‘’Ecrire, c’est s’écrire…’’
Professeur de philosophie au lycée de Tataguine, Mamadou Lamine Niang dit ‘’Nourou Al Amiin’’ est également écrivain. Il est l’auteur de deux ouvrages, un roman et une nouvelle. Cette dernière, ‘’Maintenant que j’ai grandi’’, vient d’être publiée aux éditions Artiges. L’auteur y raconte son enfance vécue entre Saint-Louis et Louga, son cursus scolaire, ses amours, sa relation avec sa mère, tout y passe.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture ?
En terminale, j’avais la plus grosse note en littérature, 18/20. Le chef de la Section française de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis de l’époque avait tout fait pour que je fasse lettres. Seulement, j’étais plus attiré par la philosophie. C’est pour cela que je suis allé m’inscrire au Département de sociologie. Mais les lettres me suivent toujours. Je suis un passionné de littérature, en quelque sorte. Je suis tout de même resté dans les sciences humaines, le long de mon parcours. Concernant l’écriture, j’ai toujours aimé écrire. En classe de 6e, je me rappelle qu’on avait des cahiers de souvenirs. Je mettais toujours que je désire devenir écrivain. Quand je n’aimais pas ce le professeur faisait en classe, je prenais un bout de papier pour écrire. Une fois, on nous avait demandé de faire un portrait ; je l’avais tellement bien réussi que le professeur doutait que j’en sois l’auteur. Il me disait : ‘’Non Lamine, ce n’est pas toi qui as écrit cela.’’ Je répliquais que si, c’était bien moi. Le philosophe Hegel disait : ‘’Sans passion, rien ne peut se faire.’’ Si quelqu’un arrive à briller dans un domaine, c’est parce qu’il l’a au plus profond de lui-même.
A quand remontent vos premières publications ?
‘’Maintenant que j’ai grandi’’ est mon second livre. Le premier est d’abord une pièce de théâtre intitulée ‘’S’il vit’’. L’héroïne de cette pièce de théâtre s’appelle Sylvie et elle se demande si son homme vit. Elle est entrée dans l’univers esthétique du rêve. A son réveil, elle s’est rendu compte qu’elle était amoureuse et se demande ‘’s’il vit’’. Et je partageais cette histoire sur une plateforme d’édition en ligne. Un ami m’a après conseillé d’arrêter la publication. Ce que j’ai fait. Concrètement, ma première publication est un roman : ‘’Nourou, la lumière du devenir’’, publié il y a un peu plus d’un an par Maître du jeu Editions. ‘’Maintenant que j’ai grandi’’ est une nouvelle que je viens de publier. Dans cet ouvrage, j’ai voulu faire un cocktail de genres. Il y a de la poésie, de la réflexion philosophique et un peu de roman. Cela s’explique par le penchant que j’ai pour la poésie. C’est pourquoi j’en ai fait ma toile de fond.
Cette nouvelle parle-t-elle de vous ?
Oui, en partie, elle parle de ma vie. L’essentiel des faits est réel. Il y a juste une petite dose d’imagination. Il est presque impossible d’avoir une œuvre totalement réelle ou fictive. Souvent, c’est la jonction entre les deux. La réalité réelle, si la répétition m’est permise, est également cette fiction. Il me serait difficile de tracer, dans ce roman, la limite entre la réalité et la fiction. Beaucoup de faits renvoient à la réalité. J’ai voulu délirer un peu dans certaines parties. Ecrire, c’est s’écrire, quoi qu’on puisse dire. Roland Barthes, dans ‘’Le degrés zéro de l’écriture’’ (Ndlr : essai publié pour la première fois en 1953) disait : ‘’Ecrire, c’est s’engager.’’ S’engager pour faire quoi ? S’engager pour traduire et même trahir un sentiment parce qu’on ne peut pas l’exposer tel qu’il est. On est obligé de le changer en histoire, de capter et captiver les lecteurs. Je dis souvent à mes élèves : un bon écrivain est celui qui remplit les quatre C : Coopter parce que tout le monde ne peut pas vous lire quand même ; Capter ; Capturer ; Captiver. Pour que cela puisse être possible, il faut que l’écrivain soit doué, talentueux et imaginatif dans le choix de ses personnages et dans la narration de l’histoire.
Dans ce livre, vous parlez d’un moment où vous étiez fou. Est-ce sorti de votre imagination fertile ou c’est la réalité ?
