Publié le 15 Jan 2016 - 17:09
POLITIQUE FISCALE

Elimane Pouye et cie dénoncent un ‘’pillage’’ des ressources publiques

 

Depuis quelques mois, le ministre de l’Economie et des Finances ne cesse de chanter les 3 000 milliards de budget de 2016. Et pourtant, si l’on en croit le Syndicat des agents des impôts et domaines, Amadou Ba passe par pertes et profits près de 2 000 milliards. Il s’agit de recettes fiscales auxquelles l’argentier de l’Etat renonce, face à des entreprises plus que solvables. Les camarades d’Elimane Pouye, en conférence de presse hier, invitent à une mobilisation nationale contre ces pratiques.

 

Révélations fracassantes ou situation préoccupante ! Quelle que soit l’expression retenue, il restera une constante. C’est que les chiffres fournis hier par le syndicat des agents des impôts et domaines  (Said) font froid dans le dos. Des pertes énormes en termes de recettes fiscales, selon Elimane Pouye, le secrétaire général. Rien que sur les remises gracieuses, le Sénégal a perdu 50 milliards, si l’on en croit le syndicaliste. La remise gracieuse consiste à accorder la grâce fiscale à celui qui se rend coupable de fraude fiscale et qui normalement doit être redressé par l’administration fiscale. Cependant, d’après M. Pouye, cette exonération se limitait auparavant à des personnes physiques indigentes ou en situation de gêne. ‘’Les agents de notre Administration ont toujours refusé d’instruire de telles demandes malgré la pression de la hiérarchie qui les savait illégales’’, relève-t-on dans un document envoyé à la presse à l’issue de la rencontre.

Mais depuis la dernière modification du Code des impôts, le ministre de l’Economie et des Finances Amadou Ba a décidé d’en faire bénéficier des entreprises qui, de surcroît, sont plus que solvables. A titre indicatif et sans les nommer explicitement, le syndicaliste révèle que Total, la société française leader dans la distribution des hydrocarbures, a bénéficié de 1,3 milliard de remise, le Groupe futur médias 1 milliard, ‘’une société d’assurance détenue par des capitaux exclusivement sénégalais’’ a elle aussi presque 1 milliard. La liste est loin d’être épuisée. Et pour toute explication, les agents affirment que le ministre déclare qu’il s’agit là d’entreprises qui participent à la politique économique de l’Etat, en lui prêtant de l’argent au besoin. Ce qui fait dire à M. Pouye qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un voleur qui prête de l’argent à sa victime.

Outre ce premier point, il y a la renonciation fiscale. ‘’Le 27 octobre 2014, l’Assemblée nationale a voté la loi de finances rectificative pour l’année 2014 qui a institué à son article 20 le prélèvement spécial sur le secteur des télécommunications (PST) applicable « à compter du 1er janvier 2014 ». Le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan s’est royalement arrogé le droit, dans une correspondance, de le faire appliquer à partir de décembre 2014. Soit, onze mois après. Le Trésor public a perdu 4 milliards au minimum’’, s’insurge le syndicat. Parmi ces 4 milliards, il y a les 3 milliards de la Sonatel, les 400 millions de Tigo et les 350 millions d’Expresso.

Au chapitre arbitrage également, le Sénégal perd beaucoup de milliards. L’arbitrage, c’est lorsque l’administration fiscale est en contentieux avec une personne physique ou morale. Il revient au ministre de trancher. C’est ainsi qu’en 2014, la Cbao, première banque du pays, a eu un contentieux avec les agents de la Dgid pour un redressement fiscal d’un montant de 13 milliards. Amadou Ba a préféré renoncer à cette somme pour ne demander à la banque marocaine que 2 milliards ; soit une perte de 11 milliards. Une mesure qu’il avait alors qualifiée de ‘’décision d’opportunité’’.

Les manœuvres avec les entreprises fraudeurs

‘’Plus récemment, le ministre de l’Economie et des Finances a consenti un abandon d’impôt sur le résultat au profit du Port Autonome de Dakar pour un montant de 8,5 milliards, alors que la même société a réalisé sur le même exercice un bénéfice avant impôt de 28 milliards’’. Conséquence, s’indigne-t-on, le Port s’est permis des dons et libéralités de l’ordre de près de 2 milliards.

La société Sabodala Gold, exploitant de l’or à Kédougou, a passé un accord transactionnel financier relatif à la Contribution spéciale sur les produits des mines et carrières. L’argentier de l’Etat a alors passé l’éponge sur 5,5 milliards. Pour appuyer leur position, les syndicalistes rappellent les propos du Premier ministre Mahammad Dionne qui, à l’occasion du lancement du rapport du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), disait ceci : ‘’Lorsqu’on s’intéresse aux types de paiement effectués par les compagnies minières, l’on est fort étonné de constater que l’essentiel des revenus sont générés par la Tva et les redressements.’’ Au finish, il s’agit là d’autant de pertes de recettes qui font dire à Elimane Pouye que le ministre qui chante partout ses 3 000 milliards de budget manque d’ambition, étant donné que les possibilités dépassent largement la somme tant vantée.

Pourtant, toutes ces pertes de recettes énumérées ne relèvent que des décisions formelles, selon le syndicat, c'est-à-dire qu’il y a des traces de documents qui attestent leur existence. Et comme pour montrer qu’ils ont des preuves de leurs allégations, les camarades de Pouye se disent prêts à publier au détail près la liste des entreprises et les montants, si jamais le ministère conteste. A côté de cela, il y a ce que le syndicat appelle ‘’les manœuvres’’ ou ‘’deals secrets entre les autorités de l’administration fiscale, sous l’onction du ministre de l’Economie et des Finances et des entreprises coupables de fraudes fiscales’’. Concrètement, explique le SG du Said, quand les agents découvrent de la fraude, les autorités s’arrogent le droit de négocier pour ramener tout à des francs symboliques. Et c’est ainsi que l’Etat renonce à des milliards que lui doivent de grandes entreprises de télécommunication, des banques, des sociétés d’assurance etc., ‘’sous le prétexte qu’elles lui prêtent de l’argent’’.

Si l’on sait que les recettes non fiscales ne contribuent qu’à moins de 5% du budget du Sénégal, l’on comprend alors l’ampleur de toutes ces pertes sur le plan économique et social. C’est pourquoi le Said a invité tous les syndicats et les forces vives de la nation à fédérer leurs forces autour de ce ‘’problème d’intérêt national’’. Un appel qui connaît un début de réponse favorable, puisque les syndicats d’enseignants, invités à la conférence de presse, se sont fait largement représenter, ainsi que le M23. 

BABACAR WILLANE

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