Publié le 26 Aug 2017 - 23:46
DISPARITION DES BARS-DANCING ET DES ‘’BONS COINS’’

Les Thiessois nostalgiques de la ‘’Dolce Vita’’ 

 

La ville de Thiès était, il y a une ou deux décennies, un endroit où il faisait bon vivre. Avec la naissance de nombreuses entreprises dans cette partie du pays, l’argent circulait à flot et les populations en profitaient pour fréquenter les bars-dancing, les ‘’bons coins’’ et les salles de cinéma. Aujourd’hui, tous ces espaces qui servaient de cadre de distraction ont disparu, laissant derrière eux des Thiessois nostalgiques de cette belle vie.

 

Dans les années 80-90, Thiès était une ville de fêtards, du fait de son essor économique. Se faire de l’argent n’était pas une chose compliquée. La cité du Rail a connu, durant cette époque, une activité nocturne intense. Les weekends, les Thiessois avaient hâte de retrouver leurs endroits préférés : les bars-dancing et les ‘’bons coins’’ pour se distraire. Ils ont connu la fête, la vraie fête. Mais aujourd’hui, tous ces espaces qui abritaient cette ambiance nocturne sont fermés. Certains ont même été transformés en pharmacie (bon coin Moussanté) et en petits centres commerciaux. Mais les noms et les images sont toujours dans les esprits des Thiessois. Difficile, donc, d’oublier ces endroits qui ont fait de Thiès la ville où il faisait bon vivre la nuit.

‘’A une époque, Thiès était vraiment la capitale de la belle vie. Beaucoup de jeunes travaillaient et attendaient juste le weekend pour tout gaspiller dans les bars-dancing et les ‘’bons coins’’. Le lundi, ils vaquaient à leurs occupations, attendant le weekend suivant. Les night-clubs, il y en avait à la pelle. Je peux vous citer Sangomar (Escale) et Bambou (quartier Mbambara) qui étaient les plus connus. Aujourd’hui, Sangomar abrite un espace commercial. Mais il y en a eu d’autres. C’est vrai qu’il y a la disparition de ces endroits, mais les Thiessois qui ont connu cette époque se souviendront toujours de ces bons moments qu’ils ont vécus. Je crois que nous aurons toujours des sentiments de nostalgie’’, se rappelle ce monsieur âgé de plus de 60 ans. Il y a des moments pour faire la fête dans la vie. En tout cas, certains en ont bien profité.

A côté des night-clubs, il y avait les bars et les ‘’bons coins’’. Ces espaces étaient plus nombreux et très prisés des Thiessois. Il s’agit, entre autres, des bars Sunu Keur (assez spacieux et fréquenté par les travailleuses du sexe), Paradis, Diander (surtout fréquenté par les jeunes), Café Rex (snack-bar pour les VIP qui ouvrait ses portes à 10 h), Poussin bleu (pour les VIP, disposait d’un club de jazz). Les ‘’bons coins’’ Palais d’attraction (pour les adultes) et Moussanté (générations confondues) etc. A côté du bar Sunu Keur, renseigne notre interlocuteur, était installé Calebasse. Un bar très fréquenté par les Thiessois qui était géré par un Saint-Louisien. ‘’Thiès a toujours été cette ville carrefour et il faut souligner que les gens quittaient Dakar et Saint-Louis pour venir y passer les weekends. Ils débarquaient dans de jolies voitures. C’est pour cette raison que je vous dis que c’était vraiment la belle vie. La ville était un point de ralliement et un centre économique qui attirait tout le monde’’, poursuit notre source.

