Publié le 28 Jun 2013 - 08:05
LIBRE PAROLE - Portées politiques des élections générales de représentativité

des centrales syndicales de travailleurs

 

Facteur essentiel ayant des répercussions sur la cohésion sociale, la compétitivité économique et la couverture sociale, la gouvernance des systèmes de sécurité sociale constitue une préoccupation pour l’Etat et un enjeu pour les partenaires sociaux employeurs et travailleurs.

C’est pourquoi les renouvellements des instances des institutions de prévoyance sociale suscitent toujours des passions animées par les ambitions légitimes des différentes organisations professionnelles de travailleurs. Passions quelquefois exacerbées par les rivalités entre elles.

Cette année, la particularité du renouvellement de ces instances est liée au fait qu’il survient après l’organisation pour la première fois d’inédites élections générales de représentativité des centrales syndicales de travailleurs dont les résultats ont des incidences dans la répartition des sièges au niveau des différents organes délibérants concernés.

La singularité de ces élections réside dans le fait qu’elles ont en partie érodé le monopole exclusif dont disposaient les centrales syndicales dans la détermination de leurs représentativités respectives.

En effet, avant ces élections, le Ministre en charge du Travail déterminait le caractère représentatif d’une centrale syndicale par les effectifs et les résultats des élections des délégués du personnel, les cotisations syndicales, les expériences des syndicats, leurs étendues, la nature de leurs activités et leur indépendance.

De ce fait, un monopole de présentation de candidats au premier tour des élections de délégués du personnel étant conféré par notre législation sociale aux organisations syndicales, ces dernières avaient la latitude d’influer directement, par le biais de leurs membres, sur la composition des instances des institutions de prévoyance sociale.

A l’occasion de ces élections, la représentativité des centrales syndicales n’a pas été appréciée à l’aune du nombre de leurs délégués, de leurs membres et de leurs cotisations, mais plutôt par le vote d’un collège électoral constitué par l’ensemble des travailleurs affiliés ou non à un syndicat professionnel mais aussi de tous les secteurs, privé, parapublic et public.
Sous ce rapport, aux regards de sa déconnexion avec les systèmes de représentations des travailleurs au sein des entreprises (délégués du personnel) et du secteur public (commissions paritaires), l’on peut affirmer sans ambages, que ce scrutin a quelque peu revêtu l’allure d’un scrutin d’opinion indissociable de celui politique.

En cela découle l’un des aspects de la portée éminemment politique de ces élections, en ce sens qu’elles vont obliger les centrales syndicales à s’acquitter plus convenablement des préoccupations et aspirations de tous les travailleurs, sans distinction, syndiqués ou non, au risque d’en subir les conséquences lors d’éventuelles prochaines élections.

Et cela justifie amplement le choix opéré par le Ministre en charge du Travail en procédant à la répartition des sièges des représentants des travailleurs. Obligé de tenir compte des résultats des élections dans la représentation des travailleurs, le Ministre a appliqué le système du quotient électoral pour déterminer le nombre de sièges obtenus par chaque centrale avant d’utiliser le principe du plus fort reste pour répartir les restes.

Le caractère national de ce scrutin et sa disjonction d’avec tous les systèmes classiques de représentation des travailleurs en entreprise et dans le secteur public ne s’opposent pas à l’utilisation de ce principe du plus fort reste qui, du reste, est d’usage pour le scrutin de liste nationale des élections législatives (voir article L.149 de la Loi n° 2012-01 du 3 janvier 2012 abrogeant et remplaçant la loi n° 92-16 du 07 février 1992 relative au Code électoral (partie législative), modifiée.
Ce choix a suscité le courroux de la Coalition des confédérations syndicales des travailleuses et travailleurs du Sénégal qui dénonce le fait que les sièges au niveau des instances n’aient pas été exclusivement répartis entre les quatre centrales mieux classées à l’issue des élections. Et en cela, ils doutent de la neutralité du Ministre.

Mais l’impartialité aurait également voulu que cette revendication qui a compromis l’examen des cahiers de doléances de 2012 soit posée bien avant que l’on ne mesurât la représentativité des uns et des autres et bien avant l’érection de cette coalition.

D’autant plus que ce sont les centrales elles même qui ont réclamé l’organisation de ces inédites élections de représentativité et qui ont convenu de manière consensuelle d’éliminer et donc de ne pas fixer un pourcentage minimal en deçà duquel une centrale syndicale n’est pas considérée comme représentative.

Il est vrai que les résultats des enquêtes de représentativité ont, jusqu’en 1998, entraîné la répartition des sièges au niveau des instances de l’IPRES et de la CSS entre trois centrales syndicales.

Mais c’est bien l’esprit de solidarité et de générosité de l’icône du monde syndical, le Doyen Feu Madia DIOP de la CNTS qui a permis, à partir de 1998, l’accession de l’UDTS de l’autre référence Alioune SOW au niveau de ces mêmes instances, portant de ce fait à quatre le nombre de centrales.

