Publié le 27 Apr 2022 - 23:18
RECRUDESCENCE DES CRIMES

La psychose s’installe à nouveau

 

En l’espace de quelques jours seulement, des crimes et tentatives de crimes, dont deux au moins sur des enfants, ont été notés dans différentes localités. Des experts en sécurité en appellent à l’adoption de réflexes de sécurité mais aussi à la proactivité des commissaires et autres commandants de brigades.

 

Comme à l’approche de chaque grande échéance électorale, la peur gagne du terrain sur l’étendue du territoire. Une série de crimes ou tentatives de crimes commis à différents endroits du pays fait craindre le pire. Souvent indexés par les populations pour leur manque de réactivité, des membres des forces de défense et de sécurité mettent en exergue la part de responsabilité de la société, tout en reconnaissant des insuffisances dans le dispositif de sécurité. ‘’D’abord, commente ce Commissaire de police, il faut savoir que l’écrasante majorité des crimes et autres infractions sont évitables, si les populations adoptaient certains reflexes de sécurité. Par exemple, pour rallier deux points, on a tendance à emprunter le chemin le plus court, les raccourcis, même s’ils sont moins sûrs, pour X raisons.’’ Or, fait-il remarquer, le réflexe de sécurité aurait poussé la personne à prendre par exemple le chemin le plus sûr, même s’il est plus long. ‘’Pourquoi prendre un chemin obscur, alors qu’il y a un chemin bien éclairé, plus fréquenté ? Voilà les genres de comportements qu’il faut aussi vulgariser pour aider les FDS à mener à bien leur mission.’’

Cela dit, la responsabilité des forces de défense et de sécurité ne saurait être éludée, selon nombre d’observateurs. Souvent, malgré les saisines par les victimes, ces dernières mettent du temps à prendre les dispositions idoines. Un manque de réactivité souvent déploré par les citoyens. Il en est ainsi dans l’affaire Bakary, victime d’un guet-apens au niveau de la forêt de Mbao. La trentaine, Bakary a échappé, il y a quelques jours, à ce qu’il présente comme une tentative d’assassinat. Son péché, c’est d’avoir juste voulu soulager une vie, qui se révélera pour lui un véritable poison. Pour ‘’remercier’’ son bienfaiteur qui venait de lui donner à manger pour apaiser sa faim et même lui permettre d’utiliser son téléphone pour appeler son marabout de complice, le gus n’a trouvé mieux que de lui tendre un guet-apens. Bakary explique au micro de Seneweb : ‘’J’allais à Rufisque pour travailler. Un homme m’a interpellé et m’a dit qu’il doit aller à Yoff voir son marabout, que sur le chemin il est resté deux jours sans manger. Il a aussi besoin d’appeler ce dernier pour l’orienter. En bon croyant, je lui ai offert 2000 FCFA pour acheter de quoi manger. Et je lui ai aussi permis d’appeler son marabout. Par la suite, comme il ne connait pas trop l’endroit, je l’ai orienté jusqu’à ce qu’il prenne la ligne 66. Je lui ai fait un signe d’adieu et je suis parti…’’

Il pensait en avoir fini avec son interlocuteur. Mais quelques instants plus tard, Bakary recevra un appel : celui du fameux marabout appelé plus tôt avec son téléphone. C’était pour des remerciements d’usages pour les beaux gestes accomplis envers son talibé. Le ‘’marabout’’ lui a également promis de le récompenser à la hauteur de son acte de bon samaritain. ‘’Je lui ai fait savoir que c’était juste un devoir en tant que musulman. Il a insisté dans ses remerciements et m’a demandé ce que je veux pour qu’il puisse prier pour moi. Je lui ai alors dit que mon rêve c’est de voyager. Il a dit qu’il va prier pour moi. Le lendemain, il m’a rappelé. Il est revenu sur le geste de la veille et a renouvelé son désir de m’aider à titre de récompense. C’est ainsi qu’il m’a recommandé de sortir comme aumône : deux œufs, trois papiers blancs et 8500 francs. Je devais lui apporter ça à Keur Massar’’, confie le jeune homme. Qui précise : ‘’Il m’a aussi demandé de n’informer personne de son déplacement.’’

