Plaidoiries en coulisses
La salle 1 du Palais de justice de Dakar était hier pleine à craquer. Le procès de Kémi Séba, ce sulfureux et tonitruant activiste et panafricaniste, a mobilisé. Les membres de sa famille, ses sympathisants, des mouvements citoyens et des organisations de défense des droits de l’Homme étaient tous présents.
Venus aux premières heures de la matinée, famille, amis et soutiens ne voulaient rien rater des débats de l’audience qui a démarré à midi. Le temps pour le président d’expédier les autres affaires. Ainsi, midi sonnante, il a évoqué le fameux dossier. ‘‘Affaire 46 : Ministère public contre Stellio Capo Chichi et Alioune Abatalib Sow’’, a lancé le juge dans le micro. Installé dans le box des prévenus, Kémi Séba, habillé d’une chemise wax à manches longues rayée de traits hétéroclites, s’est levé de son siège, levant la main gauche en signe de victoire. Son geste a aussitôt été repris par ses partisans qui poussaient un ouf de soulagement que le procès démarre. Mais très vite, ils ont déchanté, car à peine les prévenus à la barre, ils ont été renvoyés au box. Le juge en profita pour lancer une mise en garde. ‘‘Nous ne sommes pas dans une salle de spectacle, mais un tribunal. Je n’hésiterai pas à évacuer la salle, s’il y a des signes d’approbation ou de désapprobation.’’
Cette menace n’a pas été entendue par l’auditoire. Car celui-ci ne s’est pas empêché d’acclamer Kémi Séba, pendant qu’il faisait sa déposition. L’audience ‘‘perturbée’’ par ces applaudissements, le juge Dondé l’a suspendue avant de demander aux gendarmes d’évacuer la salle, à l’exception des journalistes. Furieux, le public a dû quitter la salle, en rouspétant. C’est alors à huis clos, en présence de la presse, que le jugement s’est poursuivi. Mis au parfum de ‘‘la relaxe’’ de leur ‘‘mentor’’, le public, regroupé dehors, n’a pas manqué de manifester son ‘‘bonheur’’ et d’exprimer sa ‘‘satisfaction’’. Scandant le nom de leur héros et gambadant, les partisans de l’activiste étaient au comble de leur joie.
Rapidement, le hall du tribunal s’est transformé en une piste de danse.
Dépassés par la tournure de l’évènement, les vigiles en faction ont dispersé la foule, l’invitant à quitter les lieux. L’ambiance s’est poursuivie en dehors du tribunal, devant la grande porte, envahie par une nuée de personnes.
Etuna Séba : ‘’J’ai été meurtrie et offusquée’’
Tout le monde (sympathisants du panafricaniste, mouvements et organisations de droit-de-l’hommiste) est unanime pour dire que l’interpellation de Kémi Séba est un ‘‘procès politique’’. A côté de l’euphorie ambiante, Etuna Séba, l’épouse du prêcheur panafricaniste, ruminait les propos de Me Pape Jean Sèye, avocat de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BECEAO). Le conseiller de ladite institution a en effet évoqué, pendant sa plaidoirie, la ‘‘descendance’’ du prévenu qu’il a qualifié de ‘‘pur français’’ pour être né à Paris. ‘‘Le procès de Sémi n’est pas une affaire ethnique ou d’appartenance à une quelconque nationalité. J’ai été meurtrie et offusquée d’entendre certains propos de la part de l’avocat de la défense’’, se désole-t-elle d’un ton dur.
Etuna de se féliciter, cependant, du verdict rendu par le tribunal, dans la mesure où ‘‘la justice n’avait pas les arguments probants’’ pour poursuivre son mari. Selon Seydi Gassama, représentant d’Amnesty international au Sénégal, le procès de Sémi Kéba est un ‘‘procès politique’’. Le droit-de-l’hommiste est convaincu qu’il y a ‘‘la main de puissances occidentales’’ derrière cette affaire. Khoureychi Ba, très en verve dans la défense de son client, a également salué la décision, puisqu’il n’y avait pas, à son avis, de délit ni de surprise dans cette affaire. ‘‘Le droit pénal ne peut pas incriminer les agissements concernant une pluralité de choses, notamment qu’on parle de billets au pluriel’’, constate l’avocat.
Pour ‘‘avoir brûlé un billet de banque, on vient nous dire que Sémi Kéba doit tomber sous le coup de la loi. Heureusement que le tribunal a rejeté cette mascarade judiciaire. Autrement, ce serait incriminer les faits d’une telle banalité’’, pense Me Ba qui répondait à la presse. Par contre, Pape Jean Sèye, défendant les intérêts de la Banque Centrale, dit avoir ‘‘pris acte de la décision’’. La BCEAO a fait ce qu’elle avait à faire, renseigne-t-il, c’est-à-dire ‘‘informer les autorités de l’acte de Sémi Kéba et déclencher une procédure pénale’’.
Le reste étant du ressort des autorités judiciaires dont il respecte l’indépendance, c’est la réaction officielle de la BCEAO, reconnaît l’avocat. Le mouvement ‘‘Y’en a marre’’ n’était pas en reste. Thiat et consorts étaient venus ‘‘prêter main forte à leur frère d’arme’’. Ledit mouvement se dit ‘‘satisfait et content’’. ‘‘On savait qu’il n’y avait absolument rien dans le dossier pour retenir Sémi. Nous avons assisté à un procès politique’’, a raillé Thiat. Les membres de ‘‘Y’en a marre’’ affirment avoir ainsi, par leur présence, posé ‘‘un acte symbolique’’ et promettent que ‘‘d’autres actes vont suivre’’, car ils partagent avec Kémi ‘‘les mêmes causes et des principes identiques’’. ‘‘Le F Cfa et la France doivent dégager. Nous allons porter haut le combat’’, a martelé Thiat entouré par une foule immense.
LAMINE DIAGNE (STAGIAIRE)