Pastef face au spectre de la surcommunication

Les récentes déclarations de Moustapha Sarré, ministre et porte-parole du gouvernement sénégalais, ont provoqué une onde de choc dans le paysage politique. Entre les accusations de ‘’maquillage des chiffres’’ contre l’ancien régime et les insinuations sur la mort de l’ex-ministre des Finances Moustapha Ba, ses propos suscitent interrogations et polémiques. Simple erreur de communication ou stratégie politique délibérée ?
Lors d’une journée de réflexion et de partage organisée par la Jeunesse pour le progrès social (JPS) de Mbao, le ministre porte-parole du gouvernement, Amadou Moustapha Njekk Sarré, a une fois de plus fait parler de lui. Ses propos, jugés incendiaires par une grande partie de l’opinion publique, ont relancé des débats sensibles et ravivé des polémiques que beaucoup pensaient éteintes. Entre accusations graves contre l’ancien régime et insinuations troublantes sur la mort de l’ancien ministre des Finances Moustapha Ba, le ministre a suscité une onde de choc dans le paysage politique sénégalais.
Le porte-parole du gouvernement n’en est pas à sa première sortie médiatique qui fait le buzz. Connu pour son franc-parler et son ton souvent provocateur, le ministre a cette fois-ci évoqué deux sujets particulièrement sensibles : le ‘’maquillage des chiffres’’ par l’ancien régime et les circonstances troubles entourant la mort de Moustapha Ba, ancien ministre des Finances sous la présidence de Macky Sall.
‘’Ils ont menti sur les chiffres. Ils ont menti également aux partenaires. L’ancien ministre Moustapha Ba était le premier à être reçu par le président de la République et par son Premier ministre pour leur dire que les chiffres n’étaient pas exacts’’, a-t-il déclaré, martelant ses accusations contre l’ancienne administration.
Mais c’est surtout ses propos sur la mort de Moustapha Ba qui ont provoqué un tollé. ‘’Il a été tué dans des conditions troubles’’, a affirmé Moustapha Sarré, appelant à une enquête approfondie pour déterminer les véritables circonstances du décès de l’ancien ministre.
Selon lui, Moustapha Ba était resté plusieurs jours sans donner de nouvelles avant sa mort, une situation qui, selon le ministre, mérite d’être clarifiée.
Une condamnation unanime
Ces déclarations n’ont pas tardé à susciter des réactions vives, aussi bien du côté des partisans du régime actuel que de l’opposition et des analystes politiques. Pour beaucoup, Moustapha Sarré a franchi une ligne rouge, en évoquant des sujets aussi sensibles sans apporter des preuves tangibles.
Serigne Saliou Guèye, directeur de publication du journal ‘’Yor-Yor’’, proche du pouvoir, a qualifié cette sortie d’’’erreur de communication’’. Selon lui, le ministre a réchauffé un sujet déjà caduc, alors que d’autres questions plus urgentes auraient pu être abordées. ‘’Le porte-parole du gouvernement aurait pu éviter ce sujet, d’autant plus qu’une information judiciaire a déjà été ouverte par le procureur de la République’’, a-t-il souligné.
Mamadou Bassirou Kébé, un ami proche de Moustapha Ba, a également exprimé son indignation sur sa page Facebook : ‘’La République n’a pas besoin de fausses polémiques, mais de responsabilité et de clarté.’’ Il a appelé le ministre à apporter des preuves ou à reconnaître sa faute, rappelant que la parole d’un représentant de l’État ne saurait être réduite à un simple commentaire de comptoir. Il souhaite qu’il soit mis à la disposition de la justice, pour apporter ses preuves.
Une stratégie de diversion ?
Pour certains observateurs, les déclarations du formateur à l’école du parti s’inscrivent dans une stratégie politique bien rodée : celle de la diversion. Bachir Fofana, journaliste et analyste politique, estime que ces propos visent à détourner l’attention des vrais enjeux. ‘’En stratégie politique, la diversion est l’une des formes de manipulation les plus simples et donc les plus fréquemment utilisées. Elle permet, à moindre coût, de détourner l’attention du plus grand nombre du principal vers l’accessoire’’, a-t-il expliqué.
Selon lui, les récentes déclarations du ministre pourraient être un ‘’contre-feu’’ destiné à éloigner les regards de la ‘’loi interprétative de la loi d’amnistie’’, un sujet qui a récemment fait polémique au Sénégal. ‘’On semble se lancer dans un contre-feu pour se dépêtrer de cette affaire avec les propos du ministre porte-parole du gouvernement sur la mort de Moustapha Ba’’, a-t-il ajouté.
Un ministre habitué des polémiques
Moustapha Sarré n’en est pas à sa première sortie incendiaire. Il avait déjà fait parler de lui, en qualifiant l’ancien président Macky Sall de ‘’chef de gang’’ et en affirmant que ce dernier ne pourrait ‘’échapper à la justice’’. ‘’Les Sénégalais lui avaient fait confiance pour améliorer leurs conditions de vie, mais il a posé ces actes et caché la vérité’’, avait-il déclaré à l’époque, avant de se rétracter en affirmant qu’il s’agissait de son opinion et non celle du gouvernement.
