Publié le 29 Mar 2019 - 17:43
ESCROQUERIE SUR FOND DE BOURSE POUR LE CANADA

Une famille accusée d’avoir grugé plus de 100 millions à 200 étudiants 

 

Trois membres d'une même famille, notamment une mère et ses deux enfants, ont été attraits, hier, à la barre du tribunal correctionnel de Dakar, pour association de malfaiteurs, escroquerie, blanchiment de capitaux et faux en informatique et complicité. Ils sont accusés d'avoir roulé dans la farine plus de 200 étudiants, en leur promettant des bourses d'études pour le Canada, moyennant 500 000 F par postulant, soit un préjudice d’une centaine de millions de F Cfa. 282,500 millions sont réclamés par 188 étudiants parties civiles. Les prévenus risquent entre 5 et 4 ans ferme. 

 

Ils sont plus de 200 étudiants. ‘’Angoissés par leur devenir’’, pour reprendre l'avocat d'une des victimes, tous voulaient se rendre au Canada pour y poursuivre une formation professionnelle. Ainsi, en tombant sur une annonce diffusée sur les réseaux sociaux, qui proposait des bourses de 15 millions, les étudiants ont postulé. L'annonceur était Afup Canada, une plateforme créée par la nommée Henriette Niang qui en est la directrice. Elle a comme associés sa mère et son frère. L’entreprise est présentée comme une structure internationale spécialisée dans le recrutement d'étudiants et de professionnels désirant étudier au Canada. Et il résulte de la plainte déposée le 18 mars 2018 à la Division des investigations criminelles (Dic) qu’Afup Canada proposait d’amener les parties civiles au Canada pour leur permettre de poursuivre leurs études dans des universités, moyennant 500 000 F Cfa par candidat. Après inscription en ligne, les candidats étaient invités à se rendre au siège de l’agence. C’est là qu’entre en jeu le quatrième prévenu, le nommé Ibrahima Ndiaye. Celui-ci était chargé de fournir d’amples explications.

Selon Thérèse Kane, représentante des victimes, M. Ndiaye leur faisait croire que l’agence travaille avec des universités canadiennes qui octroient des bourses d'exonération des frais d'études et de subsistance. Convaincus par une telle proposition, les postulants ont versé la somme de 50 000 F Cfa représentant les frais d’inscription remis à Ibrahima Ndiaye. Celui-ci leur animait un séminaire à l’issue duquel les candidats ont versé chacun, auprès de Fatou Niang, la directrice des comptes, la somme de 450 000 F Cfa. Après encaissement, la dame reversait l’argent à sa fille Henriette par virement. Toujours est-il qu’après avoir rempli toutes ces formalités, les postulants sont restés des mois sans obtenir la fameuse bourse. Lasse d'attendre, Thérèse a interpellé un de ses professeurs qui lui a fait comprendre n'avoir reçu aucun formulaire de Afup.

Après investigations, l’étudiante découvre que d'autres de ses camarades attendaient depuis 2 ans. ‘’J'ai découvert que c'était manifestement une arnaque. La majorité n'a pas d'admission. Tous les membres du collectif attendent une admission. Depuis 2015, nous attendons une bourse et une admission’’, a lancé l’étudiante très dépitée et sous les signes d’approbation du public composé majoritairement d’étudiants.

Afup n’a jamais proposé de bourse

Interrogé, aucun des prévenus n’a reconnu les faits. Ibrahima Ndiaye a déclaré avoir été recruté pour simplement animer des séminaires. ‘’Je n'ai jamais reçu d'argent. Les 50 000 étaient versés au secrétariat. Moi, je n'ai jamais convoqué personne’’, s’est-il défendu. Fatou Niang a reconnu qu’elle encaissait les reliquats de 450 000 F, tout en précisant que c’était pour déclencher la procédure. Elle a laissé entendre qu’il n’y a pas eu d’arnaque, car 221 admissions ont été délivrées. Son fils Ibrahima Noël Niang a confié qu’il était chargé de la clientèle, tandis que le prévenu Gabriel Faye a laissé entendre qu’il n’a pas duré à l’agence. Car recruté comme agent de recrutement, il a été licencié pour insuffisance de résultats.

