Publié le 1 Feb 2025 - 21:46
POLEMIQUES AUTOUR DES PROPOS DE BIRAME SOULEYE DIOP

Pastef et les milieux religieux, une cohabition sur fond de suspicions 

 

Depuis son accession au pouvoir, le parti PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité) fait face à des défis complexes dans ses relations avec certaines communautés religieuses du pays. Les récents propos tenus par le ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, Birame Soulèye Diop, lors de la cérémonie officielle du Gamou de Fass-Diacksao, ont ravivé les tensions entre le parti au pouvoir et une frange de la société sénégalaise, notamment les salafistes. Ces déclarations, jugées désobligeantes, ont suscité une vague de réactions et expose les fractures entre le parti au pouvoir et les familles religieuses, autrefois perçues comme des alliées potentielles.

 

Lors de cette cérémonie religieuse, le ministre Birame Soulèye Diop a tenu des propos qui ont choqué une partie de l’assistance et, au-delà, une communauté religieuse entière. Interrogé sur la possibilité que des figures politiques de premier plan, comme Ousmane Sonko ou le Premier ministre, puissent se convertir au salafisme, le ministre a répondu avec une fermeté qui a été perçue comme une attaque directe contre cette mouvance islamique.

« Comment une personnalité de cette trempe (Ousmane Sonko) pourrait-elle se convertir en salafiste ? Comment le Premier ministre, un petit-fils de Mame Rawane Ngom et un descendant direct d'El Hadj Ahmadou Ndiéguene, pourrait-il se permettre de devenir salafiste ? Un salafiste ne saurait être issu de cette famille religieuse (...). Aucun patriote n’est salafiste », a déclaré Birame Soulèye Diop, suscitant une onde de choc dans les rangs des salafistes et au-delà.

Ces mots, perçus comme une stigmatisation d’une communauté religieuse, ont immédiatement provoqué des réactions vives. Alioune Badara Mbengue, professeur de lettres, imam à la mosquée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et auteur du livre Salafisme et Convictions, a été l’un des premiers à répondre avec véhémence. Dans une publication intitulée RESPECT AUX SALAFISTES !, il a dénoncé ce qu’il considère comme une instrumentalisation politique des divergences religieuses.

Une réponse cinglante de la communauté salafiste

Alioune Badara Mbengue n’a pas mâché ses mots. Il a rappelé que les salafistes, loin d’être des ennemis de la nation, sont des citoyens engagés, respectueux des lois et soucieux du bien commun. « Monsieur le Ministre ignore peut-être que des salafistes ont soutenu son candidat et ont voté pour lui. Non pas parce qu’il est salafiste ou non, ou parce qu’il entend "salafiser" les Sénégalais, loin s’en faut, c’est tout simplement parce qu’ils ont découvert qu’ils se retrouvent dans pas mal de qualités incarnées par PASTEF et ses leaders, telles que : le patriotisme, le don de soi, la responsabilité, l’équité, l’insubordination aux lobbies et systèmes mafieux... », a-t-il écrit.

L’imam a également souligné que ces propos rappellent les pratiques de l’ancien régime, accusé d’avoir souvent instrumentalisé les différences religieuses pour diviser les communautés. « Il fait partie de ce qui était reproché au régime passé, son immixtion dans le champ religieux pour diviser les communautés et mettre les unes contre les autres », a-t-il ajouté, appelant à plus de retenue et de respect de la part des responsables politiques.

Dr Mouhamed Lo, une autre figure respectée de la communauté salafiste, a également réagi dans un enregistrement audio de cinq minutes. Il a appelé à la neutralité des responsables politiques et à l’évitement des querelles religieuses et ethniques. « C’est une insulte envers les salafistes et un manque de respect notoire », a-t-il déclaré, tout en rappelant que les autorités doivent éviter de tenir des propos qui pourraient enflammer les tensions.

Baye Ndiaye, résident à Tivaouane Peul et militant engagé de Pastef, exprime son désaccord avec les propos tenus par Biram Souleye. Selon lui, ce dernier s'est trompé en raison d'une certaine diabolisation des salafistes, qu'il associe à tort à une opposition systématique aux confréries religieuses. Baye Ndiaye souligne que Biram Souleye méconnaît l'origine et la réalité du salafisme, précisant que de nombreux salafistes sont en réalité des soutiens d'Ousmane Sonko et ont voté pour lui lors des élections.

Il estime que l'intention de l’ex maire de Thiés n'était pas de nuire, mais que ses propos ont été formulés de manière naïve, révélant un problème de communication. Baye Ndiaye rappelle par ailleurs le rôle clé joué par Dr. Ahmad Lo dans l'apaisement des tensions entre Ousmane Sonko et le régime de Macky Sall, lors de la période préélectorale.

De même, Imam Al Amine Dramé, proche de Pastef, partage cette préoccupation et considère la sortie de Biram Souleye comme une erreur stratégique. Selon lui, ces propos maladroits pourraient nuire aux relations diplomatiques, notamment dans un contexte où un grand imam d'Arabie Saoudite est attendu prochainement au Sénégal. Ce dignitaire religieux est censé diriger une prière à la Grande Mosquée, un événement symbolique qui renforce les liens entre les deux pays.

Imam Dramé craint que les déclarations de l’ancien président du groupe parlementaire, perçues comme polémiques, ne créent des tensions inutiles et n'affectent la sérénité de cette visite importante. Il insiste sur la nécessité de mesurer les conséquences de telles prises de parole, surtout dans un environnement religieux et politique aussi sensible.