Par conséquent, il serait tout à fait discutable de qualifier de jurisprudentielles la répartition d’avant 1998 qui avait justifié la présence de trois centrales syndicales au sein des instances et celle consensuelle d’après 1998 qui l’a porté à quatre. Il l’est tout aussi d’exiger de la tutelle technique qu’elle s’y conforme au mépris des résultats sortis des urnes et en l’absence de dispositions légales et réglementaires l’y contraignant (voir articles L.85 et L.85 bis du Code du Travail et article 4 de l’arrêté n° 02791/MFPTEOP/DTSS du 22 mars 2010 fixant les règles d’organisation des élections générales de représentativité des centrales syndicales de travailleurs).

Il convient donc de tirer les enseignements de ce scrutin en procédant à l’évaluation de l’organisation des élections et en améliorant le cadre juridique de détermination de la représentativité des centrales syndicales de travailleurs.

En tout état de cause, les résultats de ces élections auront certainement des répercussions positives sur une recomposition et une meilleure lisibilité du champ syndical longtemps obscurcie par l’obsolescence des données des enquêtes de représentativité de 1998 combinée à l’inflation de centrales syndicales lilliputiennes qui ont vu le jour depuis lors.

Même si elle ne résulte pas d’une fusion organique et qu’elle s’inscrit sous l’égide de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), l’érection de la Coalition des confédérations syndicales des travailleuses et travailleurs du Sénégal en est une parfaite illustration.

Sous un autre rapport, la portée politique de ces élections peut également s’appréhender à travers le fait que la gouvernance des institutions de prévoyance sociale a des répercussions sur les politiques nationales de couverture et d’assistance sociale.

En effet, la sécurité sociale assure l’accès aux soins médicaux au salarié, à son conjoint et à ses enfants à charge. Elle s’emploie aussi à lui garantir un revenu de remplacement dans ce cas et à l’occasion de survenance d’accident de travail ou de maladie professionnelle et s’attache en amont à la prévention des risques professionnels.

Les salariés et leurs familles bénéficient également de prestations familiales, de maternité, d’invalidité et de survivants.
Par le biais de ces différentes prestations, la sécurité sociale protège donc le niveau des revenus des salariés en général et procure une qualité de vie acceptable à toutes les personnes qui sont à leur charge.

Si l’on estime à 400000 le nombre de salariés, la population disposant d’une couverture contre les risques sociaux pourrait se porter à 2 000 000 d’habitants. Ce qui constitue une contribution non négligeable à la volonté des pouvoirs publics d’assurer une couverture maladie universelle.

La sécurité sociale constitue donc un enjeu de taille pour les travailleurs mais aussi pour les pouvoirs publics sur lesquels pèse la charge d’en procurer à toute la population.

C’est certainement la raison pour laquelle, un bon nombre de pays africains rechignent encore à se garder de nommer les Présidents de Conseils d’Administration des institutions de prévoyance sociale contrairement au Sénégal qui a opté pour un mode de gouvernance participative.

En effet, notre pays est l’un des singuliers d’Afrique à avoir laissé la faculté aux employeurs et aux travailleurs de choisir librement en leur sein les Présidents des Conseils d’Administration de la Caisse de Sécurité Sociale et de l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal. Bien que placées sous tutelles technique et financière, ces institutions jouissent donc bel et bien d’une autonomie de gestion. Toutefois, il incombe à ces dernières de jouer pleinement leurs rôles en plaçant la couverture des salariés et de leurs familles au centre de leurs politiques.

A l’occasion de la 100ème session de la Conférence Internationale du Travail, la commission pour la discussion récurrente sur la protection sociale a rappelé qu’il revient aux Etats de faire en sorte que les systèmes de sécurité sociale soient efficaces. Pour ce faire, les Etats ne peuvent pas faire l’économie d’un renforcement des systèmes d’inspection du travail et de la sécurité sociale afin d’améliorer le respect de la législation sociale et de renforcer le potentiel de prévention de la législation de la santé et sécurité au travail par la promotion d’une culture de la santé et de la sécurité.
Les partenaires sociaux se doivent enfin de participer activement à la gouvernance des institutions de sécurité sociale afin de garantir la défense des intérêts des personnes protégées tout en veillant au développement harmonieux des entreprises. Il s’agit là de la seule voie qui puisse permettre une couverture sociale intégrale et efficiente de tous les travailleurs couverts par le système formel de sécurité sociale.

 

http://socialprotection.itcilo.org/pdf-and-pics/library/governance_Guide_FR
Oumar FALL
Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale
Secrétaire de la Commission électorale nationale chargée d’organiser les élections générales de représentativité des Centrales syndicales de travailleurs
oumarfall8@yahoo.fr

 

 

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