Moutons hors de portée des goorgoorlou
L’inquiétude se lit sur le visage de plusieurs pères de famille, à quelques jours, voire quelques heures de la fête de Tabaski. Et pour cause ! Les prix des moutons sont jugés exorbitants par les goorgoorlous. Les vendeurs maliens, qui étaient des sources d’espoir, sont venus avec des moutons dits de race, donc vendus à des prix élevés. Quant aux moutons thorgal, venus des régions reculées du pays, ils sont coûteux, malgré leur petite taille.
Mamadou Diallo est en compagnie de sa femme et de deux sympathiques enfants pour acheter un mouton au foirail sis aux alentours du stade Léopold Sédar Senghor. Les gamins sautillent de joie en voyant le décor ou plutôt le spectacle occasionnel qui s’offre devant eux. Pendant ce temps, les adultes sont dans le désarroi total. ‘’C’est inaccessible. C’est trop cher’’, disent-ils. D’ailleurs, ces mots sortent pratiquement de la bouche de tous les chefs de famille. Tête bien rasée, en Lacoste et jean bleu assorti de baskets, M. Mbaye déclare d’une voix posée qui cache mal son amertume : ‘’Par rapport à ce que nous achetions l’année dernière ou même l’année d’avant, c’est cher. Le mouton que nous achetions l’année passée à 100 000 F CFA, on nous le vend maintenant à 175 000 F CFA. Celui qui coûtait 200 000 F CFA, coûte 250 000 F CFA maintenant.’’
‘’La vie est chère. La Covid-19 est peut-être passée par là. Tout y est’’, poursuit-il. Il estime que dans ce pays-là, il n’y a pas de contrôle. En effet, presque les prix de tous les produits sont montés en flèche. ‘’Chacun vend comme il veut, quoi ! À commencer par les légumes. C’est vraiment inquiétant’’, regrette M. Diallo au moment où madame demande aux enfants de faire moins de bruit. ‘’On ne peut pas attendre la veille ou bien le matin même. Ce n’est pas possible. Les enfants veulent avoir le mouton une semaine à l’avance à la maison. Il faudrait faire plaisir aux enfants’’, dit-il.
Plus loin, l’on retrouve Ndèye Astou Diouf. La quarantaine dépassée, vêtue d’une tenue traditionnelle du genre ‘’taille mame’’, trempée de sueur, elle est dans tous ses états, après un long marchandage sans succès. Ses propos ne sont pas différents de ceux de M. Diallo. ‘’Les moutons coûtent trop cher. La différence est énorme, entre les prix de l’année dernière et ceux de cette année. Tu viens avec ton argent, mais on te propose des béliers qui sont diamétralement opposés à ceux à quoi tu t’attendais. Moi, j’ai vraiment très peur’’, soupire la dame au teint clair et au visage arrondi venue de Nord-Foire. Elle a 180 000 F CFA en poche, mais peine à avoir ce qu’elle veut. ‘’Quand on a 180 000 F, normalement, on devrait avoir un bon mouton. Mais les vendeurs proposent de petits ruminants. Quand on se plaint, ils nous parlent de la consommation des moutons. C’est vrai. Nous savons ce qu’ils ont enduré. Mais nous aussi les consommateurs, nous sommes fatigués. C’est vraiment dur’’.
Après un tour chez les vendeurs sénégalais, Tréma Sané visite une bergerie malienne. Lui aussi estime que les prix sont trop chers par rapport à la taille des moutons. ‘’Pour le moment, chez les Maliens, le prix le plus bas que j’ai pu trouver tourne autour de 100 mille à 120 000 F. C’est cher, mais avec les Maliens, c’est mieux. Pour les vendeurs sénégalais avec qui j’ai pu discuter, le prix le plus bas, c’est à 180 000 F CFA’’, fait-il remarquer.