Une relation complexe avec les confréries religieuses

Les tensions entre PASTEF et les communautés religieuses ne se limitent pas aux salafistes. En septembre 2024, Cheikh Oumar Diagne, ancien Directeur des moyens de la présidence, avait déjà suscité la polémique en critiquant les écrits de Serigne Touba, fondateur de la confrérie mouride. Ses propos avaient provoqué une onde de choc à Touba, capitale relligieuse du mouridisme, et un collège de 28 petits-fils du Cheikh avait produit un réquisitoire pour dénoncer ces attaques.

« Jamais depuis l’indépendance, un acteur politique ou public n’a affirmé sa haine et son hostilité envers toute la communauté, à commencer par ses leaders religieux comme l’a fait Cheikh Omar Diagne à visage découvert et si clairement », ont-ils écrit, appelant les tenants du pouvoir à réagir. Une marche de protestation avait même été planifiée, avant d’être interdite par le préfet de Dakar.

Ces incidents ont remis en cause les difficultés de PASTEF à gérer ses relations avec certaines confréries religieuses, pourtant influentes dans le paysage politique sénégalais. Le refus de prise en charge des hôtes du Magal de Touba (septembre 2024), un événement religieux majeur pour les mourides, avait déjà été à l’origine de la première discorde entre le parti au pouvoir et cette confrérie.

Voile à l’école : le choc entre Sonko et l’église catholique

Les clivages dépassent les communautés musulmanes. En aout 2024, Ousmane Sonko avait déclenché une polémique en s’en prenant aux écoles catholiques qui interdisent le port du voile. « Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie et de style, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile », avait-il déclaré, promettant des mesures strictes contre les établissements qui enfreindraient cette directive.

La réaction de l’Église catholique ne s’était pas fait attendre. L’Abbé André Latyr Ndiaye, une figure respectée du clergé, a répondu par une lettre ouverte en défendant la position des écoles privées catholiques, tout en rappelant leur engagement envers le respect et la paix. « L’école catholique, imprégnée de ces valeurs, n’a aucune raison de craindre le voile, un symbole religieux également ancré dans l’histoire chrétienne », avait-il écrit, citant les écrits de saint Paul aux Corinthiens.

Ces tensions successives posent la question de la stratégie de PASTEF vis-à-vis des communautés religieuses, qui constituent pourtant une base électorale importante. Avant l’accession au pouvoir, les relations entre le parti et les salafistes étaient au beau fixe. « Ils entretenaient de bons rapports et constituent une base électorale importante pour eux », confie Baye Ndiaye.

Cependant, les récents incidents peuvent fragiliser cette alliance. Les salafistes, qui avaient soutenu PASTEF lorsqu’il était dans l’opposition pour ses valeurs de patriotisme et de lutte contre la corruption, se sentent aujourd’hui trahis par des propos qu’ils jugent stigmatisants. « Nous pensions finir, depuis l’avènement de ce nouveau régime, d’entendre de tels propos désobligeants et qui font souffrir. Hélas... ! », déplore Alioune Badara Mbengue.

Ces récentes polémiques pointent ainsi les défis auxquels PASTEF est confronté dans sa gestion des relations avec les communautés religieuses. Alors que le parti s’est construit sur une dénonciation des injustices et des stigmatisations, il semble aujourd’hui tomber dans les travers qu’il dénonçait hier. « Gouverner, c’est rassembler et non diviser », rappelle un observateur politique.

Ousmane Sonko lui-même, lors de la campagne de dénigrement dont il a été victime, a su répondre avec mesure sans jamais heurter une communauté. Il est donc d’autant plus troublant de voir des membres de son gouvernement tenir des propos qui risquent de creuser un fossé entre PASTEF et des segments importants de la société sénégalaise.

Dans un pays où le religieux et le politique sont intimement liés, la gestion des relations avec les communautés religieuses est un devoir pour le parti au pouvoir. Pour éviter de se couper d’une partie de sa base électorale, PASTEF devra faire preuve de plus de retenue et de respect envers toutes les sensibilités religieuses. Car, comme le rappelle Alioune Badara Mbengue, « un patriote peut être salafiste, mouride, catholique ou autre. Ce qui compte, c’est son engagement envers la nation. »

Le gouvernement mise sur le dialogue pour apaiser les tensions

Malgré les tensions récurrentes, comme la polémique liée à Biram Souleymane Diop, le gouvernement sénégalais multiplie les initiatives pour apaiser les relations avec les communautés religieuses. Nommé à la tête de la Direction des Affaires religieuses, Djim Dramé incarne cette volonté de dialogue : depuis septembre 2024, il fait le tour des foyers religieux, de Touba a Diamalaye, en passant par Tivaouane, pour renforcer les liens entre l’État et les guides spirituels.

Récemment lors d’une visite à la mosquée Dental Daaka de Madina, il a réaffirmé l’engagement du président Bassirou Diomaye Faye à soutenir les lieux de culte et les diplômés en langue arabe, insistant sur l’importance de cette collaboration dans un pays « où la quasi-totalité de la population croit en Dieu ».

Parallèlement, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé la création d’un ministère du Culte dès 2025, avec un budget spécifique dédié aux besoins des communautés religieuses. Cette mesure, saluée par des représentants comme la famille religieuse de Madina Gounass, vise à offrir aux confessions un interlocuteur institutionnel clair et des moyens financiers adaptés.

Ainsi, au-delà des polémiques inutiles et évitables, ces actions illustrent une stratégie gouvernementale pour désamorcer les crises et valoriser le rôle central du religieux dans la cohésion nationale.

AMADOU CAMARA GUEYE

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