L’Etat organise la riposte contre l’extrémisme violent
A quelques jours du verdict attendu dans le premier procès en matière de terrorisme tenu au Sénégal, le ministère des Affaires étrangères, en partenariat avec le Centre des hautes études de défense et de sécurité, a organisé hier un séminaire. C’est pour se pencher sur la perception des populations de l’extrémisme violent.
Beaucoup de réflexions, peu d’actions seront tentés de dire certains. D’autres, moins catégoriques, diront simplement, en des termes plus diplomatiques : ‘’Il faut davantage impliquer les populations dans la lutte contre l’extrémisme violent.’’ C’est du moins un sentiment fortement exprimé hier, dans le cadre somptueux du Méridien Président. Les experts, à l’occasion du séminaire post-Forum international de Dakar, se prononçaient sur le thème ‘’Prévention et lutte contre l’extrémisme violent : quelles réponses des populations ?’’. Pour certains intervenants, l’Etat, jusque-là, ne parvient pas à matérialiser de façon concrète les modalités de la participation des populations dans la lutte contre ce fléau. Makhtar Kanté est imam de la mosquée du Point E.
Il déclare : ‘’Je ne sens pas des campagnes de sensibilisation où des départements de l’Etat disent aux imams et autorités religieuses ce qu’il attend concrètement d’eux. Cela ne veut pas dire que ces derniers doivent attendre d’être approchés par l’Etat. Tous les jours que Dieu fait, nous sensibilisons. Mais compte tenu de la complexité du phénomène, il faut organiser cette intervention des religieux…’’ Cette réalité est aussi valable pour les autres couches de la population. Les jeunes et les femmes particulièrement. Et pourtant, depuis la première édition du Fds, devenu aujourd’hui rendez-vous incontournable dans l’agenda africain et international de sécurité, l’on ne cesse de parler de l’implication des jeunes, des femmes et des religieux dans les stratégies de lutte contre les nouvelles formes de violence. Mais la matérialisation des recommandations, si l’on en croit certains experts, tarde toujours à prendre forme.
Au même moment, la violence, au Sénégal, croît jour après jour. Alioune Badiane, Président du Centre d’excellence pour la réflexion et l’action urbaine en Afrique, précise : ‘’La violence et l’intolérance sont partout dans le pays. Pour un oui ou un non, on tue. Je pense qu’il faut renforcer le pacte entre l’Etat et les populations. Que les prêches soient beaucoup plus orientés et que les imams ne se limitent pas seulement à répéter des hadiths dans les mosquées. C’est l’Etat qui doit former ces leaders d’opinion. Les éléments des forces de l’ordre doivent collaborer directement avec eux pour qu’ils aient la bonne information et les conseils appropriés. Sinon, ils vont agir sur la base des rumeurs et c’est là où le bât blesse.’’ Si on en est arrivé à ce stade de violence, c’est surtout à cause des problèmes de gouvernance, selon le spécialiste. D’après lui, cette situation, dans une large mesure, s’explique par l’impatience des jeunes et les problèmes de gouvernance. Pour y remédier, il faut, à son avis, revisiter le mode de fonctionnement de notre société. ‘’Les jeunes sont impatients. Ils n’attendent pas. L’Etat doit donc s’organiser et se donner les moyens de faire face. Et la première chose à faire est d’instaurer un système de gouvernance transparent. Partout où il y a violence, c’est certes parce qu’il y a la précarité, mais cette situation d’extrême pauvreté est combinée à un problème de gouvernance et un sentiment d’injustice’’.
La montée de l’extrémisme violent, si l’on en croit le professeur Bakary Samb, mérite une réponse autre que sécuritaire. Cette dernière, ajoute-t-il, a montré ses limites en Afghanistan et au Nigeria. ‘’Ces solutions militaires ne sont pas inutiles, mais elles sont insuffisantes. Il faut renforcer les moyens préventifs en impliquant davantage les citoyens : les jeunes, les femmes et les religieux’’, affirme le responsable de l’Institut Timbuktu qui a fait une communication lors du panel sur ‘’Rôle des femmes, des jeunes et des autorités religieuses’’. Outre cette problématique, les participants ont également cogité sur le rôle des collectivités locales, des organisations de la société civile et des médias dans la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent. A ce propos, le colonel burkinabé Traoré préconise ‘’une approche territoriale’’ de la question. ‘’Les Etats doivent tenir compte de la spécificité de chaque collectivité locale, définir avec les acteurs de ces collectivités la stratégie à mettre en œuvre. L’Etat doit se concentrer sur les aspects qui transcendent les territoires’’. Ce qui ne sera pas une sinécure, de l’avis du colonel Diouf du Sénégal. A l’en croire, ‘’les populations ne sont pas toujours prompts à collaborer avec les représentants de l’Etat. Comme son homologue burkinabé, il demande une exécution décentralisée des politiques sécuritaires et une conception centrale.
Les huit commandements de l’imam Makhtar Kanté
Dans sa communication, l’imam de la mosquée du Point E, Makhtar Kanté, a tenu à lever tout amalgame entre religion, l’islam particulièrement, et le terrorisme ou l’extrémisme violent. Selon lui, ‘’l’extrémisme n’est pas l’apanage de l’islam’’. Il propose 8 mesures pour une meilleure prise en charge de la question. Parmi ces remèdes, il y a la nécessité d’‘’informer et de sensibiliser les autorités religieuses’’ pour qu’elles puissent porter la parole auprès des populations, faire une cartographie des véritables acteurs, car, explique-t-il, les imams ont des niveaux différents de formation et de compréhension du phénomène. ‘’Si on veut que l’imam s’approprie cette lutte, il faudrait le convaincre de la légitimité de ce combat. Si l’Etat définit sa feuille de route sans intégrer leurs préoccupations, ils ne vont rien faire’’. Il faut aussi mobiliser les imams qui sont dans des sensibilités différentes pour demander à chacun de mener le combat selon sa sensibilité. Makhtar Kanté conseille également à l’Etat de faire attention et de cibler les véritables acteurs qui peuvent atteindre le grand public…
Pour la durabilité de cette lutte, il faut, recommande-t-il, que les rôles soient bien distribués.
Mor Amar