Perpétuité requise contre imam Boubacar Dianko
Après six ans de détention préventive, imam Boubacar Dianko a été attrait, hier, à la barre de la chambre criminelle de Dakar. Le parquet a requis les travaux forcés à la perpétuité.
Né en 1970 à Missirah, imam Boubacar Dianko est l’une des premières personnes à être arrêtées pour terrorisme. Et depuis février 2013, il était en détention préventive. Sa longue détention avait fini par exaspérer ses proches et ses avocats. Avec la tenue de son procès, hier, devant la chambre criminelle spéciale du tribunal de grande instance de Dakar, un brin d’espoir avait jailli chez les siens. Tout cet espoir a été amenuisé, avec le réquisitoire du parquet qui a demandé qu’il soit condamné aux travaux forcés à la perpétuité. Un réquisitoire qui semble laisser de marbre l’accusé.
Tout de blanc vêtu, le maître coranique ne cessait d’afficher un sourire durant toute l’audience. Une attitude qui a intrigué le président. ‘’Je n’ai jamais vu une personne comme vous. Le procureur vient de requérir la perpétuité, mais vous continuez à rire’’, lui a lancé le juge. Avec son éternel sourire, imam Dianko de rétorquer : ‘’C’est la volonté divine. La seule chose que je regrette, c’est le fait que je sois jugé publiquement, mais je ne suis innocent.’’
Mais la parquetière estime que, même si l’accusé conteste les faits qui lui sont reprochés, il est affilié aux djihadistes du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest à Gao (Mujao), né d'une scission d'Al-Qaida au Maghreb islamique fin 2011. Car, argue-t-elle, dans son répertoire téléphonique, des individus proches de ce mouvement Mujao étaient parmi ses contacts. Tout compte fait, imam Dianko a été arrêté, parce que les services secrets maliens avaient découvert qu’il communiquait en permanence avec l'émir du Mujao à Gao, Hamada Ould Mohamed El Kheiri, et un agent recruteur dudit groupe. En exploitant ces renseignements, les agents de la Division contre-espionnage de la Division de surveillance des territoires ont pu découvrir que le suspect avait quitté le Sénégal, dans la nuit du 3 au 4 janvier 2013, pour se rendre à l'étranger, après avoir reçu une somme de 200 mille francs envoyée depuis le Mali. Ainsi, le 8 janvier 2013, Dianko est arrêté dans une localité située à Kédougou, en compagnie de son neveu et élève Serigne Ahmadou Bamba Dianko, par les agents du Service régional des renseignements généraux de Tambacounda.
Selon les éléments de la procédure, au moment de l’arrestation, l’imam était porteur d'un port Usb et d’une carte Cd dans laquelle il y avait une vidéo d'un combattant armé d'un fusil de guerre qui entrainait des jeunes combattants mineurs. Cette vidéo de propagande et d'enrôlement a été prise à partir de son téléphone portable. Lorsqu’il a été interrogé, Boubacar Dianko avait contesté son séjour à Gao, avant de l’admettre, en reconnaissant avoir séjourné aux côtés de l'émir qui serait son ancien maître coranique. Il soutenait que ce dernier lui proposait de rejoindre les rangs de leur mouvement pour faire le djihad, mais il avait refusé.
‘’L’idée du djihad n’a jamais effleuré mon esprit’’
Face aux juges, hier, l’accusé a contesté les faits d’association de malfaiteurs, d’attentat à la sûreté de l'Etat et d’acte de terrorisme retenus contre lui. Il a déclaré qu’il n’a jamais été un djihadiste. ‘’L’idée du djihad n’a jamais effleuré mon esprit. J’étais parti au Mali participer à un concours de récital de Coran auquel mon neveu devait participer’’, s’est-il défendu. L’imam Dianko a également confié avoir connu le djihadiste en 2003, en Mauritanie. Il y avait amené ses élèves poursuivre leurs études coraniques, mais il ignorait qu'il était du Mujao. L’accusé a soutenu que Hamada Khaïri a séjourné chez lui. ‘’C'est en priant dans une mosquée qu'il m'a reconnu et il est venu m'embrasser et nous sommes partis ensemble chez moi. Lorsque mon frère a entendu à la radio que le chef du Mujao avait pris la fuite, il m'a demandé d'être méfiant à son égard. Quand je l'ai interpellé, il a pris la fuite’’, a raconté l’accusé.
A l’en croire, quelques années plus tard, un individu lui a remis son numéro pour qu’il l'appelle. ‘’Quand je l'ai appelé, poursuit le religieux, il m'a demandé si je détenais toujours mon école coranique. Je lui ai répondu par l'affirmative. Il m'a proposé de venir avec deux élèves pour qu'ils poursuivent leurs études coraniques au Mali. Lorsque je lui ai fait savoir que je n'avais pas les moyens, il m'a envoyé 200 mille francs’’. Aussi, a-t-il nié avoir combattu dans les rangs des djihadistes. Car, dit-il, ‘’en quittant le Sénégal, j'avais comme destination le Burkina Faso. Si je ne me trompe pas, j'ai passé 4 jours à Gao et je n'ai jamais visité de camp d'entraînement’’. Selon ses dires, il est parti avec son neveu, lorsque les Français ont bombardé la localité, car il a découvert que ses hôtes agissaient comme des djihadistes.
S’expliquant sur la vidéo, il a soutenu que c’est Hamada Khaïri qui a filmé la scène. Il a confié l’avoir montré à son neveu pour le sensibiliser et le mettre en garde contre le terrorisme. Ce dernier l’a contesté, en déclarant que son oncle ne lui a rien dit, lorsqu’il visionnait la vidéo. Le pire, son oncle lui avait fait croire qu’ils devaient se rendre en Mauritanie. Selon son témoignage, imam Dianko était très à l'aise avec Hamada, car tous les deux discutaient et rigolaient.
La longue détention préventive fustigée
Quoi qu’il en soit, la défense a plaidé l’acquittement, au motif qu’il n’y a pas de preuve, mais ‘’des suppositions’’. Mes Aly Fall et Ahmed Sall ont jugé l’accusation ‘’trop légère’’ et qu’il n’y avait pas matière à maintenir une personne en prison pour six ans. Me Malick Fall a fustigé l’absence de culpabilité de l’imam. ‘’Il est parti au Mali sur des intentions nobles, notamment pour chercher des financements.
Son acte n'est pas irresponsable. Il a été motivé par la passion d'enseigner’’, a-t-il plaidé. Non sans dénoncer la longue détention préventive subie par leur client. Selon ses explications, le religieux écroué en février 2013 a bénéficié d’une liberté provisoire en 2014. Malheureusement, se désole-t-il, ‘’l’ordonnance a été infirmée par la cour d’appel car, le même jour, la presse avait fait état d’une fausse alerte à la bombe’’. Autre irrégularité, c’est la lenteur dans la tenue du procès, car l’ordonnance de renvoi en jugement a été signée depuis février 2015. ‘’Est-il acceptable que quatre ans se soient écoulés entre l’ordonnance de renvoi et le procès ?’’, s’est interrogé la robe, en révélant que le dossier de leur client était perdu pendant quatre années au tribunal. Le pire, la santé de l’accusé s’est détériorée, car l’imam a même failli perdre l’usage de la jambe, n’eût été l’opération qu’il a subie, il y a deux mois’’.
La chambre spéciale rend son verdict le 10 avril prochain.
FATOU SY