La bataille de l’affermage complique la donne
En coulisses, se livre une lutte acharnée et implacable pour s’adjuger le contrat d’affermage de la Sde qui est déjà arrivée à expiration. Des piques sans merci entre le ministère de tutelle et les principaux possibles adjudicataires, qui déteignent dans la situation actuelle de manque d’eau.
Il est évident que les problèmes structurels existent dans la distribution de l’eau au Sénégal. La panne de l’Usine de Keur Momar Sarr en 2013 et l’actuelle pénurie qui, dans les origines, est difficile à situer (certaines zones étant en ‘‘sécheresse’’ depuis 6 mois ou plus), en sont les illustrations indéniables. Cependant, à côté de cette carence structurelle, une autre lecture de la situation implique un problème qu’EnQuête avait déjà traité en son temps, en octobre dernier. La prolongation du contrat d’affermage de la Société des Eaux (Sde) serait, d’après certaines indiscrétions, l’une des causes pour lesquelles cette société fait preuve d’un minimalisme qui aurait sa part de conséquence dans la ‘‘sécheresse’’ actuelle.
Initialement conclu pour une durée de 10 ans, le contrat d’affermage liant la Sde à l’Etat du Sénégal est arrivé à terme en 2006 et a fait l’objet de multiples avenants. Mais l’Etat a décidé de jouer la carte de l’alternative. La Sde doit batailler ferme face à ses ‘‘sœurs concurrentes françaises’’ que sont Veolia, leader mondial des services collectifs spécialisé dans l’eau, le traitement des déchets et l’énergie ; ainsi que Suez, spécialisé dans l’eau et les déchets.
Par appel d’offres international n° : CC_DAGE_074 du 16 mai 2017, le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement (Mha) avait lancé un appel public à candidature. Ce dernier, ‘‘dans le cadre de la réforme de seconde génération du sous-secteur de l’hydraulique urbaine (SSHU)’’, avait envisagé cet appel pour la sélection d’un opérateur privé en vue de l’exploitation du service public de production et de distribution d’eau potable en zone urbaine et périurbaine.
Suez vs Sde
Les résultats de ce choix auraient dû être rendus publics il y a presque un mois, le 30 juin dernier. Selon le site de l’Agence de régulation des marchés (Armp), consultée hier en soirée, ‘‘la procédure est entamée’’, donc toujours pas clôturée. Mais ‘‘la loi autorise, avec les redressements, à étendre les délais d’évaluation des offres qui ne sont pas simples’’, nous souffle-t-on. Ces sources bien introduites avancent que le gouvernement sénégalais est visiblement dans l’embarras devant le portefeuille maousse de Suez qui semble tenir la corde (4 058m€ de chiffre d’affaires pour le 1er trimestre 2018). Cette compagnie aurait même remporté l’offre technique. En face, la continuité avec la Sde qui assure l'exploitation et la gestion du service public de l'eau potable en milieu urbain depuis 1996 est une autre option. D’ailleurs, elle aurait fait une meilleure offre financière que ses deux ‘‘sœurs’’ françaises puisqu’à 286,3 F CFA le mètre cube, son prix de vente est plus compétitif que celui de Suez (298,5 F CFA/m3) et celle de Veolia (366,3 F CFA/m3). Une compétitivité qui interpelle puisqu’avec le contrat qui expire, le Sde a appliqué au consommateur sénégalais un prix plus cher de 80 F CFA. Le dernier chiffre d’affaires connu de la Sde était de 78 milliards F CFA, selon son Directeur général Abdoul Baal, s’exprimant lors de la célébration des 20 ans de sa compagnie.
