Bruno, à l’ombre d’une République en pleurs
Un hommage national a été rendu, hier, au ministre, chef du Protocole de la présidence qui a marqué le palais de son empreinte ‘‘impersonnelle’’ pendant quatre décennies.
‘‘Comment s’habituer à la mort quand, avec la disparition du ministre Bruno Diatta, elle frappe au cœur de la Nation, de l’Etat et de la République ?’’. La question-complainte du président de la République Macky Sall traduit à quel point l’image de Bruno Diatta était assimilée au service du protocole présidentiel dans l’imaginaire collectif sénégalais.
A 11 h passées, le chef de l’Etat sénégalais est plongé dans la lecture de l’oraison funèbre de Bruno Louis Robert Diatta après avoir brodé l’étoile de la Grand-Croix de l’Ordre national du Lion sur le drapeau recouvrant son cercueil quelques instants plus tôt. Le temps s’est figé pour une matinée au croisement de l’avenue Léopold Sédar Senghor et du boulevard de la République. Trompettes, cymbales et tambours des forces armées arboraient un morceau de tissu noir. A 9 h 30, la complainte funèbre de la Musique principale des forces armées brisait le silence, alors que des détachements de la garde présidentielle, des armées de terre, de l’air et de mer jalonnaient une bonne partie du boulevard de la République.
C’est ce bataillon interarmées qui a rendu hommage à un haut fonctionnaire tellement illustre dans l'accomplissement de sa mission qu’il aura été le 3e personnage de l’histoire sénégalaise à avoir mérité cet honneur, après Lamine Guèye en 1968, Président de l'Assemblée nationale, et Léopold Sédar Senghor, ancien Président de la République, décédé en 2002. Pour la circonstance, les ors de la République étaient également décorés de noir à la devanture du palais. Seuls deux tréteaux blancs, sur lesquels repose le cercueil, détonaient. Un reposoir sur lequel six officiers militaires, dans une marche à cadence lente, ont déposé le cercueil accompagnés de la ‘‘Marche funèbre’’, le morceau joué par les forces armées en pareil cas.
Pour montrer que l’Etat sénégalais n’est pas seul dans la complainte de cette perte immense, les présidents gambien, ivoirien, guinéen et malien ont envoyé des délégations pour assister à la cérémonie, et les ambassadeurs accrédités à Dakar étaient presque tous présents à l’hommage de celui qui ‘‘aurait pu être un excellent ministre des Affaires étrangères’’, de l’avis de son camarade de lycée, l’ancien ministre Moustapha Ka.
Baptêmes en chaine pour Bruno
Les honneurs militaires n’ont pas été la seule ‘‘reconnaissance’’ pour services rendus à la Nation et à l’Etat du Sénégal. En plus de l’élévation (à titre posthume) au grade de Grand-Croix de l’Ordre national du lion, la plus haute distinction honorifique du Sénégal, des lieux illustres vont porter son nom. La salle du Conseil des ministres, qu’il a vue pour la dernière fois le 19 septembre dernier, le grand amphithéâtre de l’Ecole nationale de l’administration (Ena) et la prochaine promotion de l’Ena, qui va sortir en janvier 2019, sont désignés Bruno Diatta.
Le président de la République s’est par ailleurs engagé à accompagner la réalisation du projet d’Académie du protocole que portait le défunt avec Babacar Touré, le président sortant du Cnra. ‘‘Quand le destin nous arrache un collaborateur exceptionnel, la seule chose qui vaille est de lui rendre hommage’’, affirme Macky Sall.
La carrière du défunt Bruno Diatta a été longue et exceptionnelle. De sa sortie de l’Ena en septembre 1973 jusqu’au 21 septembre 2018, ce natif de Saint-Louis a suivi ‘‘un parcours de 45 ans sans faute’’, dont 41 ans au Service du protocole de la présidence. A titre personnel, le président Sall s’est félicité que le mythe Bruno, qu’il a nourri avec les images de la télévision, ait vraiment concordé avec la compétence de l’homme. Entre deux échéances rapprochées, après que Macky Sall a été élu, Bruno Diatta a fait des miracles. ‘‘J’ai vu de près comment, dans une symphonie sans fausse note, il a organisé en seulement une dizaine de jours ma cérémonie d’investiture et la fête de l’indépendance de notre pays’’, déclare-t-il, justifiant par la même sa volonté de l’avoir ‘‘prolongé’’ à ce poste en avril 2012. Ironie du sort, l’homme qui a cultivé l’effacement durant les quatre décennies comme ministre, chef du protocole, a presque fini par incarner la personnification d’une fonction. ‘‘Son prénom suffisait comme identité remarquable. Bruno ! Sans autre précision’’, s’émeut le chef de l’Etat. Autre coïncidence relevée par Macky Sall, la nature même de cette célébration que leur impose la marche implacable du destin. ‘‘Cette cérémonie est une terrible ironie du sort, car le cérémonial était, par excellence, son domaine réservé. Il en a été l’ordonnateur, le maître par excellence’’.
