Quand rupture du jeûne rime avec bénévolat
Ils sont jeunes, pas riches et consacrent le mois de ramadan à servir leurs prochains. Depuis le début du ramadan, ces distributeurs automatiques de nourriture font le bonheur de centaines d’automobilistes et de piétons, à l’heure de la rupture du jeûne.
Un groupe de jeunes hommes assiège littéralement le petit perron d’une mercerie, près d’une boutique. L’espace exigu au bas d’une maison à étage sert, depuis quelque temps de point de chute aux membres de Penc-mi. Une association de jeunes étudiants, écoliers, travailleurs ou chômeurs qui, pour préserver les liens d’amitié qui les lient, depuis l’enfance, se sont retrouvés dans ce cadre. Pour le mois de béni de ramadan, ces jeunes de la Cité Diamalaye se sont dit qu’aucun acte de bienfaisance ne serait pas de trop. ‘‘En tant que musulmans, nous avons voulu profiter de ce mois pour accroître les bienfaits. Il n’y a pas plus noble cause que de servir son prochain’’, déclare Assane Mbengue, le président de l’association. Le maillot rouge munichois de rigueur, il supervise les dernières activités de ses éléments.
C’est le branle-bas de combat, à mesure que les signes avant-coureurs du crépuscule chassent les derniers rayons du soleil. Les chants religieux de la mosquée jouxtant les lieux obligent ces cuisiniers ambulants à accélérer la cadence. ‘‘Dépêchez-vous les gars, il est bientôt l’heure’’, encourage l’un des cuistots de circonstance, dans cette cuisine en plein air. Dans son gros bonnet qui confine des dreadlocks énormes, le motociste Cheikhou Ndiaye alias Baye Fall se plie à son affaire. Aidé des étudiants Ibrahima Diop et Racine Senghor très impliqués, il s’affaire autour d’une grande marmite de café touba en bouillonnement sur le feu. Le couvercle soulevé laisse s’échapper une senteur de girofle. A côté, c’est la citronnelle en infusion dans du kinkéliba chaud dont s’occupe Badou qui dégage une odeur encore plus enivrante.
Sur le perron de la mercerie, c’est l’équipe des ‘tartineurs’ qui enduisent de chocolat ou du beurre une vingtaine de miches de pain. Des gants en plastique sont systématiquement enfilés, à chaque fois que s’impose cette tâche, par mesure d’hygiène. A moins d’une demi-heure de l’iftar, rupture du jeûne, l’entrain est palpable, comme c’est le cas depuis le début du ramadan, il y a dix jours. Devant le président de l’association Assane Mbengue, défilent sacs de pains, des pots de beurre et de chocolat. ‘‘Le travail se répartit entre trois principaux groupes. En plus de ceux qui s’occupent des boissons chaudes, il y a l’équipe du service sur place et une autre qui se charge de la distribution.
Financement participatif de Penc-mi
Toutefois, donner à manger aux gens pour un mois peut se révéler très coûteux pour l’association Penc-mi. D’autant qu’un coup d’œil permet de remarquer deux bouteilles de gaz butane pour la cuisson du café et du kinkéliba, une trentaine de miches de pain au quotidien, des pots de chocolat, des paquets de dattes, de sucre, de lait...sans compter les dépenses annexes. Comment financer de telles œuvres ? ‘‘Nous nous cotisons déjà entre membres. Nous comptons également sur les bonnes volontés qui donnent sans compter. Il y a beaucoup de dons en nature comme le thé, le café, le sucre et les dattes’’, fait savoir le président.
La particularité du groupe réside sans doute dans son mode de financement assez particulier. Ses membres ont défini comme charte comportementale, l’exclusion de toute demande d’argent, quelle qu’elle soit. Pas de ‘‘maadiaal’’, ces quêtes d’argent en groupe sur la route ou après des passagers, pas de cartes de soutien non plus. Une stratégie payante pour le moins. ‘‘Quand les gens ont vu que nous distribuons tout cela, sans contrepartie, sans rien attendre en retour, et sans importuner personne, ils sont venus eux-mêmes faire des dons que nous acceptons volontiers. La plupart est en nature, mais certains donnent de l’argent aussi’’, déclare Assane.
Des largesses qui ont l’heur de ménager un fonds de roulement peu consistant de la caisse. Pour parer à toute éventualité, le budget est géré de manière quasi-professionnelle. ‘‘Les dépenses sont prévues sur dix jours. Ce qui fait que les décaissements sont contrôlés’’, poursuit-il. Et pour couper court à toute suspicion, entrées de fonds et décaissements sont consignés dans trois registres tenus séparément par le président et deux de ses collaborateurs. Comble de la chance, Penc-mi reçoit éventuellement les dons de son mécène et international de football sénégalais, Pape Alioune Ndiaye, ‘‘ qui vient dès fois préparer le café avec nous’’, témoigne Assane. Selon ses dires, le milieu de terrain des lions et ses coéquipiers en équipe nationale, Cheikhou Kouyaté et Baye Omar Niasse ont, dans la nuit du mercredi à jeudi, mis la main à la pâte. Ce qui fait un bon bol d’air pour au moins dix jours. Le temps qu’un autre bienfaiteur se manifeste.
La quête des bienfaits
Mais, force est de remarquer que sur l’Avenue Seydina Limamou Laye, les jeunes du groupe Penc-mi ne sont pas les seuls à distribuer le ndogu. Ils sont trois groupes à se tenir dans un mouchoir de poche. En effet, plus loin, sur le mur du cimetière, ce sont les teeshirts noirs d’un dahira mouride qui accueillent passagers et automobilistes à hauteur de la Cité Djily Mbaye. Le décor est plus simple ici. Niché derrière deux minibus, des marmites de café sont cuits au feu de bois. Le jeune ‘diawrigne’ (guide) qui se fait appeler Serigne Mbacké est difficile à distinguer parmi la quinzaine de jeunes hommes et femmes qui attendent patiemment l’heure de la rupture.
‘‘Cela va faire 4 ou 5 ans que nous nous livrons à cette œuvre’’, déclare til. Pour ce jeune homme qui a quitté son Baol natal, l'engouement que suscite cet acte en plein ramadan est une bonne chose si on a les moyens de sa politique. Pour ses talibés dont le mode de financement autonome diffère de celui de beaucoup d'autres, "il est essentiel de ne pas chercher à mettre tout le monde à contribution au risque de les blaser".
Quelques deux cent mètres plus loin, à hauteur de la boulangerie Brioche dorée de Diamalaye, c’est le groupe ‘wa 54’ qui se livre à la même activité.
OUSMANE LAYE DIOP