Publié le 6 Sep 2017 - 03:18
‘’A LA CROISEE DES CHEMINS’’

Irene Gaouda (journaliste et écrivaine Camerounaise à Dakar)

 

De par son teint éclatant et sa mine joyeuse, on la confond souvent avec une Sérère. Irène Gaouda, journaliste de formation, est aussi écrivaine de nationalité camerounaise. Elle est l’auteure de ‘’La chèvre de ma grand-mère’’, un roman présenté en 2016 au Goethe Institut de Dakar. Actuellement, elle prépare son second ouvrage qui est en réalité une légende à caractère historique illustrée, un livre- jeunesse qui paraitra en anglais sous le titre ‘’The Enticing Legend of the Massa People’’.   Elle vit à Dakar, depuis deux ans. De son regard d’écrivaine et de journaliste, elle pense que l’art et la culture se portent bien dans son pays d’accueil.

 

Entre l’idée que tu te faisais du Sénégal dans ton pays et la réalité que tu as trouvée ici, y a-t-il une grande différence ?

Déjà, ce n’est pas la première fois que je viens au Sénégal. Je suis venue ici par le passé, dans le cadre d’une mission, en 2013. Avant mon arrivée, je connaissais pas mal de choses sur le pays. D’abord, à travers ses auteurs : Senghor dont les textes figurent au programme scolaire/universitaire en français et en anglais, Cheikh Hamidou Kane, Birago Diop, Cheikh Anta Diop, Boubacar Boris Diop et bien d’autres. Ensuite, à travers ses artistes : Ismaël Lô, Baba Maal, Youssou Ndour, Coumba Gawlo, Ousmane Sow… Enfin, à travers les différents chefs d’Etat qui sont passés à la tête du pays et aussi les Lions de la ‘’Teranga’’ qui ont, à plusieurs reprises, eu à affronter les Lions Indomptables du Cameroun, lors des compétitions internationales. A ce propos, dois-je dire (pour chahuter) que le Lion de la forêt a toujours bouffé le Lion de la ‘’Teranga’’. Autre chose, depuis mon Cameroun natal, j’ai toujours entendu parler de la légendaire hospitalité sénégalaise. Et cela se vérifie, tout de suite, lorsque vous arrivez à Dakar. Tout se passe bien, jusqu’au jour où vous vous frottez à un roc (rires).

Par contre, et pour être sincère, ce que l’on ne sait pas toujours, c’est qu’une fois sur place, il faut un peu oublier son français ou son anglais, loin des salles de cours ou des bureaux. Dans les cars, le taxi, au marché, c’est wolof rek (sourires) et moi, depuis deux ans, je baragouine toujours… Est-ce que la vie est facile ?

Quelle a été la première chose qui t’a marquée ici, une fois débarquée à l’aéroport international Léopold Sédar Senghor de Yoff ?

Le nombre de personnes qui proposent des articles à vendre : cartes de recharge, téléphones, change, etc. Mais peut-être les choses ont changé entre-temps. En tout cas, c’est ce qui m’avait frappée à l’aéroport. Une fois dans la ville, on voit plein de ‘’cars rapides’’ aux couleurs vives, comme seul le pays sait les avoir. J’ai aussi remarqué la présence de ces jeunes gens aux dreadlocks, habillés de patchwork, parfois chaussés, quelque fois non. Ils ont quelque chose de distinctif qui retient l’attention, tout de suite. En plus, ils portent parfois une grande assiette remplie d’argent (les Baye Fall).

Quels sont tes rapports avec les Sénégalais, tes voisins directs depuis que tu es dans ce pays ?

Il serait un peu prétentieux de ma part d’attribuer un qualificatif précis, en affirmant que les Sénégalais sont ci ou ça. C’est quand même 14 millions de personnes ! Par contre, les Sénégalais que je côtoie au quotidien sont plutôt ‘’easy going’’, les hommes sont courtois et les femmes sont cool. Chacun s’occupe de ce qui le regarde.

Es-tu bien intégrée ?

J’ai une facilité d’adaptation qui fait que partout où je vais, je me sens un peu chez moi. C’est comme ça. Je suis née à un bout du Cameroun et j’ai grandi à l’autre bout (Cameroun anglophone dans la région du Sud-Ouest, non loin de la péninsule de Bakassi). Pour les vacances, je parcourais pratiquement tout le pays avec mes parents avant d’arriver à l’extrême-nord Cameroun. Ça permet de rencontrer des gens. En plus, un journaliste est en contact permanent avec le monde.

Ceci dit, depuis mon arrivée à Dakar, on me parle toujours wolof. Quand je ne réponds pas tout de suite, on me parle sérère. En réalité, mes interlocuteurs pensent que je suis Une Sérère. Au point où, une fois à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, un policier m’a fait la remarque selon laquelle des Sénégalais comme moi ‘’refusent de parler nos langues au profit du français’’. Il a fallu qu’il voie mon passeport pour se convaincre du contraire. Ce n’est pas un cas isolé. Beaucoup croient dur comme fer que je suis d’ici. Il parait que mon physique y est pour quelque chose. Je garde de bonnes relations avec mes voisins à la Médina. On se voit très peu, parce que je suis toujours partie bidouiller quelque part, mais le peu de temps durant lequel je suis là, ça se passe sans anicroches. La maman de Fatima et petit Moussa sont mes inconditionnels. Et petit Moussa est adorable. Je garde aussi de bonnes relations avec ‘’Tanty Diallo’’ et ‘’Marguerite Thiam’’ à Dakar-Plateau. Elles sont super cool. Et mes anciens voisins du Plateau aussi.