Une consigne violée par la proie qui a pris le soin d’informer son épouse et un de ses amis. Une fois sur place, c’est la même personne qu’il avait assistée à Rufisque qui a été envoyé pour lui montrer le guider. Alors qu’il pensait se rendre au domicile du marabout, on le mène vers la forêt obscure de Mbao. ‘’A deux reprises, commençant à avoir des doutes, je l’ai interpellé pour lui demander où on va. A chaque fois, il a trouvé les mots pour me dire de lui faire confiance, que le marabout veut juste m’aider, pour le geste que j’ai fait à son endroit.’’ Arrivé à destination, dans un endroit obscur où il pouvait à peine voir, son hôte lui demande de prier. ‘’Là j’ai eu vraiment peur et j’ai trouvé bizarre qu’on me demande de prier à cet endroit. J’ai été d’autant plus interloqué que l’endroit qui m’a été indiqué comme le kibla n’était pas le kibla. Aussi, j’ai vu un sac, dont le contenu me paraissait bizarre. Je lui ai demandé ce qu’il y a dans le sac, il m’a dit qu’il ne sait pas, que je dois juste prier, conformément aux directives. Comme je refusais, il a appelé ses complices qui étaient dans les parages. Lesquels sont sortis avec des machettes. Je me suis enfui jusqu’au niveau de l’autoroute à péage. J’ai escaladé les barrières et un conducteur de moto m’a pris là-bas….’’

‘’Les gendarmes m’ont juste demandé d’être plus intelligent’’

Mais ce qui a le plus irrité les Sénégalais, c’est le comportement de la Gendarmerie qui, au lieu, d’ouvrir une enquête, a préféré envoyer la victime balader. Il raconte : ‘’Sur insistance de mes collègues, je me suis rendu à la LGI pour signaler ce qui m’est arrivé. On m’a alors conseillé d’aller à la Brigade de gendarmerie de Keur Massar. Sur place, les gendarmes m’ont juste demandé d’être plus intelligent : ‘Ici c’est Dakar, il faut être intelligent, sinon on risque de le payer cher’, m’ont-ils dit. Ils ont aussi ajouté que si j’avais accepté de prier, ils auraient pu me tuer.’’

Aussi a-t-il rebroussé chemin sans qu’aucun acte ne soit posé à sa connaissance. Que voulaient-ils ? Vont-ils continuer d’opérer sur les mêmes lieux ? Qu’y avait-il dans le fameux sac ? Est-ce des têtes d’êtres humains comme le pense fortement la victime ? On ne le saura peut-être jamais. Pour cet expert de la sécurité, ceci n’aurait jamais dû être la réaction de la Brigade. ‘’Ce n’est pas du tout normal, s’il est vrai que la Brigade s’est comportée ainsi. Des dispositions auraient dû être prises pour voir au moins ce qui s’est passé’’, souligne l’agent de sécurité.

Pourtant, ces lieux sont réputés assez criminogènes par les riverains. Comme d’autres artères de la capitale, sans que grand-chose ne soit fait pour essayer de mettre les délinquants hors d’état de nuire. Souvent, Grand-Yoff est donné en exemple. Sur l’axe Liberté 6-Patte d’oie, des crimes sont souvent commis au vu et au su de tous. Souvent, ce sont des gens du quartier. Selon l’agent de sécurité, dans ces genres de situation, il revient aux responsables du secteur de mettre en place des stratégies pour anéantir ce banditisme. Il insiste : ‘’Ce sont des problèmes de secteurs. Les commissariats et brigades qui sont sur place doivent agir pour que ça cesse. Parfois, ils ne peuvent pas ne pas être au courant. Ils doivent réajuster leurs dispositifs, pour prendre en charge ces problématiques. Ce sont les responsables de secteurs qui sont directement interpellés. Il faut avoir la maitrise de son secteur.’’