‘’Aujourd’hui, Thiès est comme une montagne en érosion’’

Avec l’implantation de certaines entreprises comme le chemin de fer, les phosphates de Lam-Lam, la Société textile sénégalaise (STS)… beaucoup de jeunes Thiessois avaient du travail et gagnaient bien leur vie. ‘’L’avènement de ces entreprises qui marchaient très bien a entraîné la naissance de plusieurs lieux de distraction dont on ne se rappelle que les noms, aujourd’hui. En plus des autochtones, Thiès accueillait les Maliens avec l’arrivée du chemin de fer, ce qui lui conférait ce caractère de ville culturelle. Et les weekends, ils faisaient la fête comme tout le monde et participaient, à leur tour, à la redynamisation de la ville’’, se rappelle-t-il.

Les moyens pour faire la fête ne manquaient pas. D’après le journaliste Frédéric Diallo, l’ambiance dans la ville de Thiès était ‘’carnavalesque’’ pendant les weekends. A cette époque, dit-il, on pouvait comparer Thiès à Marseille. ‘’Thiès était le point de convergence des mélomanes. La ville grouillait de monde avec une animation musicale tous azimuts. Les bars-dancing, les restaurants et même la place de France (aujourd’hui Promenade des Thiessois) ne désemplissaient. D’ailleurs, même les travailleuses du sexe étaient elles aussi bien servies. Avoir de l’argent n’était pas un casse-tête. Quand on raconte aujourd’hui aux jeunes générations ce que fut leur ville, il y a quelques années, ils ont du mal à nous croire. On aura du mal à oublier ces instants’’, ajoute M. Diallo nostalgique de ces moments de bonheur dans son Thialy (Thiès-Nord).

‘’Il faut une nouvelle élite politique capable de participer au redressement du tissu économique’’

Le journaliste de dire que la disparition de ces endroits a laissé un grand vide et Thiès a connu une ‘’reculade énorme’’ sur tous les plans. ‘’Aujourd’hui, Thiès est comme une montagne en érosion. L’ambiance d’avant s’est très vite dissipée. On ne reconnaît plus ces espaces. Thiès doit renaître et retrouver son lustre d’antan. Et pour se faire, il faut, à la ville, une nouvelle élite politique capable de participer au redressement du tissu économique et capable aussi de participer à la création de nouveaux lieux de divertissement, comme nous en avons connu avant’’, plaide le Thiessois d’origine saint-louisienne. En dépit des cités religieuses (Tivaouane, Ndiassane, Thiénaba…) qui l’entourent, Thiès s’est forgé une image de ville émergente.

Selon cet autre habitant de la commune de Thiès-Est, la cité du Rail était ‘’une ville sans tabou’’, du fait de son brassage culturel et de sa composition ethnique. ‘’Les populations menaient tranquillement leur vie. Il y avait, bien entendu, une population autochtone composée de Sérères, une autre partie composée de Ceedo, de Baol-Baol et une autre composée de Bambaras. Ce que le Thiessois refusait, le Bambara ou le Ceedo pouvait ne pas le refuser. Ce qui pouvait être considéré comme un tabou chez le Thiessois pouvait ne pas l’être chez le Baol-Baol. Tout ceci nous amène à dire que la ville fonctionnait déjà au rythme de la modernité’’, souligne-t-il.

‘’Quand le chemin de fer tourne, c’est Thiès qui tourne’’

Le train a quasiment cessé de siffler dans cette partie du pays. Thiès, une ville, ‘’deux gares’’, n’existe que de nom. A l’époque, nous dit-on, chaque trente minutes, un train partait et un autre entrait en gare. Femmes, jeunes et cheminots y trouvaient leur compte, avec un chiffre d’affaires conséquent. Avec cet argent, se distraire n’était qu’une question de choix pour chacun, puisque les ‘’bons endroits’’ ne manquaient pas. Selon cet habitant de Diakhao, la ‘’mort’’ du chemin de fer est la principale cause de la disparition des bars-dancing et même des ‘’bon coins’’. ‘’Quand le chemin de fer tourne, c’est Thiès qui tourne et c’est tout le Sénégal qui tourne. Celui-ci générait plus de deux mille emplois directs. Lorsque les Thiessois n’ont plus les moyens de fréquenter ces milieux huppés de la ville, c’est la fermeture qui s’impose tout de suite. Aujourd’hui, les activités dominantes à Thiès ne sont rien d’autres que des activités de subsistance. Les populations s’y lancent pour pouvoir assurer leur dépense quotidienne’’, révèle ce père de famille.

