‘’Nous sommes convaincus que dans dix mille ans, nous serons des Africains’’
Rappelé en Israël, au plus fort de la brouille diplomatique entre le Sénégal et Israël, Paul Hirschon est de retour à Dakar. Dans cet entretien accordé hier à EnQuête, il se félicite de la normalisation des relations entre les deux pays. Pour ensuite expliquer les tenants et aboutissants de la campagne de charme d’Israël en direction du continent africain.
Après avoir été rappelé en Israël, vous êtes de retour. Qu’est-ce que ça vous fait de revenir à Dakar ?
Nous, en Israël, nous avons réfléchi sur les potentiels de notre relation. Et je pense que le Sénégal a fait la même chose. Nos deux pays ont compris que notre relation est très importante. Pour moi, le fait que le Sénégal supporte la nomination d’Israël comme pays observateur au sein de l’AU est un geste très positif. Nous avons estimé que le futur est plus important. J’étais au sommet. Et ce n’était pas la première rencontre entre les autorités sénégalaises et celles d’Israël. En septembre dernier, elles se sont rencontrées à New York à l’Assemblée générale des Nations unies. C’était une surprise pour nous quand le Sénégal a décidé de joindre les petits groupes de pays qui ont proposé une résolution anti-israélienne. Mais nous avons beaucoup d’expériences. Rares sont les zones stables. Donc, nous devons décider si nous allons travailler seuls ou avec des partenaires.
Donc, aujourd’hui, nous pouvons dire que la brouille diplomatique entre le Sénégal et Israël est dépassée ?
Oui, on peut le dire. Nous avons dépassé la situation. Les deux chefs d’Etat se sont rencontrés il y a maintenant dix jours. Et notre Premier ministre a dit, à cette occasion, que je dois revenir au Sénégal. Votre Président a, quant à lui, indiqué que je peux retourner au Sénégal avec lui. Dans son avion, je lui ai fait savoir que je devais retourner en Israël pour prendre mes vêtements, évacuer l’appartement. Le ministre des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye était là-bas.
Où en êtes-vous avec vos projets dans le cadre de la coopération avec le Sénégal ?
Moi, je n’aime pas le mot coopération. Il faut faire attention aux concepts que l’on utilise dans le cadre de la coopération. Nous utilisons le mot coopération comme un code dans le cadre du développement durable, l’aide. Nous, nous nous inscrivons dans la logique de faire bouger les choses dans la bonne direction. En 2016, nous avons formé 1 300 fermiers. Nous allons relancer la formation. Je ne crois pas qu’il y ait un autre pays qui s’inscrit dans cette perspective. Travailler sur un développement économique et social entre nos pays est un facteur important pour faire bouger les choses dans la bonne direction.
Qu’est-ce que le Sénégal peut apporter à Israël dans le domaine de la coopération économique ?
Depuis deux ans, nous importons des produits de la pêche sénégalaise. Nous le sentons dans notre assiette. Les relations entre le Sénégal et Israël sont très importantes. Ce sont deux pays stables. Sans le Sénégal, l’Afrique de l’Ouest serait dans une instabilité. Le Sénégal a une grande responsabilité dans cette sous- région. Et il a montré son leadership dans sa gestion de la crise politique gambienne.
Ces dernières années, nous avons noté une campagne de charme d’Israël en direction de l’Afrique, qu’est-ce qui l’explique ?
Notre relation avec l’Afrique ne date pas d’aujourd’hui, seulement nous venons de nous rendre compte de notre erreur. Nous sommes en train de corriger une erreur historique. Nous entretenons des relations avec l’Afrique depuis quatre mille ans, date de notre premier engagement avec l’Afrique quand nous étions esclaves en Egypte. Notre deuxième engagement avec l’Afrique remonte à 2 500 ans, au moins deux cent mille juifs vivaient en exil en Ethiopie. Notre troisième engagement en Afrique coïncide avec la première présence des Européens sur le sol africain. C’était une période difficile pour les Juifs qui cherchaient refuge au Cap-Vert, en Guinée, au Congo, en Afrique du Sud… Aujourd’hui, nous sommes à notre quatrième engagement avec l’Afrique. Nous sommes convaincus que dans dix mille ans, nous serons des Africains.