 Qu’est-ce que tu n’as pas trop aimé au Sénégal ?

 Il fait très chaud. Vraiment, si la nature pouvait être un peu plus clémente, ce serait chouette. Parce qu’en réalité, on vit un peu deux situations extrêmes : soit il fait vraiment frais ou alors il fait très chaud. Difficile de trouver un équilibre entre les deux saisons. Quelqu’un m’a dit un jour : ‘’Mais toi, tu es africaine, tu ne devrais pas te plaindre de la chaleur. Je lui ai rétorqué que le sang qui coule dans mes veines ne connait pas cette distinction-là’’ (rires).

 Qu’est-ce tu adores dans ce pays ?

J’aime le lait caillé : ‘’Sarby’’ ou ‘’Tchiakry’’. C’est bon pour la santé. Il y a aussi ce yaourt à base de riz que j’aime bien. Dans le domaine des arts et de la culture, les choses bougent positivement. L’an dernier, par exemple, j’ai eu le privilège de prendre part à une résidence à Raw Material Company - Centre for Arts and Knowledge sur la critique d’art et les pratiques curatoriales avec des participants venus d’une dizaine de pays. Ça s’est bien passé. Cette année, l’association Osmose-Culture, dont je suis la vice-présidente, a organisé, du 13 au 21 mai 2017 à Dakar, la 4e édition des Scènes expérimentales. Cette édition, placée sous le patronage du ministère de la Culture et de la Communication du Sénégal, a donné lieu à des rencontres autour d’un Master Class Jazz, à une exposition-installation, un concert slam, un symposium, avec des acteurs de la scène artistique sénégalaise. Lorsqu’on a une idée, on trouve toujours une personne avec laquelle la partager. Moi, je trouve cela très positif, parce qu’on a encore beaucoup à donner, que ce soit les TIC, la culture, l’économie, l’industrie, la recherche. Voyez un peu, ce continent est à construire et si les gens sont réceptifs, c’est plutôt encourageant.

Quelle est la valeur du diplôme sénégalais au Cameroun ?

Pour moi, la connaissance est plus importante que le diplôme, si tant est que parfois des gens peu outillés obtiennent des diplômes par des moyens peu orthodoxes. Mais le diplôme est important parce qu’il atteste de ce que vous avez fait une formation suivie d’une sanction. Mais je ne suis pas friande des diplômes, j’en ai eu et j’en aurai encore, s’il plait à Dieu. Toutefois, ce sont les connaissances que j’acquiers en étant en contact avec tous mes enseignants et mes camarades du CESTI et autres professionnels qui sont importantes pour moi. (J’en profite pour faire un coucou à Awa, Anta, Maguy, Fatou, Marie-Pierre et Samira et tous les garçons de ma classe au CESTI, lol).

‘’Dans le domaine de la culture, les choses bougent positivement au Sénégal’’

Quand à la valeur du diplôme sénégalais au Cameroun, j’avoue que je n’ai pas fait un sondage là-dessus. Mais l’UCAD a plutôt bonne presse auprès de ceux qui attachent du prix aux études. Nous avons des enseignants rompus à la tâche, le coordonnateur du programme Master, Dr Mamadou Ndiaye, est en permanence ‘’up to date’’, c’est motivant. Malgré des mouvements de grève observés, l’an dernier, on a tenu le coup. Il faut aussi admettre que certains de mes enseignants du CESTI/UCAD ont été des camarades de mes Prof de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC) de Yaoundé. Ce sont des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime. Elles ont embrassé une profession (journaliste) au moment où de nombreux pays africains cherchaient encore leurs marques sur le terrain de l’alphabétisation et de la scolarisation. Dans un passé récent, on les comptait encore les écoles spécialisées en sciences de l’information et de la communication. Même si, avec le progrès des TIC, les écoles privées dans ce domaine ont pignon sur rue, elles restent rares. Et ce serait une bonne chose de mettre sur pied des partenariats et autres échanges de programmes CESTI-ESSTIC, pour un meilleur partenariat Sud-Sud, pourquoi pas !

Comment vis-tu la distance avec ta famille et le pays, depuis 2 ans ?

J’étais au Cameroun, en octobre 2016. J’ai pu revoir ma famille. Même si c’était dans des circonstances tristes (décès de mon papa et de ma grand-mère, le même jour). Du reste, il y a toujours une ou deux personnes qui sont connectées et, à tout moment, j’ai les nouvelles de ma maison. La technologie a beaucoup évolué. Et c’est surprenant : parfois, on est plus proche d’un membre de la famille que les gens qui nous entourent et que nous voyons de manière sporadique. Tout est dans le cœur.

NDLR : Dakar accueille des milliers d’étrangers de tous les continents. Qui sont-ils ? Que font-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi le choix du Sénégal ? Quels sont leurs rapports avec les Sénégalais ? Quels liens gardent-ils avec leurs pays d’origine ? Qu’est-ce que le Sénégal et l’Afrique peuvent-ils tirer comme profit de cette masse critique concentrée à Dakar ? (...) sont autant de questions qui sont abordées dans cette rubrique ‘’A la croisée des chemins’’ qu’EnQuête propose à ses lecteurs. Sous forme de portraits, profils, entretiens, reportages, votre quotidien vous proposera épisodiquement de faire la connaissance d’un ou de plusieurs d’entre eux.    

MAMADOU YAYA BALDE

 

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