Le retour de l’Imam prodige
Embarqué dans un véhicule blindé sous forte escorte policière, il y a trois ans environ, Imam Alioune Badara Ndao a connu hier à Kaolack un accueil digne des grands hommes.
Tout de blanc vêtu, y compris l’écharpe sur la tête, le point en l’air, l’homme savoure son instant de gloire. Le corps émergeant d’une voiture 4x4 décapotable, Imam Alioune Badara Ndao multiplie les gestes de remerciements et de reconnaissance de part et d’autre, à l’image d’un président africain en tournée économique. Difficile de croire que c’est lui, le ‘’terroriste’’ arrêté chez lui avec un dispositif sécuritaire impressionnant, qui revient au bercail dans une ambiance aussi grandiose. Qu’il est loin cette aube du 27 octobre 2015 ! Hier à Kaolack, des centaines de personnes et une colonne infinie de voitures l’ont l’accompagné jusque chez lui à Ngane.
C’était l’ambiance des grands jours. Une fête pour les partisans de l’imam. Tôt le matin, tout est fin prêt pour accueillir l’hôte de marque. Pas question de se la jouer modeste. Les talibés et sympathisants de Imam ont décidé de mettre les petits plats dans les grands. Tout ce que la communauté possède comme véhicule est mobilisé. Au lieu de l’attendre chez lui, ils ont décidé d’aller l’accueillir à Kabatoki, première localité après Kaolack, située à 8 kilomètres de la ville. En plus des véhicules particuliers, deux grands bus de 60 places ont été loués dans un premier temps, puis deux autres de la même dimension. Malgré tout, certains estiment qu’il en faut encore deux pour convoyer tout ce beau monde. ‘’Non, il faut arrêter ! Ceux qui n’ont pas de place n’ont qu’à rester ici l’attendre ! Cet argent peut servir à autre chose’’ ! objecte un membre de l’organisation. ‘’Aujourd’hui, il n’y a pas d’économie à faire. La réception doit être grandiose’’ ! lui rétorque une dame.
A 10h 30mn, le convoi a quitté le domicile de Imam Ndao en direction de Kabatoki. Une fois sur place, les hommes se sont alignés sur un côté de la route, les femmes de l’autre. L’ambiance est surexcitée. ‘’Cet instant me rappelle le jour où le Prophète Mohamed (SAWS) a quitté La Mecque pour Médine. C’était très dur le jour où on a embarqué Imam mais aujourd’hui, nous rendons grâce à Dieu’’, s’extasie Ousmane, un de ses disciples. D’ailleurs, il n’est pas le seul à faire le lien entre les deux évènements, puisque les dames, particulièrement les filles habillées en noir et blanc, reprennent les premiers refrains de la chanson avec laquelle le Prophète Mohamed (SAWS) a été accueilli par les gens de Yathrib (Premier nom de Médine). A cet instant, une dame, débordante d’énergie, se rapproche d’un homme et s’écrie : ‘’Moustapha Seck eh ! Je suis vraiment fâchée contre toi. A quoi ces faibles haut-parleurs-là peuvent servir ici ? Il fallait chercher un camion de sonorisation comme le font les politiciens !’’
L’arrivé de l’imam prodige est prévue à 11h. Mais c’était sans compter avec les nombreuses escales sur la route. Dans chaque localité, rapporte-t-on, des gens sont sortis pour l’accueillir. Les habitants de Mbour l’ont d’ailleurs contraint à s’arrêter longuement. Il a même pris la parole, disent certains. Pendant ce temps, même si le soleil de Kaolack a été plus clément que d’habitude, les organismes ont commencé à subir l’épreuve de la longue attente. Par petits groupes, on se retire sous l’ombre des arbres pour se protéger des rayons solaires qui ont réussi à tromper la vigilance des nuages. Certains sont assis sur des pneus, d’autres sur un morceau de bois ou de brique. Bref, toutes sortes de sièges de fortune. A plusieurs reprises, les gens se sont levés en masse pour rejoindre les rangs assez clairsemés à ce moment, avant de se rendre compte qu’il s’agit d’une fausse alerte. Quelques minutes avant la fin de l’attente, les règles ont été à nouveau rappelées à l’assistance. ‘’Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Il ne faut pas traverser, il ne faut pas barrer la route, non plus. Il y a des gens qui passent, et il faut éviter de porter du tort à son prochain.’’
Unité des musulmans
Finalement, c’est à 14h passées de quelques minutes que le religieux est arrivé, alors qu’il a quitté Dakar juste après la prière de l’aube. Sitôt Imam Ndao aperçu, les consignes sont oubliées. Hommes comme femmes se sont précipités sur son véhicule. La route est barrée en un clin d’œil. L’enthousiasme se lit sur tous les visages, les actes aussi. On tape fort dans la main de l’autre pour le saluer. On se tient debout sur les marchepieds ou assis sur une portière, l’une des mains servant de ceinture de sécurité et l’autre dans le vent pour manifester sa joie. S’ensuit alors une randonnée festive à travers les rues de Kaolack.
En guise de démonstration de force, on décide de passer par la gouvernance au lieu d’emprunter ‘’taly Mériniak’’, la voie la plus directe. Et c’est comme si toute la ville attendait le retour de son fils. Devant chaque maison ou chaque lieu de travail, les activités se sont interrompues le temps que le convoi passe. Par-ci, on hoche la tête, le visage souriant, par-là, on agite les mains. On crie ‘’Allahou Akbar !’’ sous l’influence des partisans de l’imam, décidés à chauffer l’ambiance. Les commentaires ne sont pas en reste.
Conducteurs de moto Jakarta, mécaniciens, apprentis-chauffeurs, tous s’y mêlent. Sans oublier les femmes dont certaines, émues, ne peuvent pas retenir leurs larmes. ‘’Seule la vérité triomphe’’, lance une dame, la voix nouée. ‘’Quiconque voit ça saura que ce n’est pas du néant’’, ajoute un homme. ‘’Ils ont voulu l’humilier, mais Dieu l’a anobli. Regarde cette marée humaine, même Macky Sall ne peut pas espérer autant’’, renchérit une fille.
En l’espace d’une journée, tous les clivages religieux ont cédé la place à l’unité. Dans la foule, l’appartenance confrérique de certains se lie facilement à travers l’accoutrement (bonnet, chaussure) ou le chapelet. Mais aussi à la prise de parole. ‘’Barké Serigne Bamba, imam, nous sommes contents. Que Dieu te protège’’ ! s’écrie une jeune maman. Dans le cortège, les disciples de l’Imam sont d’ailleurs les moins nombreux, plus visibles à l’organisation qu’ailleurs. Il a fallu environ 1 heure de temps pour faire la douzaine de kilomètres du trajet. Signe peut-être qu’Imam Alioune Badara Ndao, peu connu il y a trois ans, a acquis désormais une nouvelle dimension.
BABACAR WILLANE