Aussi, soutient-il que les cheminots n’ont plus le monopole de l’économie, à Thiès. Celle-ci, fait-il remarquer, est détenue aujourd’hui par les casernes et peut-être l’université. Mais elles ne sont pas ‘’des secteurs pourvoyeurs d’emplois’’ comme le chemin de fer. ‘’Les Thiessois ont désormais la tête ailleurs. Ils se lancent dans des activités uniquement pour faire bouillir la marmite. Les populations thiessoises ne pensent plus aux loisirs. Avec la politique d’ajustement structurel intervenue dans les années 1980, le chemin de fer a commencé à avoir des difficultés, avec les premiers départs volontaires à la retraite. D’ailleurs, la situation difficile que vit le chemin de fer a fait en sorte qu’il n’y a plus cette multitude de bars dans la ville’’, s’empresse-t-il d’ajouter.

Disparition des salles de cinéma

La ‘’mort’’ du chemin de fer n’a pas seulement entrainé la disparition des nombreux bars-dancing et des ‘’bons coins’’. Trouvé à leur ‘’grand-place’’ située à quelques mètres de la cité Ballabey, ce cheminot à la retraite estime que les salles de cinéma ont été ‘’enterrées par le chemin de fer’’. ‘’Je me rendais tous les weekends au cinéma. J’étais souvent accompagné de mes enfants. Après une longue semaine de travail, il fallait sortir pour se divertir. J’habite à Grand-Thiès et je me rendais à la salle Palace. En plus de Palace, il y avait d’autres salles comme Agora (Escale), Aiglon (Aiglon), Rex, Amitié, Empire… Aujourd’hui, aucune de ces salles n’est fonctionnelle.

Les gens n’ont plus d’argent. Le chemin de fer était le tissu économique de la ville de Thiès, même s’il y avait d’autres industries à côté. Personne ne peut le nier’’, déclare le vieux Ousmane. ‘’Moi, c’est le cinéma qui me manque. Je ne sortais que pour aller voir les films. D’autres, par contre, sortaient pour aller dans les bars. Chacun était libre de faire ce qu’il voulait’’, raconte-t-il, la soixantaine révolue. Assis à ses côtés, Papa Sarr souligne qu’à l’heure actuelle, la belle vie n’existe plus à Thiès. ‘’Il n’y a plus d’argent ici. Les Libanais qui formaient une grande communauté à Thiès sont rentrés. Et je pense que la disparition de ces espaces de loisirs est une très bonne chose, sinon la situation allait être beaucoup plus catastrophique. Les Thiessois essaient tout simplement de tenir. Aujourd’hui, certains bars sont fermés, mais d’autres, à l’image de Kéléwar (quartier Nguinth) continuent toujours de fonctionner, même si ce n’est plus le grand rush. Ces bars ne grouillent plus de monde’’, conclut le ‘’doyen’’ Sarr.

‘’Les dimanches à Bamako, c’est le jour de mariage’’, disait l’autre dans sa chanson. A Thiès, le samedi et le dimanche étaient toujours des jours de fête dans les années 80-90, surtout à Dakhar Clairon, un endroit qui se situait au quartier Diakhao et qui était très prisé des militaires malgaches et de l’Afrique occidentale française (AOF) pendant la nuit. Au cours de son évolution, la ville a connu une déchirure de son poumon économique et la disparition de ses lieux de divertissement. La belle vie a laissé place à une morosité ambiante qui fait le lit d’une insécurité galopante.   

GAUSTIN DIATTA (THIES)

Section: