La crainte des marchands
Le pont de la transgambienne, censé accélérer la circulation entre Farafenni et Soma, pourrait ralentir le commerce. D’où l’inquiétude des vendeurs.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit l’adage. A Farafenni et à Soma, le malheur des passagers fait effectivement le bonheur des commerçants. Mais d’ici quelques mois, la pyramide pourrait s’inverser. Lorsque le pont de l’intégration sera opérationnel et que les passagers ne soient plus contraints d’attendre des heures pour traverser, il est peu probable que le commerce soit aussi florissant qu’il l’est aujourd’hui des deux côtés du fleuve Gambie. Après les longues files de véhicules, la deuxième chose qui attire l’attention d’un visiteur est l’ambiance sur les lieux et la multitude des étals. Le débarcadère n’a rien à envier à un marché. Des articles variés y sont proposés : denrées alimentaires, notamment le lait et le sucre, tissus, vêtements, objets divers… Les acteurs sont presque exclusivement des Sénégalais et des Guinéens.
Assis à cheval sur un banc traversé, Bassirou Diouf guette l’arrivée d’un client. Ce Sénégalais n’a pas entendu parler de la date officielle de l’inauguration de l’infrastructure, mais l’évolution quotidienne des travaux lui donne une idée assez nette. ‘’Je sais que d’ici quelques mois, normalement, le pont sera prêt. Si les passagers ne s’arrêtent pas, il n’y aura plus d’acheteurs. Je pense déjà à me réinstaller ailleurs, mais je ne sais pas où pour le moment’’. Bien qu’étant parmi les victimes, Bassirou pense qu’un pays ne peut pas se développer sans des routes et que les gens perdent trop de temps pour gagner l’autre rive. Ainsi, il considère le pont comme une affaire d’intérêt général. Aliou Ba, non plus, ne se fait plus d’illusion. Ce Guinéen a déjà arrêté son plan. ‘’Je vais rentrer au pays, puisque je ne sais pas quoi faire’’, lance-t-il. Quant à Oumou Baldé, elle garde toujours espoir. Arrivée il y a quelques mois, elle espère que les véhicules vont s’arrêter au moins 15 minutes, ce qui sera une occasion pour écouler quelques produits.
A Soma, le sujet préoccupe tout le monde. Dès le début du chantier, les délégués des marchands ont exposé leurs doléances aux autorités gambiennes. Ibrahima Diallo dit ‘’Pa Sikigne’’ est parmi les responsables ; il a été des différentes délégations. ‘’On nous avait promis de construire un marché à Farafenni et un autre à Soma. Mais depuis lors, nous attendons, nous ne voyons rien et la construction du pont va bientôt s’achever’’, s’inquiète-t-il.
Pas d’appui financier pour des étrangers
Construire un marché ? Serigne Ndiaye n’y croit plus. Ce père de famille pense que si les autorités gambiennes étaient prêtes à le faire, les travaux auraient démarré en même temps que ceux du pont. Las d’attendre les sites de relogement promis, les vendeurs ont demandé un appui financier sous forme de dédommagement pour se réinstaller ailleurs. ‘’Si on nous avait donné un peu d’argent, ça nous aurait aidé’’, lance Aliou Ba qui espère empocher quelques billets. Mais ce marchand est en retard sur l’information. Selon Ibrahima Diallo, le pouvoir gambien leur a fait comprendre qu’il ne peut pas leur donner de l’argent, puisqu’ils ne sont pas des citoyens du pays. L’idée d’aller rencontrer l’ambassadeur sénégalais à Banjul pour solliciter son soutien à ce sujet a été agitée, mais sans suite. Depuis, les commerçants sénégalais continuent d’écouler leurs marchandises dans l’anxiété… en attendant la date fatidique.
Outre les marchands, les chauffeurs de taxi également vivent dans l’expectative. En effet, il y a des dizaines de taxis urbains qui assurent la desserte Farafenni - embarcadère ou Keur Ayib - embarcadère. Eux aussi craignent de voir leur business s’arrêter en même temps que le ferry.
C’est dire que même si le pont devrait soulager des millions personnes, il ne fait pas que des heureux.
BABACAR WILLANE