Publié le 27 Jan 2021 - 03:20
CENTRAFRIQUE

Bangui, l’élection et ses groupes armés

 

‘’Tu as des pierres ?’’. La question m’a pris de court. Choqué par le tutoiement ? Oui, bien évidemment. Un agent de l’Etat ne peut interpeller un voyageur aussi brutalement. Inélégant !

Je suis à l’aéroport Mpoko de Bangui pour prendre le vol qui me ramène chez moi. Le séjour a été long et stressant. Certes, il y a toujours ceux que l’on désigne ici comme ‘’les groupes armés’’, il y a aussi cette ambiance délétère du fait d’une élection chahutée par l’opposition qui n’en voulait point, face à la Minusca. Cette dernière n’entendait point encourager le stand-by dans un pays sans véritablement un Etat et que péniblement, elle cherche à remettre la machine en marche. Et il y a le gouvernement qui a peur de devoir faire face à ces hordes de groupes rebelles avec une armée, les fameuses Faca, inexistante, qui, au premier coup de feu, se rend à l’ennemi.

Quitter le pays, ce n’est pas fuir le chaos, mais se savoir en route pour son chez-soi vous rend euphorique. Alors la question de la dame en tenue qui se présentera comme fonctionnaire des Mines vous cloue sur place. ‘’Je ne vous comprends pas, Madame !’’. Elle se présente et explique que celui avant elle, qui a fouillé mon sac à main, est un policier et elle, c’est les Mines. Et elle répète sa demande, à savoir si j’ai des diamants dans ma valise. Diantre que non ! Si j’en avais et que je serais un trafiquant même peu futé, aurais-je eu la témérité ou serais-je bête, de faire une telle déclaration ? Je réponds que non. Ce qui ne m’épargne pas de devoir ouvrir la valise.

Elle plonge ses mains dans les habits, cherchant dans les recoins une… pierre. Elle fait ouvrir les pochettes. Rien à déclarer, rien de trouver. Elle finit par me faire signe qu’elle en a terminé. Ouf ! Que non ! D’autres étapes sur le chemin de la salle d’embarquement sont à emprunter.

Arrivé à 5 h 30 aux premières lueurs de la matinée, j’en suis à ma quatrième barrière administrative. Il y en a avait au portail d’entrée où les valises s’alignent attendant que l’aéroport s’ouvre aux voyageurs. En fait non, il fallait passer d’abord dans la salle à côté pour présenter le test Covid et son billet avant de passer la porte. Sésame présenté, une autre épreuve à cinq mètres pour re-vérification du passeport et du billet. Enfin, ouf !? Le trip avant l’avion est encore plus fastidieux. A gauche, il y a un agent qui ausculte le test Covid, encore ! A droite, un policier et l’agent des Mines. Dans ce vestibule qui s’ouvre sur la salle d’enregistrement, vous êtes contrôlés quatre fois avant de franchir la petite porte qui y mène, une ultime barrière administrative. Il faut re-brandir le passeport et le billet.

Quand, enfin, vous accédez à cette salle d’enregistrement d’à-peine 20 mètres de long, vous vous dites que le périple bureaucratique est bien fini. A ce niveau, c’est comme dans tous les aéroports moins l’aspect plutôt minuscule et sans charme. Cela se passe sans problème. La police des frontières qui siège dans la même pièce ne fait pas de chichis. Elle appose son cachet sans difficulté après avoir obtenu une réponse sur votre lieu de résidence à Bangui. Sauf qu’il faut noter que Mpoko doit bien être le dernier aéroport à encore exiger le remplissage d’une fiche à l’embarquement. On ne s’en plaint pas, après toutes ces vérifications subies.

Enfin ouf ? Non !!! La porte qui mène à la salle d’embarquement a aussi son cerbère qui exige de voir votre carte d’embarquement, le passeport, le test Covid. Pourquoi se plaindre alors que ceux qui sont déjà passés par là ne sont pas morts, ni tombés en syncope et occupent les sièges attendant d’embarquer ? Il suffit de montrer patte blanche. Mais on ne passe pas comme cela ici, il faut encore prouver que l’on a son ticket et pas de pierre cachée au fond son sac. Une table avec un agent est là. De quel service est-il ? Peu importe ! Il faut montrer patte blanche. On s’exécute. Encore !!! Eh oui, il cherche apparemment des… pierres. Celles qui ont échappé à la fouille des autres. Tant qu’à souffrir, souffrons une dernière fois de la fouille.

EOn n’a rien à cacher. Et c’est bientôt terminé. On jette un coup d’œil à la salle d’embarquement. Déception, elle est toute petite avec des brasseurs d’air fatigués. Un bar dans un coin qui ne peut contenir une huitaine de personnes. Je choisis la salle censée accueillir les voyageurs en «Affaires». Trois Indiens devisent, un Russe à son accent s’entretient avec un Africain en anglais. Il faut payer 7 000 F pour avoir le droit d’y attendre son vol. Et on y a droit de manger une omelette et d’avaler un café, une dosette de Nescafé. Un croissant ? Non ! Il n’y en a pas. Un Coca ? Il n’y en a pas. On ne gardera pas un souvenir agréable de l’aéroport de Bangui Mpoko, du pays non plus.