Concrètement, qu’est-ce que vous attendez de l’Afrique ?
Aujourd’hui, nous voulons juste le statut d’observateur de l’Union Africaine. C’est très important pour nous, car nous avons beaucoup de similitudes avec l’Afrique. Nous sommes plus proches des Africains que des Européens. Pendant des années, nous avons développé des relations avec le continent européen, américain, l’Inde, la Chine, le Japon, la Russie, etc. malheureusement, nous n’avons pas suffisamment investi en Afrique. C’est cette erreur, une imperfection que nous sommes en train de corriger. Il y a dix jours, au 51e Sommet des Chefs d’Etat de la CEDEAO au Liberia, le Président du Sénégal a dit à notre Premier ministre qu’il va appuyer la demande d’Israël d’avoir le statut d’Etat observateur à l’Union africaine (AU).
Quelle est la perception que vous avez de l’attitude de certains pays comme le Maroc qui n’ont pas voulu participer au sommet de la Cedeao auquel Israël était représenté ?
Je dirais qu’il n’y a pas de relation entre le non-participation du Maroc et la présence d’Israël. Vous savez, le Maroc veut intégrer la CEDEAO et c’est une pertinente idée. Israël y était parce nous étions le premier Etat non africain, invité par la CEDEAO. Et nous avons une très bonne relation avec le Maroc. Il y a beaucoup de touristes israéliens qui vont dans ce pays. Certes, nous n’avons pas de relations diplomatiques avec le Maroc mais nous avons des relations commerciales très denses avec lui. D’autre part, nous savons qu’il y a un conflit entre le monde arabe et Israël qui date de plus cent ans. Entre-temps, nous avons signé un accord de paix avec l’Egypte. Et nous étions des esclaves dans ce pays pendant plus de 250 ans. Aujourd’hui, nous développons un partenariat stratégique avec l’Egypte. Et nous avons un accord de paix avec la Jordanie qui a la frontière la plus longue avec notre pays (…).
Quelle analyse faites-vous de la situation au Moyen Orient ?
Le moyen orient se caractérise par une instabilité. Le Moyen Orient vit une période difficile. Et je ne pense pas que cette situation puisse perdurer. Il y a la Syrie, la Libye, deux pays presque inexistants où l’on trouve des marchés d’esclavage moderne... Récemment, il y a une crise entre le Qatar, l’Arabie Saoudite et bon nombre de pays arabes. Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Il y a le cas Iran, qui n’a pas de bonne relation avec beaucoup de ces voisins, nous, y compris. Nous sommes en conflit avec la majorité des pays du monde arabe, mais de plus en plus, des entreprises cherchent à nouer des relations avec notre pays.
Avant d’être affecté au ministère des Affaires étrangères, j’ai fait dix ans dans le secteur privé. Ma première visite dans le Golfe date de 1996. J’ai fait beaucoup de commerces entre les compagnies israéliennes. Entre ces pays, nous cherchons des solutions. Nous avons signé l’accord de paix avec l’Egypte. Actuellement, trois cent mille personnes travaillent en Egypte dans des zones économiques grâce au système de joint-venture israélienne. C’est la base de stabilité, de prospérité en Moyen Orient. Chaque jour, un pays arabe ambitionne d’établir une relation avec Israël. Donc, pour nous, il y a une opportunité. Israël a la technologie qu’il transfère dans beaucoup de pays arabes, en Afrique, aux Etats-Unis d’Amérique etc. Avec le problème de l’eau, nous avons toute la technologie nécessaire pour répondre à cette préoccupation.
Par Assane Mbaye