Publié le 5 Dec 2020 - 07:17
PR. OUSMANE NDIAYE, PSYCHOSOCIOLOGUE SUR LES CENTRES DE REDRESSEMENT

‘’Nous vivons dans une société semi-féodale’’

 

La crise éducationnelle que vit la société sénégalaise se matérialise par différents excès dont une a été récemment révélée à travers le démantèlement, la semaine dernière, de centres clandestins de rééducation par la gendarmerie. Le Psychosociologue Ousmane Ndiaye décrypte le phénomène.

 

Il y a un an, Serigne Cheikhouna Guèye et ses coaccusés étaient condamnés, par le tribunal de grande instance de Louga, à deux ans de prison avec sursis, suite à l’affaire des enfants talibés enchainés dans un ‘’daara’’ à Ndiagne, dans l’arrondissement de Coki. La gronde de ses collègues ‘’éducateurs’’ (le tribunal attaqué durant le procès) et la pression exercée par les religieux avaient conduit à ce verdict d’apaisement.

 Cependant, l’effet escompté n’a pas été obtenu. Car les sévices corporels qui avaient conduit à l’arrestation du marabout se perpétuent toujours dans les pratiques sociales. La preuve en a été donnée par l’arrestation, le weekend dernier, d’une quarantaine de personnes par la gendarmerie de Colobane, lors de descentes inopinées dans les ‘’daaras’’ de redressement supposés appartenir à Serigne Modou Kara.

Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’enfants enchainés à des poteaux. Bien qu’il y ait eu quelques mineurs signalés parmi les victimes, ce sont des hommes qui ont été privés de liberté, enfermés dans ce qui pourrait s’apparenter à des enclos et maltraités, selon des témoignages reçus par la gendarmerie. ‘’Dix-huit personnes ont été d’abord découvertes aux Mamelles, sous la garde de quatre geôliers, le 26 novembre. Le lendemain, à Guédiawaye, 213, dont sept mineurs, séquestrées dans un immeuble R+1 et entassées dans huit chambres, ont été libérées de ces lieux de détention.  Enfin, un transport effectué samedi sur deux autres sites situés à Malika et à la Zone B, a permis de découvrir respectivement 22 et 100 pensionnaires, dont une fille âgée de 17 ans’’, détaillait un communiqué des forces de l’ordre.

L’existence de tels établissements pose de nombreuses questions. ‘’Est-ce que l’Etat était informé et a laissé faire ? Ou sommes-nous dans un pays dans lequel, lorsque l’on appartient à une certaine catégorie de la société, on peut se permettre de faire tout et n’importe quoi ?’’, se demande le Pr. Ousmane Ndiaye.

Pour le psychosociologue, c’est la société sénégalaise qui vit une crise éducationnelle profonde : ‘’Nous vivons dans une société semi-féodale, structurée selon des règles où les individus obéissent plus à des leaders religieux ou à des notables locaux qu’à l’Etat. La pauvreté, voire la misère, l’analphabétisme caractérisent une très large partie de la population. Le caractère rural d’un nombre important de la population fait qu’ils ne connaissent ni leurs droits ni leurs devoirs.’’  

A cela s’ajoute le fait que ‘’le système d’éducation traditionnelle qui prévalait depuis des siècles dans notre société et qui fonctionnait sur la base de la soumission basée sur les coups, les injures, les menaces, etc., a forgé la personnalité et le comportement des Sénégalais pendant des siècles. Et nous n’avons malheureusement pas évolué, depuis les indépendances.’’

Dans son analyse, le spécialiste fait remarquer que parallèlement à cette situation, l’école s’est développée avec son apport en termes de connaissance, de comportement, de mode de vie, etc. ‘’Cela a créé une société très complexe. Malheureusement, l’Etat n’a pas pris conscience de cette situation spécifique qui met en échec sa propre politique éducationnelle’’, déplore-t-il.    

Cela explique, entre autres raisons, la persistance de ce modèle d’éducation basé sur la contrainte des récalcitrants. Car, dans le communiqué publié par les responsables des établissements mis en cause, il est précisé que ‘’les pensionnaires de ces centres (Daara Tarbiyah) y ont été envoyés par leurs propres parents, sur la base d'une décharge d'autorisation parentale signée’’. Ayant subi ce même système d’éducation, certains parents y trouvent une solution adaptée pour ‘’récupérer’’ leurs enfants qui ont emprunté des chemins tortueux.  

Seulement, détiennent-ils les bonnes informations sur les options qui s’offrent à eux ? Jusqu’ici, l’Etat, à travers la Direction de l’éducation surveillée, a la prérogative exclusive de prendre en charge des enfants délinquants ou en danger moral. ‘’Ces derniers peuvent être suivis dans des établissements fermés ou depuis leurs familles, par des éducateurs spécialisés qui encadrent et suivent des enfants confiés par le tribunal. Ces éducateurs ont reçu une formation qui leur donne les compétences nécessaires pour comprendre la personnalité de l’enfant et lui créer les conditions d’un nouveau départ. Leur premier départ a été raté par leurs parents’’, explique le Pr. Ndiaye.  

Mais ignorant les services de l’Etat et sous le poids des traditions, beaucoup préfèrent aller vers des centres clandestins dont les promoteurs ne connaissent peut-être pas les lois et réglementations. Et avec un personnel non formé dans la rééducation, cela explique ce qui a été observé par la gendarmerie dans les établissements mis en cause : une éducation par la maltraitance. S’il n’est pas exclu qu’il y ait des établissements privés de rééducation avec un personnel compétent et adapté, les centres identifiés dans cette pratique ne devraient pas exister sous leur forme actuelle.  

D’une manière générale, la coexistence de deux modèles éducatifs dans la société a entraîné celle-ci dans un tourbillon qu’elle ne maîtrise plus. Et tout cela se traduit, selon le spécialiste, par ‘’l’échec de notre système global d’éducation’’.

Pour y remédier, le Pr. Ousmane Ndiaye incite l’Etat à prendre ses responsabilités, en organisant ‘’des réflexions larges et profondes sur notre système d’éducation avec toutes les personnes compétentes pour que l’on redéfinisse et qu’on donne des outils aux parents de cette époque’’.

Lamine Diouf

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