En effet, les Maliens sont présents. Mais ils ont des moutons de race. Ce qui fait que chez eux aussi, le prix n’est pas accessible aux goorgoorlou sénégalais. Ils ont, pour la plupart, des genres de moutons que tout le monde aimerait avoir. Même s’ils ne sont pas lavés comme ceux élevés par les Sénégalais, ils remplissent les critères de beauté. Certes, c’est des choses qui ne sont pas vraiment importantes pour l’évènement, mais ça compte aux yeux de beaucoup. Ne serait-ce que pour le plaisir des yeux. En tout cas, au-delà, ce que les clients veulent vraiment, c’est que le mouton ne soit pas trop petit. Les vendeurs maliens ont des moutons engraissés avec des prix plus abordables que ceux proposés par les Sénégalais.
‘’100 000 F, le plus bas prix chez les vendeurs maliens’’
Boubacar Ndiaye vient du Mali. Il est accompagné de son grand frère. Depuis une semaine, ils se sont installés aux alentours du stade LSS. Il renseigne que les clients viennent au compte-gouttes. ‘’Les clients viennent, mais petit à petit. En général, ils achètent des moutons de 175 000, voire 180 000 F CFA’’, fait-il savoir. Le coût des brebis de Boubacar Ndiaye varie entre 175 000 et 500 000 F CFA. Comme la majeure partie de ses compatriotes, il a des moutons dont la race est appréciée. En effet, il a des azawaks, des bali-balis, des soudanais et même des ladoums. Cheikh Bocar Tilala est un de ses clients satisfaits. Il a acheté un mouton de 200 000 F CFA. Un beau et grand bali-bali.
‘’Je ne peux pas avoir ce genre de mouton ailleurs à ce prix. Ailleurs, on te dira de déboucher 300 000 F au minimum’’, déclare l’homme à la chevelure volumineuse et ondulée, vêtu d’un grand boubou marron. Pour lui, ‘’les Maliens se soucient des clients, contrairement aux vendeurs sénégalais’’. ‘’C’est une fête, une recommandation divine. Nous devons nous entraider. Si des gens venus d’ailleurs parviennent à nous vendre de bons moutons à des prix raisonnables, malgré le coût du transport, il y a problème’’, indique celui qui s’est présenté comme étant un guide religieux et qui a voulu raconter toute l’histoire qui tourne autour de cette fête, dans le but de sermonner les vendeurs.
À quelques mètres de la clôture de Boubacar Ndiaye, l’on retrouve le périmètre dans lequel Mohamed Traoré a pris place. Assis sous une bâche avec ses camarades, il fuit les rayons solaires. Ici, il semble que l’odeur d’urine de moutons ne dérange personne. Ni les acheteurs encore moins les vendeurs. M. Traoré se précipite à notre rencontre. Il est dans ce foirail depuis vendredi dernier, avec des moutons choyés. Il note qu’il voit beaucoup de clients, mais la majeure partie repart sans acheter, après le marchandage.
Au niveau du stade LSS, il y a des thorgal, mais ils viennent des régions. Et leur prix est jugé cher par rapport à leur faible poids. Aliou Ba s’est installé dans ce point de vente stratégique de moutons, depuis cinq jours environ et a vendu une trentaine de têtes. Ses moutons les plus petits s’échangent à 90 000 F CFA. Des thorgal venus du Walo.
Des thorgal venus des régions à 110 mille F CFA
Cap vers le rond-point Case-ba des Parcelles-Assainies. Les vendeurs de moutons de sont éparpillés un peu partout. Chapeau Cabral sur la tête, le jeune Amadou Sow est dans le business des moutons à ses heures perdues. Comme ses condisciples, il porte des habits qui ont connu de beaux jours. Il vient de la région de Louga, depuis le début de ce mois, avec 120 moutons. Il en a vendu 50. Son troupeau est un mélange de thorgal et de moutons engraissés pendant quatre mois. Les prix varient entre 110 000 et 180 000 F CFA. ‘’J’ai acheté les thorgal à Dahra pour les revendre’’, confie l’étudiant à l’université Cheikh Anta Diop.
