Un mariage anciennement critique devenu idyllique
Malick Thiaw (défenseur AC Milan, 23 ans) et Ilay Camara (latéral droit Standard Liège, 21 ans) sont respectivement des internationaux espoirs allemand et belge qui sont ouvertement courtisés par les dirigeants du football sénégalais. Les dossiers avancent et montrent que le Sénégal devient une destination de choix pour les binationaux.
Depuis moins de cinq ans, voir un binational rejoindre les Lions du Sénégal sonne de plus en plus comme une évidence. Après les succès de Kalidou Koulibaly, Édouard Mendy, Abdou Diallo et Pape Guèye, champions d’Afrique en 2022, le fait de choisir le Sénégal comme nationalité sportive devient un prestige, contrairement aux années précédentes. Loin est le temps où les binationaux snobaient l’équipe nationale du Sénégal pour un autre pays européen. Désormais, la réflexion s’impose. La question se pose et des arguments s’opposent pour ces jeunes joueurs à la porte d’une carrière internationale.
Vice-champion d’Afrique 2019, champion d’Afrique 2022, double mondialiste (2018-2022), champion d’Afrique U17 et U20, longtemps meilleure nation africaine (actuel 2e) et 17e mondial, le CV du Sénégal, toutes catégories confondues, commence à peser sur la balance et compte sur la cartographie du football international.
Le gain de légitimité de l’équipe nationale sénégalaise a été un long chemin tumultueux. Jadis moqué pour son statut de géant aux pieds d’argile, le Sénégal est devenu, ces dernières années, une nation qui compte et qui joue les premiers rôles dans le football.
Pas assez bien pour eux
Patrick Vieira (champion du monde 1998 et champion d’Europe 2000), Patrice Evra (légende de Manchester United et de l’équipe de France), Ibrahim Ba (ancien international français passé par Bordeaux et le Milan AC), Bafétimbi Gomis (ancien international français et légende du championnat de France), Bacary Sagna (ancien international français, passé par Arsenal et Manchester City), Benjamin Mendy (champion du monde 2018). Voici des joueurs qui auraient pu porter le maillot de l’équipe nationale du Sénégal. Mais pour une raison ou pour une autre, ceci n’est jamais arrivé. Ces joueurs ont foulé les plus prestigieuses pelouses européennes, joué les plus grandes compétitions au monde. Mais la tunique des Lions était peu attrayante à l’époque. ‘’J’ai fait mon choix. C’était mon histoire, mon chemin avec les Bleus. Mais j’ai toujours eu ce côté sénégalais en moi. À la maison, on parlait ‘sénégalais’. Je suis fier d’être franco-sénégalais. Mais à l’époque (en 2008), si ça avait été le Sénégal d’aujourd’hui, ma décision aurait peut-être été différente’’, disait Bafétimbi Gomis.
Attaquant des années 2000, l’ancien joueur de Lyon, de Saint-Étienne et de l’Olympique de Marseille avait le choix entre la finaliste de la Coupe du monde 2006 et une équipe sénégalaise qui a été éliminée dans la course au Mondial-2006 par le Togo. L’instabilité régnait au sein des instances dirigeantes du football sénégalais et les binationaux ne faisaient pas des Lions un choix pour une probable carrière internationale.
Déjà, entre 2005 et 2009, la sélection A connu cinq entraîneurs à sa tête. Malgré la belle génération composée en partie par les quarts de finaliste du Mondial-2002, la sélection peinait à attirer du fait de son manque de structuration. Elle n’était qu’un choix par défaut pour certains binationaux et pour d’autres un choix pas envisageable.
“Mon père a pris contact avec la fédération… Je n’ai jamais eu de réponse”
Même si elle manquait d’attrait, beaucoup de jeunes binationaux tentaient de faire le premier pas afin d’intégrer la sélection, mais sans suite. ‘’À l’époque, au centre de formation à Auxerre, j’ai voulu jouer pour le Sénégal, dans l’équipe des jeunes. Mon père a pris contact avec la fédération, j’avais 17 ou 18 ans. Je n’ai jamais eu de réponse, même pas un appel, rien. Après, je me suis dit ‘quoi faire ?’. Je me suis développé et je suis devenu pro’’, affirmait Bacary Sagna. International français à 65 reprises, l’ancien d’Arsenal fait partie de ces joueurs qui n’ont jamais eu l’opportunité d’intégrer la Tanière malgré leur désir.
L’absence de politique sportive à l’époque et le manque d’ouverture par rapport aux jeunes talents capables de porter les couleurs sénégalaises ont été handicapants pour de nombreux joueurs ayant décidé de défendre d’autres nations par la suite. Les instances dirigeantes du football sénégalais s’intéressaient peu à ce qui se passait au-delà de nos frontières.
“C’est un choix du cœur, un choix qui me définit’’
Aujourd’hui, la donne a changé. L’environnement est moins néfaste. La stabilité est de mise et les résultats sont de plus en plus positifs à tous les niveaux. De grands espoirs du football ayant un lien avec le Sénégal optent pour les Lions.
Depuis quelques mois, beaucoup d’entre eux font le choix du Sénégal sans réfléchir et quelques-uns sont ouverts pour intégrer la Tanière. Yehvann Diouf (gardien de but du Stade de Reims, 25 ans) avait confirmé en conférence de presse, le 3 janvier dernier, vouloir évoluer sous les couleurs des champions d’Afrique 2022. ‘’J’avais rencontré Pape Thiaw avant la trêve de novembre et on avait échangé sur pas mal de sujets, notamment en ce qui concerne la sélection. J’avais dit que j’étais prêt à venir sur la pointe des pieds et prêt à occuper n’importe quel poste. Je suis très fier de pouvoir venir. C’est un choix du cœur, un choix qui me définit’’.
Les mentalités ont évolué et les dynamiques ont changé. Comme Yehvann, de nombreux jeunes binationaux ont accepté de s’ouvrir pour une venue en sélection. Le nouveau sélectionneur et la Fédération sénégalaise de foot ont récemment entamé des procédures pour enrôler le maximum de jeunes talents afin de renforcer les sélections jeunes et A.
La roue a tourné.
Par Mamadou KANE