Les prémices d’un dialogue constructif
Hier, dans notre édition, nous avons mis en lumière le début prometteur d’une nouvelle ère de collaboration entre les médias et les forces de l’ordre. Toutefois, il est essentiel de revenir sur les événements qui ont conduit à cette initiative et, surtout, de mettre en avant les propositions concrètes qui en ont émergé.
Depuis 2021, les relations entre les forces de l’ordre et la presse sont marquées par des tensions. Les agissements et les faits qui ont découlé des manifestations ont divisé les acteurs des deux camps. D’ailleurs le rapport de Reporter sans frontières est éloquent, à ce propos : en trois ans, de 2021 à 2024, plus de 60 journalistes ont été arrêtés, agressés, interpellés ou détenus. Des chiffres qui soulignent bien l'hostilité à l'égard de la presse, avec des actions répressives qui compromettent la liberté de la presse et le rôle des journalistes dans une société démocratique.
De façon plus concrète, le rapport indique que plus de 30 journalistes ont été victimes de violences policières sur la période 2021-2024. ‘’La couverture des manifestations sociopolitiques est devenue le principal terreau des atteintes à la liberté de la presse commises, en grande majorité, par les forces de l’ordre’’. RSF a dit avoir recensé 34 attaques perpétrées par des forces de sécurité, allant de la confiscation de matériel professionnel à l’agression physique, principalement lors de manifestations.
En outre, ce rapport mettait en avant l’urgence de répondre à certains défis pour protéger les droits des journalistes et garantir un environnement médiatique libre.
Le président de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS), Migui Marème Ndiaye, s’est exprimé dans ce sens. ‘’Il est très rare, au Sénégal, d'assister à des événements sans qu'un professionnel des médias ne soit arrêté, brutalisé, parfois même, disons, emprisonné. C'est pourquoi nous, avec notre partenaire Reporters sans frontières, on avait posé le débat pour proposer des solutions’’, a-t-il rappelé. D’après le journaliste, la première solution serait de construire un nouveau cadre de collaboration fondé sur le respect mutuel et la transparence. ‘’Quand on parle de respect mutuel, ça doit commencer forcément par la communication. Parce que tout le problème se résume à ça. Il y a un déficit de communication sur le terrain. Il poursuit : ‘’Si les reporters ne sont pas sur le terrain pour vous accompagner dans votre mission, c'est un moment également propice pour vulgariser les fake news, les manipulations. Alors que nous, on fait un travail basé sur des faits.’’
Ainsi, d’après lui, une meilleure communication et la mise en place de cadres de concertation réguliers à travers des rencontres périodiques entre les FDS et les journalistes pourraient améliorer la relation presse et police. Il propose également d’établir un protocole ou une charte de non-violence entre les forces de défense et de sécurité et les reporters sur le terrain.
Par ailleurs, en instaurant des cadres de concertation réguliers, il se pourrait bien que soit instauré un climat de confiance et de compréhension mutuelle entre les journalistes et le rôle des forces de l'ordre.
Un premier pas salutaire du côté des FDS
Devant ces faits préoccupants, il est à souligner les efforts déployés par la police pour une réconciliation. Notamment, la tenue de la rencontre de ce mercredi entre la presse et les agents de forces de l’ordre. Une initiative de la police.
Cette rencontre s’est donc voulue une première rupture, car en la tenant, la police a brisé une dynamique de confrontation que l’on a observée depuis quelques années sur le terrain. La rencontre a d’ailleurs été marquée par une forte présence aussi bien des agents en formation que des policiers expérimentés aux côtés de nombreux reporters, jeunes et chevronnés. La présence des directeurs généraux de la police et l’accueil chaleureux réservé aux journalistes confirment cette volonté d’ouverture et de dialogue.
D’ailleurs, le directeur général de la Police nationale (DGPN), Mame Seydou Ndour, l’a assurée : ‘’La première chose, c'est qu'on doit faire notre introspection, aussi bien du côté des forces de l'ordre que du côté de la presse.’’ En rappelant que le dialogue doit s’instaurer entre les journalistes et les forces de l’ordre. ‘’C'est nous qui avons organisé la rencontre. Nous vous avons laissé la parole. (...) La prochaine fois, nous souhaiterions que ce soit les journalistes qui organisent et qui nous invitent et qui nous laissent la parole pour qu'on puisse dire aussi ce qu'on a appris’’. Des propos qui ont renforcé l’idée selon laquelle la communication ne doit pas être à sens unique et que des ajustements doivent se faire des deux côtés.
Les recommandations du DGPN
Mais le patron de la police ne s’en est pas limité là. Mame Seydou Ndour a annoncé la mise en place d’un protocole de non-violence deux côtés. ‘’Comme j'ai dit, la violence n'est pas seulement physique. Nous devons trouver un modus vivendi, comme on dit, pour que les policiers soient aussi protégés vis-à-vis des violences verbales ou en tout cas des traitements déséquilibrés de leurs actions’’, a soutenu le directeur général de la Police nationale.
Ensuite, il a mis l’accent sur la formation. Dorénavant, les forces de l’ordre devront maitriser les outils qui contribuent à l’identification des journalistes tels que le Code de la presse, la nécessité de prendre en compte les cartes de presse, etc. ‘’Nous ferons notre possible pour pouvoir parler de vous en termes d'enseignement, en termes de modus que vous mettrez à la disposition de ces écoles de formation, que vous pourrez même dispenser à notre niveau’’, a-t-il lancé aux journalistes présents.
Il a ajouté que des curriculums seront inclus dans les écoles de formation en journalisme, pour la prise en compte des nécessités en rapport avec le maintien de l’ordre. Cela va permettre, explique-t-il, de savoir comment se déplacer dans les zones de sécurité en fonction des circonstances, en fonction de la violence des gens.
Il a également appelé à une sensibilisation sur le secret des enquêtes, pour savoir ce qu’il faut ou ne faut pas publier. Enfin, il a parlé des termes souvent utilisés par les FDS, comme ‘’Dégager’’. Selon lui, ces expressions sont souvent utilisées dans le jargon militaire comme pour dire ‘’Dégager la zone’’, toutefois, il indique : ‘’Si ça dérange, il faudrait qu'on sache qu'on ne doit pas l'utiliser chez les autres. En tout cas, il faut trouver un terme pour changer cela.’’
Cependant, il souhaiterait que les gens ne se focalisent pas sur ça et qu'ils comprennent que c'est une culture chère aux militaires. ‘’Il y a des mots que je ne veux pas utiliser ici, mais qui, en termes militaires, n'ont aucune incidence’’. Une incompréhension qui, selon lui, est tout le temps au cœur des problèmes.
Ainsi cette rencontre, au-delà de son aspect symbolique, pourrait bien constituer un pas vers une cohabitation plus apaisée entre policiers et journalistes.
Reste à voir si les engagements pris se traduiront par des actions concrètes sur le terrain.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE