un procès pour terrorisme sans victime’’
Avocat d’El Hadj Mamadou Ba, Me Demba Ciré Bathily n’apprécie pas les 15 ans de travaux requis contre son client. Parce que non seulement ‘’le dossier est vide’’, mais ‘’il y a énormément de problèmes dans la procédure’’. ‘’En aucun moment, aussi bien dans l’ordonnance de renvoi que dans le cadre du réquisitoire, on ne nous dit comment ces personnes ont commis le crime d’apologie du terrorisme’’, a-t-il dénoncé. Poursuivant ses récriminations, Me Bathily a indiqué qu’aucune charge n’est articulée contre la personne de Mama Ba par rapport au financement du terrorisme car il n’a jamais été en rapport avec l’argent. Au regard de ces arguments, il a appelé à la sagesse de la Chambre criminelle spéciale en demandant l’acquittement pur et simple.
La même demande a été formulée par Me Abdou Dialy Kane. Il souhaite que le juge Samba Kane et ses assesseurs suivent le Parquet dans son réquisitoire concernant Alpha Diallo. Car, selon son analyse, il y a la Main de Dieu concernant son client puisqu’il a été omis dans l’ordonnance de renvoi sans compter l’acquittement sollicité en sa faveur par le substitut Aly Ciré Ndiaye. Il n’empêche que la robe noire est toujours en colère compte tenu que son client a passé deux ans en prison ‘’pour n’avoir rien fait’’.
‘’Qu’est-ce qu’il a fait ? Rien ! Il a été trouvé sur lui un certain nombre d’objets insignifiants dont un sac contenant des livres arabes qu’on ne prend même pas la peine de traduire et on parle de terrorisme’’, s’est-il exclamé. Et l’avocat de marteler sur un ton dur : ‘’On a l’impression que la liberté ne signifie rien. Pourquoi lorsqu’il y a des dossiers de cette nature, on a la sensation que tout le monde y perd son latin ? On ne notifie pas les droits parce qu’on parle de terrorisme. Cela doit nous déranger.’’ Très critique à l’endroit des magistrats, Me Kane se demande ‘’comment ils font pour dormir sachant qu’il y a un innocent en prison’’.
Par rapport aux faits, le conseil a soutenu qu’aucun acte terroriste n’a été identifié, non sans inviter le Parquet à donner le nom d’une seule victime. ‘’C’est extraordinaire qu’un procès pour terrorisme se déroule sans victime ! Le terrorisme n’existe pas au Sénégal. C’est une thématique dans l’air du temps. Le droit pénal n’a pas de vertu préventive. Donc, tant que la personne n’a pas posé un acte, nul ne peut la condamner’’, a encore clamé le conseil. A la place des poursuites, il préconise la surveillance comme en France où plusieurs individus soupçonnés d’être terroristes sont ‘’fichés S’’. Dans sa lancée, il a invité les juges à mesurer leurs responsabilités car ‘’condamner un innocent, c’est signer l’acte de naissance du véritable terrorisme au Sénégal’’.
FATOU SY