C’est la réalité ! Je l’ai difficilement vécu. Ne croyez pas que parce que les faits relatés remontent à une fin d’année scolaire que j’ai été surmené. Ce sont des faits réels. Je suis quelqu’un d’assez méthodique pour ne pas être victime de surmenage. Les faits se sont passés tel que je les ai racontés. C’est une réalité. Je frissonne même en y repensant. Mère Awa (Ndlr : la maman de l’auteur) a tout fait pour sortir son fils de ce gouffre marécageux.
En lisant quand même ce livre, au fil d’histoires racontées, on se rend compte que vous êtes quelqu’un qui se détache facilement de la réalité qui l’indispose, pour se créer son propre cocon, surtout après vos déceptions amoureuses. Cette folie passagère, n’est-elle pas un de ces moments ?
Cela n’a rien à voir. Je vous assure que j’entendais des voix imaginaires. Alors, pour le fait que je m’adapte ou me réadapte suivant les convenances, c’est peut-être un don de Dieu, soit une sorte d’hypocrisie qui pourrait être en moi. J’ai l’habitude également de dire à mes élèves, par rapport à l’amour, de faire attention aux sentiments. Je suis souvent sartrien sans pour autant être son disciple. Quand Jean-Paul Sartre compare l’amour à un jeu de dupes où chaque partenaire essaie de tromper l’autre. Dans ce livre, l’auteur peut certes être avec une fille, l’aimer, mais quand les choses ne se déroulent pas tel que souhaitées, il trouve toujours une porte de sortie pour ne pas se créer des problèmes.
Des attitudes qui ne s’expliquent pas par un manque d’amour. On ne peut pas ne pas aimer. Je ne dirais pas qu’on peut avoir cette facilité de se soustraire, mais cette capacité de lire la situation, d’essayer de la comprendre et de faire son choix en toute responsabilité. Quand la carotte est cuite, on la mange. Quand celle que vous aimez vous quitte, vous êtes obligé de vivre avec. Je dis dans le livre qu’une personne se détache de vous pour se rapprocher d’une autre. Quand une personne vous quitte, c’est parce qu’elle se rapproche d’une autre. Si elle le fait à votre tour, essayez de vous rapprocher d’une autre qui, peut-être, pourrait vous aimer tel que l’autre vous a aimé.
Vous avez grandi à l’ombre de votre papa. Mais dans ce livre vous parlez plus de votre maman. Pourquoi ?
C’est peut-être le mythe d’Œdipe qui voudrait que le garçon soit plus proche de sa maman et que la petite fille de son père. Mon papa est quelqu’un que j’estime beaucoup. Il y a une distance respectueuse entre mon paternel et moi. Vous ouvrez mon cœur, vous y verrez Assane, mon père. Ce n’est pas toujours parce qu’on ne parle pas d’une personne qu’on ne l’aime pas. Je suis plus proche de ma maman, même si je ne vis pas avec elle. Je suis chez mon père et c’est très rarement que je me rends à Kaolack pour voir ma maman. Pourtant, ce qui se passe entre ma mère et moi est sublime. Quelque chose que je n’arrive pas à comprendre, à expliquer. C’est elle qui m’a proposé celle qui est devenue ma femme. Au début, j’étais réticent, mais elle est arrivée à me convaincre et me pousser à lâcher prise.
Vous parlez de votre enfance de manière pudique. Vous ne faites qu’effleurer la chose, alors qu’on imagine aisément que ce ne fut pas facile. Pourquoi ?
A Louga, j’étais le seul enfant de la maison et certains membres du foyer étaient des pères pour moi, d’autres des mamans. Je dirais que j’étais la dernière roue de la charrette. J’étais dans l’obligation toujours d’obéir. Mes premiers jours à Louga étaient terribles. Avant de venir à Louga, je vivais avec ma grand-mère et je l’accompagnais partout. C’était un royaume, au sens senghorien du terme, un royaume d’enfance plein de vie et de bonheur. Un beau jour, ma mère a décidé qu’il fallait que j’aille rejoindre mon père et aller à l’école, etc. C’est pourquoi mes premiers jours à Louga, comme je le raconte dans le livre, j’étais comme un balafon crevé, un instrument de musique mort. Le cadre était un peu ‘’carcéral’’. Je ne m’éclatais pas dans ce foyer-là, alors qu’on sait que l’enfant est quelqu’un qui aime s’éclater, s’épanouir. J’étais très sage à la maison et terrible dehors.
BIGUE BOB