Bangui est une ville comme toutes les villes coloniales. Un coin bien protégé où les colons avaient bâti leur résidence et une banlieue sans charme, sur des plaines sablonneuses ou marécageuses et enveloppée d’une poussière ocre de la latérite. Sur les versants de la colline qui domine la ville, les anciennes bâtisses coloniales abritent la vie des expatriés et des Centrafricains fortunés. Le centre-ville, vous le cherchez jusqu’aux rives de l’Oubangui qui fait frontière avec le Congo démocratique. Si vous vous attendiez à un ‘’Plateau’’ comme à Abidjan ou Dakar, c’est que vous vous faites des illusions. Ici, il y a un petit centre urbain sur un kilomètre. Sur l’avenue Barthélémy Boganda, le héros local, des bâtiments au style colonial bordent la ‘’main street’’. Sur l’autre grande avenue, dit de l’Indépendance, c’est pareil. Les quatre supermarchés y sont, le Grand Café aussi, deux restaurants, le pressing, les sièges des compagnies de téléphonie, deux ou trois pharmacies… Ce n’est pas très cosy, mais ce sont ces lieux dont les rues défoncées ne dérangent personne que le taxi qui me conduit appelle le ‘’centre-ville’’. C’est Kilomètre Zéro, pour les urbanistes. PK0, pour les habitants.

Bangui, une ville martyre qui aspire à la paix

A Bangui, la ville se décrit à partir de ce carrefour d’où débute le comptage kilométrique des routes. L’avenue Barthélémy Boganda commence là et va vers ‘’PK5’’ ou km 5 ou encore plus loin. ‘’PK5’’, c’est sans doute le quartier le plus connu de Bangui, pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Les derniers moments du régime de François Bozizé a fait sortir ce quartier de l’anonymat d’un bidonville habité en grande partie par des populations musulmanes. Celles-ci y ont vécu le martyre sous le régime Bozizé, mais aussi des milices censées les protéger, mais qui les rackettaient jusqu’à l’os pour pousser finalement les commerçants de PK0 à se rebeller, armes au point.

Bangui est une ville martyre qui aspire à la paix. Tout le monde y a ses raisons de ne plus vouloir revivre le règne de François Bozizé, des Seleka ou Anti-Ballaka, comprenez ‘’Anti balles de Aka 47’’. On veut y vivre en paix. Le 27 décembre 2020, les électeurs banguissois sont ainsi sortis en masse pour voter. Le taux de participation dans la ville a atteint 80 %. Malgré les rumeurs d’une attaque des groupes armés. Malgré l’insécurité qui a atteint plusieurs préfectures empêchant la moitié des électeurs du pays à oser se rendre dans les centres de vote que quelques téméraires agents ont osé ouvrir. Courageux Banguissois, eux qui ont osé se rendre aux urnes, alors que François Bozizé, l’ancien président roublard comme pas un, a bien joué de tout le monde. Ecarté de la compétition par la Cour constitutionnelle, il accepte son sort et accorde son soutien au candidat Anicet-Georges Dologuélé. Celui-ci, heureux de sa bonne fortune, fait vite d’aller le remercier en brousse, à Bossangoa, le fief de l’ancien chef de l’Etat. Puis, à 72 heures du scrutin, François Bozizé appelle au boycott et les AK47 commencent à crépiter.

Le fief de Dologuélé bascule dans l’insécurité. De même que le fief des autres candidats. Si Bozizé voulait faire réélire le président sortant, il ne pouvait trouver mieux. S’il voulait aussi empêcher l’élection de celui à qui il a promis son soutien, il n’avait pas mieux à faire. Dans le capharnaüm centrafricain, il faut s’armer d’un microscope pour démêler l’écheveau politique. Tout le monde veut devenir chef, à la place du chef, mais aucune alliance logique. Dologuélé, qui avait devancé, en 2016, au premier tour, le président Faustin Archange Touadéra, s’était fait battre au second tour. Le 27 décembre 2020, il aurait pu pousser le président sortant à un second tour, il rate complétement ses alliances en allant quérir le soutien de François Bozizé qui fait peur à tout le monde chez les politiques. Sans l’air d’y toucher, Bozizé est, pour tous les observateurs, celui qui a réunifié les groupes armés, la Coordination patriotique pour le changement (CPC), pour son propre compte. Il avait aussi réussi à unifier les candidats dans une alliance COD21 pour exiger le report du scrutin.