Entendue à son tour, Henriette Niang a confirmé être la propriétaire de la plateforme qui, dit-elle, ‘’est une entreprise bien structurée’’. Ce faisant, elle a appuyé la déclaration de sa mère, en indiquant que des admissions ont été délivrées. Elle a ajouté que ceux qui n’ont pas pu partir sont confrontés à un problème de délai. Ces précisions faites, la prévenue a soutenu qu’ils ont été clairs avec les étudiants, puisqu’ils leur avaient fait comprendre qu’ils ne s’occupent pas de visa. A peine a-t-elle fini que des étudiants manifestent en chœur des signes de désapprobation. Un énième, malgré les menaces d’expulsion du président de l’audience.

282 millions 500 mille réclamés par 188 étudiants

Pour les conseils des étudiants, il est clair qu’il y avait une promesse de bourse. Sinon, soutient Me Alioune Badara Fall, ‘’ils ne donneraient pas 500 000F pour une simple admission qu’on peut obtenir facilement sur le net’’. Pour l’avocat, l’agence est purement fictive et n’a noué aucun partenariat avec des universités canadiennes, puisque l’adresse au Canada fournie par Henriette est fausse. Abondant dans le même sens, Me Arona Bass a souligné que le Canada est l'un des pays les plus rigoureux en matière d’immigration. Il a ajouté que les prévenus ont causé trop de mal. Pour le préjudice, ils ont réclamé le montant de 1,5 million pour chacun des 187 victimes qu’ils représentent, soit la somme globale de 280,500 millions de F Cfa. Quant à Me Babacar Mbaye, il a demandé 2 millions pour le compte de Binta Guèye. Lui également estime que Afup n’a pas qualité à agir pour empocher l'argent des victimes.

Le substitut Seydina Oumar Diallo a embouché la même trompette, en déclarant que ‘’ce n'est pas ex-nihilo que le Canada soit choisi par les victimes dont certains ont même versé 1 million pour l’obtention d'un visa et d’une bourse’’. Le substitut a conforté les conseils des parties civiles, en révélant que la délégation judiciaire a montré que l’adresse canadienne est celle d’une station d'essence. Pour lui, l'escroquerie demeure et les faits sont ‘’d’une extrême gravité’’. Estimant que les prévenus sont ‘’d'une potentielle dangerosité nuisible’’, il a requis 5 ans ferme contre Henriette et 4 ans contre ses co-prévenus.

Pour Me Ndiack Bâ, c’est ‘’une peine sévère pour des délinquants primaires’’. Contrairement aux éléments de la procédure, le conseil de la famille Niang a avancé qu’Henriette travaille bel et bien avec des écoles et universités canadiennes et que son agence a tous les papiers. ‘’Il n’y a pas d’escroquerie. C'était aux étudiants d'obtenir des visas pour ensuite bénéficier d'une bourse, une fois au Canada. Afup ne s'est jamais engagée à octroyer des bourses. C’est une affaire montée de toutes pièces pour faire emprisonner ces personnes’’, a-t-il martelé, suscitant l’indignation des étudiants.

Si l’accusation fait état de 150 millions empochés par la directrice d’Afup et réinvestis dans l’achat de véhicules, Me Bâ a soutenu que les biens sont licites, donc, il n’y a pas de blanchiment. D’ailleurs, les trois voitures sont saisies par la Dic. Conseil de Gabriel Faye, Me Omar Sène estime que son client est un cheveu dans la soupe, car il était un simple employé et a passé quelques mois seulement à Afup. Maitres Bassirou Ngom et El Hadj Basse ont demandé que leur client Ibrahima Ndiaye soit renvoyé des fins de la poursuite. Surtout que dans son réquisitoire définitif, le parquet a visé l’entreprise que ce dernier a créée après son départ d’Afup.

Après les plaidoiries, le tribunal a mis l’affaire en délibéré au 11 avril prochain. Les juges se sont opposés à la demande de liberté provisoire des prévenus qui sont tous en détention.

FATOU SY

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