Pour s’assurer la viabilité des postulants (neuf au total), trois critères financiers très corsés (assortis de trois critères techniques) ont été exigés par le MHA dont ‘‘un chiffre d’affaires annuel moyen supérieur ou égal à 80 Milliards de F CFA durant les cinq (5) dernières années (2012 à 2016) dans les activités de vente d’eau et services connexes’’. A l’expiration de l’appel d’offres, des rumeurs d’attribution ont circulé, obligeant le ministère de l’Hydraulique à démentir. ‘‘L'appel d’offres international qui a été lancé a permis de retenir, après évaluation, les offres techniques des trois entreprises suivantes : SDE, Veolia et Suez. La suite de la procédure a été marquée par la proposition d’offres financières par les trois entreprises sélectionnées.
Ces offres ont été évaluées par la Commission mais, à elles seules, ne suffisent pour l’adjudication d’un marché public’’, avaient précisé les services de Mansour Faye le 3 juin dernier. D’après les assurances personnelles de ce dernier, sur le plateau d’une émission télévisée de la Tfm, c’est aujourd’hui 26 juillet 2018 que devrait être connu l’adjudicataire de cet appel d’offres. Les exigences du gouvernement sénégalais pour le besoin de couverture des zones urbaines et périurbaines sont immenses. Le futur heureux élu aura la lourde tâche de desservir 6,5 millions personnes dans une zone où le taux de croissance urbaine est de 3,5% ; 700 000 abonnés ; et doit assurer un taux de croissance de sa production en eau de 3 à 4%.
La féroce bataille en coulisses, toute imperceptible qu’elle soit, et ses énormes enjeux à milliards, pourraient donc ne pas être étrangers aux actuelles perturbations de la distribution du liquide précieux. Dans les couloirs du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement (MHA), on n’accuse personne mais on trouve inexplicable la disproportion entre le déficit actuel de 30 à 54 mille m3 d’eau et une production quotidienne moyenne qui le surpasse largement pourtant : 360 mille m3. On s’indigne d’autant plus que ce sont pratiquement les mêmes quartiers qui sont tout le temps frappés par la pénurie alors qu’ils ont récemment bénéficié d’infrastructures destinées à corriger ces problèmes comme Ouakam, Ouest-Foire et Camp Leclerc. L’on s’inquiète également que la Société nationale des Eaux du Sénégal (chargée de la gestion du patrimoine de l’hydraulique urbaine, du contrôle de la qualité de l’exploitation et de la sensibilisation du public) n’ait pas les moyens de contrôler la production de la Sde.
‘‘C’est un mauvais procès…’’
Un arrêt brusque de la collaboration serait très sec à avaler pour la Sénégalaise des Eaux d’autant que le gouvernement lui a déjà confié deux programmes d’urgence successifs pour la sécurisation de l’alimentation en eau (2014-2015 et 2016-2017) qu’elle a tous deux préfinancés elle-même à hauteur de 7,5 et 2,5 milliards de F CFA respectivement. D’ailleurs, du côté de cette entreprise, on rejette toutes les sorties tendant à les mêler à cette pénurie d’une manière ou d’une autre. ‘‘C’est faire un mauvais procès à la Sde que de soutenir pareilles allégations. Nos travailleurs sont jour et nuit sur le terrain pour que l’eau soit accessible partout et pour tous’’, se défend-on. Toujours est-il que dans les couloirs du ministère, on est très remonté que leurs efforts soient noyés dans cet imbroglio et d’appeler l’Etat à plus de fermeté et à plus de vigilance pour la prochaine adjudication. L’Etat justement et son chef Macky Sall répondent tant bien que mal à la situation. En conseil de ministres hier, il a demandé ‘‘au Premier ministre de mettre en place, dans les meilleurs délais, un dispositif interministériel de suivi de la sécurisation durable de l’approvisionnement normal en eau potable des populations et informe de l’organisation prochaine d’un Conseil présidentiel sur la situation et les perspectives de développement du secteur de l’hydraulique urbaine et rurale’’. En attendant que l’eau coule.
L'affermage est le contrat par lequel le contractant s’engage à gérer un service public, à ses risques et périls, contre une rémunération versée par les usagers. Le concédé, appelé fermier, reverse à la personne publique une redevance destinée à contribuer à l'amortissement des investissements qu’elle a réalisés. |
MAME TALLA DIAW