Mais la déception a été grande pour tous les candidats de l’opposition. La date du scrutin est maintenue au 27 décembre 2020, et pire pour leurs plans, les électeurs ont massivement voté là où ils le pouvaient. Exclu des élections, ne parvenant pas à empêcher la tenue du scrutin, il ne restait à François Bozizé qu’à aller cueillir le pouvoir à Bangui comme naguère en 2003, lui-même, il l’avait fait ou celui qui l’évincera en 24 mars 2013, Michel Djotodja, à ses dépens.

En Centrafrique, les acteurs politiques parlent peu, mais les rumeurs disent beaucoup. Parce que le pays n’a pas une presse forte, les rumeurs constituent la première source d’information. Les Centrafricains ne croient qu’aux rumeurs. Et ils n’ont pas tort. Les traumatismes des deux guerres civiles (2004-2007 puis 2012-2013) dont les deux dernières années du règne de Bozizé restent vivaces. Le pire est arrivé avec les Seleka de Michel Djotodja dont la barbarie des hommes endeuille la capitale. Et ces multiples péripéties de la vie politique centrafricaine continuent à faire frémir de terreur tout Banguissois. Personne ici n’entend revivre les mêmes drames qui ont écœuré toutes les familles. Sans compter que les auteurs des tueries n’ont pas encore fait l’objet d’aucune poursuite. L’impunité des auteurs des massacres reste la grande équation des partenaires de la République centrafricaine. A Bangui, tout fait fuir au galop les habitants de la capitale. Un pneu d’un camion qui éclate et c’est la débandade. Des motos-taxis qui rapportent avoir vu des hommes en armes, le téléphone centrafricain plus efficace que l’arabe, sonne aux quatre coins de la ville. On rentre à la maison vite fait ou on emprunte une pirogue pour rejoindre l’autre rive de l’Oubangui pour se réfugier en RDC.

Quand les militaires fuient

Le 7 janvier 2021, au petit matin, une rumeur annonce l’entrée dans la ville de groupes armés. En moins de temps pour la rumeur d’atteindre PK0, la ville se vide. Tout le monde rentre chez soi. Les pirogues font la navette. Et pire, les militaires censés protéger la ville rentrent vite fait chez eux en moto ou abandonnent carrément leurs camions pour aller se réfugier là où ils pensent n’avoir à affronter qui que ce soit. Rien ne se passe de la matinée. Aucun homme armé n’est entré dans la ville, mais c’est instructif. Apparemment, l’armée ne se battra pas pour défendre la ville ou les institutions. Si Bozizé voulait avoir un encouragement pour prendre le pouvoir, le comportement des militaires suffisait largement. Et puis l’histoire récente renseigne que quand il prenait le pouvoir, il n’y avait pas un militaire pour s’opposer. Et quand il le perdait, c’était pareil.

Aussi, le 13 janvier 2021, des groupes d’hommes armés pénètrent pour de vrai dans la ville, au nord et à l’ouest. Ils marchent tranquillement dans les quartiers périphériques. Ils ne s’en prennent pas aux populations. Mais aux check-points de la Minusca sur leur passage, ils tirent. La réaction des forces onusiennes est forte. La canonnade s’entend dans toute la ville. Les hélicoptères survolent la ville. Au lieu d’une randonnée sans accrochage jusqu’au palais, les groupes armés doivent bien se battre contre les troupes de la Minusca, mais aussi faire face aux mercenaires russes de la compagnie Wagner recrutés par le régime. A la fin de la journée, l’intrusion des groupes armés est un échec.

Pour la première fois, des groupes armés entrés à Bangui n’ont pas pris le pouvoir face à l’inexistence d’une résistance des Forces armées centrafricaines (Faca). Bozizé est sans doute le premier surpris. Lui, il a dû s’enfuir sans demander son reste en 2013, face à une telle situation et la détermination des Seleka à lui faire la peau. Cette fois-ci, malgré la désertion de centaine de soldats des Faca, Bangui n’est pas tombée.

La Cour constitutionnelle peut alors, le 18 janvier 2021, proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle dans une ville où beaucoup d’habitants ont préféré rester à la maison au cas où des troubles surviendraient. La Minusca a réussi son pari de protéger les institutions et de sauver l’organisation du scrutin, même si tout le pays n’a pas pu y participer. L’engouement populaire prouve bien que la Centrafrique n’en peut plus de souffrir face aux ambitions étouffantes de certains leaders politiques.

Le président Touadéra, réélu nettement, a désormais les cartes en main. Il promet de dialoguer. Mais que faire de l’os Bozizé, mis à l’index par les Nations Unies ? Celui-ci continue de manœuvrer pour s’accaparer du pouvoir et régner sur un pays au sous-sol riche convoité par la Russie, le Rwanda et bien sûr la France ébaubie de se retrouver à l’écart, malgré son parrainage maladroit porté sur ce François Bozizé qu’il avait déjà, à coups de canon, mis au pouvoir en 2003.

Correspondance particulière, Amadou Seck

 

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