Cette fois encore, ses propos ont été perçus comme une attaque directe contre l’ancien régime, sans preuves à l’appui. ‘’En tant que porte-parole du gouvernement, peut-il se risquer à des propos aussi graves sans fondement ?’’, s’interrogent beaucoup de citoyens. ‘’Quelle est la frontière entre la liberté de ton du politique et la responsabilité qui lui incombe en tant que représentant de l’État ?’’, ajoutent-ils.
Pour beaucoup de Sénégalais, au-delà des polémiques, les déclarations de Moustapha Sarré rappellent l’importance de la retenue et de la responsabilité dans le discours public, surtout lorsqu’il émane d’un représentant de l’État. Si le ministre a le droit de s’interroger et d’exprimer ses opinions, il doit le faire dans le respect des institutions et des procédures judiciaires en cours.
En attendant, les Sénégalais espèrent que les autorités compétentes mèneront des enquêtes approfondies pour faire la lumière sur les questions soulevées par le ministre. Comme l’a rappelé Mamadou Bassirou Kébé, ‘’derrière cette agitation médiatique, se trouve un homme, un serviteur de la République, un fils du Sénégal. Que son âme repose en paix !’’.
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Une série de sorties qui fait tache
À l’image de Moustapha Sarré, dont les déclarations controversées ont récemment fait couler beaucoup d’encre, d’autres figures du régime, comme Cheikh Oumar Diagne, Pape Mada Faye et Birame Soulèye Diop, ont également été au cœur de controverses médiatiques. Ces sorties posent la question de la gestion de la communication au sein d’un gouvernement qui se veut pourtant porteur d’un nouveau souffle politique.
Cheikh Oumar Diagne : une sortie malheureuse sur les tirailleurs
Le 31 décembre 2024, Cheikh Oumar Diagne, alors ministre-conseiller et directeur des Moyens généraux de la présidence de la République, a été limogé de ses fonctions. Cette décision fait suite à des commentaires jugés insultants et irrespectueux qu’il avait tenus lors d’une interview télévisée le 21 décembre. Interrogé sur les tirailleurs sénégalais, ces soldats africains ayant combattu pour la France pendant les deux guerres mondiales, il les avait qualifiés de ‘’traîtres qui se sont battus contre leurs frères’’.
Ces propos ont immédiatement provoqué une vague d’indignation, tant au Sénégal qu’au sein de la diaspora. Les tirailleurs, figures emblématiques de l’histoire africaine, sont souvent perçus comme des symboles de courage et de sacrifice. Les qualifier de ‘’traîtres’’ a été comme une insulte à leur mémoire et à celle de leurs descendants.
Face à la pression, la présidence a finalement décidé de se séparer de Cheikh Oumar Diagne, officialisant son limogeage par un communiqué et nommant Papa Thione Dieng à sa place.
Pape Mada Faye : des révélations qui dérangent
Pape Mada Faye, le chef de cabinet du président de la République, a lui aussi été victime de ses propres mots. Le 7 mars dernier, il a été limogé après une interview accordée à la chaîne Sans Limites, au cours de laquelle il a fait des révélations sur les coulisses du tandem Diomaye- Sonko. Parmi ses déclarations les plus controversées, il a affirmé que lui-même, Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko et d’autres membres de Pastef avaient rencontré l’ancien président Macky Sall, deux jours avant leur entrée au palais.
Ces révélations ont immédiatement créé un malaise, d’autant plus qu’elles contredisaient les déclarations antérieures du Premier ministre Ousmane Sonko, qui avait toujours nié une telle rencontre. En dévoilant des détails sur des discussions privées, Pape Mada Faye a non seulement brisé un tabou, mais il a également exposé le gouvernement à des critiques et à des spéculations. Le président Diomaye Faye, soucieux de préserver l’unité et la crédibilité de son équipe, a rapidement réagi en limogeant son chef de cabinet.
Cet épisode souligne l’importance de la discrétion et de la loyauté dans l’exercice du pouvoir, surtout lorsqu’il s’agit de sujets aussi sensibles que les relations avec l’ancien régime.
Birame Soulèye Diop : un habitué des sorties polémiques
Birame Soulèye Diop, ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, est sans doute l’un des membres du gouvernement les plus connus pour ses dérapages verbaux. À chacune de ses sorties médiatiques, on s’attend à une nouvelle polémique.
Lors de la cérémonie officielle de Tivaouane Diacksao, Birame Soulèye Diop a heurté la communauté salafiste par des propos jugés déplacés. Cette sortie a provoqué un tollé, rappelant que la communication d’un ministre doit être mesurée, surtout lorsqu’elle touche à des questions religieuses ou communautaires.
Mais ce n’était pas la première fois que le ministre Soulèye Diop s’attire les foudres d’une partie de l’opinion publique. En janvier 2023, il avait déjà fait parler de lui en tenant des propos virulents contre Aminata Touré, alors figure de l’opposition. ‘’Je n’ai aucune considération pour Aminata Touré (…) Cependant, elle subit une injustice et notre rôle est d’être à ses côtés pour la soutenir. Demain, quand elle sera rétablie dans ses droits, je ne lui dirai même pas bonjour’’, avait-il déclaré. Des propos qui avaient suscité une vive polémique.
AMADOU CAMARA GUEYE