À quelques petits mètres de lui, un homme guette les moutons en grondant sans cesse. Il porte un costume africain. Bled espagnol à la main gauche, il a rangé ses lunettes noires dans sa poche située au niveau de la poitrine gauche. Pour mieux voir, peut-être. Il se nomme El Hadj Mbaye.
D’après son analyse, il y a des pères de famille qui risquent de ne pas célébrer la fête. ‘’Les prix sont exorbitants. Parce que les moutons les moins chers sont vendus à 100 000 F CFA. Pour un goorgoorlou, ce n’est pas évident. Je ne sais à qui la faute, mais cette année les gens risquent de souffrir. J’ai déjà acheté personnellement, mais là, je suis en train d’en chercher pour une famille démunie. L’année dernière, j’avais payé 95 000 F CFA pour cette famille, cette année aussi, je veux réitérer ça, mais ce n’est pas évident. Je mise sur 100 000 F. Mais avec les moutons qu’on me propose, je risque de peser de la viande et leur donner ça. Selon lui, il n’y a pas assez de thorgal. Il pense que l'ouverture tardive de la frontière du Mali en est pour quelque chose. ‘’L’année dernière à pareil moment, ça pullulait de partout dans les rues. Dans tous les coins de quartier, il y en avait’’.
Un ‘’expresso’’ à 75 000 F CFA
À Hamo 2, il est impossible de trouver un mouton à 75 mille F CFA. Il faut au minimum 80 mille pour se contenter d’un ‘’expresso’’ (petit mouton). ‘’Il y a assez de moutons, mais les prix sont excessivement chers par rapport à la taille des bêtes. Pour un petit mouton, on te donne des prix exorbitants. Ce n’est pas satisfaisant’’, se plaint Mamadou Diop. ‘’Je n’ai pas encore acheté. Je ne pense pas pouvoir en acheter ici. J’irai dans un autre ‘daral’’’, déclare l’homme à la petite barbe qui commence à blanchir. Il pense au point de vente de Thiaroye où il y aurait beaucoup de vendeurs de la race thorgal.
Petite corpulence, cheveux poivre et sel, Mamadou Kébé est un vieil actif au débit fort et rapide. Trouvé assis à même le sol à l’Unité 17 des Parcelles-Assainies, il palabre avec ses amis vendeurs de moutons. Après un long silence sur le sujet, il se lève et se déchaîne contre le gouvernement. ‘’Les moutons élevés au Sénégal ne suffisent pas. Les Sénégalais sont champions d’Afrique quand il s’agit d’abattre. Je n’ai pas vu de moutons maliens. Le ministre dit ce qu’il veut. Nous allons au niveau des frontières. Nous venons comme ça des régions. Moi, j’ai des contacts au Mali ; je les appelle chaque jour pour me renseigner’’, tempête-t-il.
Jeune homme d’une vingtaine d'années, El Hadj s’occupe de la vente d’une quarantaine de moutons. Installé en face du stade municipal des Parcelles-Assainies. Il lui reste cinq têtes à écouler. Les clients lui laissent la garde des moutons, faute d’espace chez eux. Ses moutons sont si bien choyés qu’on n’entend aucun bêlement. Tailles grandes, bien engraissés, ils restent couchés pour la plupart du temps.
El Hadj les a classés en trois catégories. Catégorie 1 (entre 180 mille et 300 mille) ; G2 (entre 170 mille) ; G 3 (130 mille francs CFA). Il explique avec plus de détails les raisons de la cherté des moutons. ‘’Le coût de la consommation des moutons est élevé. Le sac d’aliment qui coûtait entre 8 000 et 9 000 F, revient maintenant à 13 000 F voire plus. Si tu as 15 moutons, chaque deux jours, ils consomment un sac de ‘ripasse’. Imaginez quelqu’un qui dépense au minimum 13 000 F chaque deux jours pour nourrir les moutons…’’, dit-il.
BABACAR SY SEYE