Le trait d’union
Selon le chef de l’Etat, les ancrages familiaux du défunt entre différentes confessions religieuses et ethnies du pays en ont fait un trait d’union et une identité remarquable adulée de tous les Sénégalais. ‘‘L’éloge autour de Bruno Diatta est unanime. Tout le monde l’appréciait, même ceux qui ne le connaissaient pas ; parce que l’homme était poli, sympathique et attachant’’, dira le président Macky Sall. A tel enseigne que les citoyens venus assister aux funérailles ont également compati à cette perte. ‘‘C’est une énorme perte pour le Sénégal. Je l’avais tellement vu à la télé que je croyais le connaitre en vrai. Qu’il repose en paix’’, lance un homme de la barrière métallique installée sur les allées de l’avenue pour contenir la foule. L’ambassadeur de France au Sénégal, Christophe Bigot, a également salué la mémoire du défunt, en regrettant déjà son absence.
A l’image du personnage, la cérémonie s’est tenue sous le signe de la ponctualité et de la sobriété. Une bonne heure après s’être levée pour saluer l’arrivée de la dépouille, toute la République s’est tenue debout pour voir s’éloigner la voiture des officiers militaires sur la centaine de mètres qui séparent le palais, qu’il a servi quarante ans durant, et la cathédrale de Dakar, où se tenait la cérémonie religieuse.
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JE TEMOIGNE…
L’anaphore poignante de Macky Sall
A l’instant ‘‘pénible de la séparation’’, le président de la République et chef de l’Etat sénégalais Macky Sall a porté un témoignage à son collaborateur que nous reproduisons in extenso.
‘‘Avant de partir, je voudrais que tu emportes notre témoignage, chaleureux et unanime comme nos louanges. Je témoigne que tu as rempli ta mission avec classe, honneur et dignité. Je témoigne que, plus qu’un chef du protocole, j’ai perdu en toi un conseiller émérite, un émissaire habile des missions délicates, un messager honnête, avenant et digne de confiance, un sherpa clairvoyant, dont la lanterne flamboyante balisait les chemins improbables. Je témoigne que l’Etat et la République ont perdu un gardien du temple. Je témoigne que la Nation a perdu l’icône emblématique de son cérémonial. Je témoigne que tes amis ont perdu un symbole de fidélité en toute circonstance. Et ta famille, orpheline, a perdu un être cher, un époux attentionné, un père affable, un frère bienveillant. En ces moments d’épreuve intense, je réitère l’expression affectueuse de ma profonde compassion à l’ensemble de ta grande famille ; à ta courageuse veuve, Thérèse, et à vos enfants, Guilaine, Yalisse, Pierre et Olivier. Je leur renouvelle mes condoléances émues et celles de la Nation.
Cher Bruno, au nom de la Nation sénégalaise, au nom de mes prédécesseurs, feu le président Léopold Sédar Senghor, les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, et en mon nom personnel, je te remercie du fond du cœur pour tes éminents services. Je salue avec respect ta mémoire. Le souvenir de ton œuvre impérissable restera à jamais gravé dans nos cœurs et nos esprits.’’
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Macky et le ‘’legs de Bruno’’
Le président Macky Sall a défendu l’absence d’une production littéraire de ce haut fonctionnaire qui a servi au cœur de l’Etat. ‘‘Comme dans un refrain synchronisé, j’ai souvent entendu dire qu’il devait écrire ses mémoires. Mais Bruno a fait plus que rédiger ses mémoires ! Sa vie et son œuvre forment un livre ouvert, pour qui sait lire plus les actes que les mots. Car, finalement, l’essentiel n’est pas dans le verbe qui périt, mais dans l’acte qui demeure. Bruno n’était pas un homme du verbe, mais de l’action’’, a déclaré Macky Sall.
A l’annonce de son décès, plusieurs commentaires ont regretté le fait qu’un pan aussi important de la mémoire collective sénégalaise soit porté en terre avec le décès de Bruno Diatta. A-t-il écrit pour une publication à titre posthume ? Son camarade de promotion au lycée Lamine Guèye (ex-Van Vo) et ancien chef de cabinet du président Diouf, Moustapha Ka, invité de la radio Rfm, hier matin, indiquait que rien n’est moins sûr et que seule la famille de l’intéressé pourrait se prononcer clairement sur la question. En tout cas, le président Sall a appelé à s’inspirer plus des pratiques du défunt chef du protocole que d’épiloguer sur le néant. ‘‘C’est pourquoi, en ces temps de repères brouillés et de consciences souvent assoupies, sa mort nous interpelle et nous renvoie aux valeurs cardinales qu’il portait en viatique : le civisme, le don de soi, l’humilité, le respect du prochain et du bien commun. Voilà le legs que nous laisse Bruno Diatta’ ’a-t-il conclu.
OUSMANE LAYE DIOP