Pour lui, il y a des techniques pour une prise en charge efficace de ces phénomènes. La gestion de la sécurité, confie-t-il, c’est une question de stratégie. ‘’Quand on gère un secteur, il faut connaitre les zones criminogènes, les points les plus chauds... Et la main courante peut beaucoup aider en ce sens. On dit que c’est le miroir du service. Quand on regarde sur un mois la main courante, on fait les statistiques : le nombre d’agression, les quartiers, les heures de crimes, les proportions, on peut avoir une certaine idée claire des problèmes. Après avoir identifié les zones, il faut y multiplier la présence. Ainsi, on peut faire reculer la délinquance’’, analyse le spécialiste. Qui ajoute : ‘’En matière de sécurité, il faut faire la différence entre l’enquête réactive et l’enquête proactive. On dit que la 2e est la meilleure et la plus efficace. Il faut savoir détecter les modes opératoires des délinquants et anticiper sur les actes. Sinon, on est dans la réaction, et dans la réaction, on est souvent largué. Par exemple, quand tu as plusieurs affaires en même temps, tu ne peux toutes les suivre correctement. Donc la proactivité est vivement recommandée’’, souligne le Commissaire de police. Qui n’a pas manqué de mettre aussi en exergue le manque de moyens humains et matériels. ‘’Quand les gens peinent parfois à avoir du carburant ou que les véhicules sont constamment en panne, c’est difficile de se déployer par exemple à certaines heures.’’

Face à ces nombreuses insuffisances, le seul palliatif est la préparation des citoyens face aux reflexes de sécurité. ‘’Ce faisant, renseigne le Commissaire, on peut éviter beaucoup d’infractions. Il faut vraiment éduquer les gens par rapport à ces reflexes qui peuvent sauver des vies et des biens. La sécurité, ce n’est pas un monopole des FDS. Ce sont des actions, des comportements, des stratégies pour atteindre un certain nombre d’objectifs. Il faut donc travailler en parfaite intelligence avec les populations’’, analyse le commissaire. Il n’a pas manqué de donné un certain nombre de bonnes pratiques. Par exemple, en matière de voyage prendre les moyens les plus sûrs, mettre ses biens à l’abri quand on doit prendre les transports en commun… ‘’Au Sénégal, tu vois quelqu’un investir des milliards dans un supermarché par exemple et confier la garde à un agent payé à 40000 francs. Cela pose problème. Et puis, on aime se cacher. C’est peut-être culturel, mais ce sont des choses à bannir’’, explique le commissaire.

 La petite Anta Ndiaye étranglée et laissée pour morte

Alors qu’on n’avait pas fini de parler de cette affaire Bakary, d’autres délinquants se sont signalés à Bargny et ont commis un crime crapuleux sur une fillette de sept ans nommée Anta Ndiaye. Selon les témoignages de la famille, la petite fille jouait dans la rue avec ses amies, quand d’un coup, ils l’ont perdue de vue. Comme elle n’avait pas pour habitude d’aller loin, ses parents et voisins se sont alors lancés à sa recherche. Ils finiront par la retrouver dans une maison abandonnée, la bouche et le nez saignants. Des circonstances qui ont poussé le voisinage à penser à un viol, en attendant les résultats de l’autopsie. Ceux-ci ont finalement écarté le viol. D’après le document, Anta Ndiaye est décédée "à la suite d’une asphyxie mécanique par étranglement associé à des lésions de coups et blessures par objet contondant".

La veille de ce drame, il a été signalé au quartier Darou Salam de Thiès, une autre tentative d’assassinat sur un enfant de huit ans. Alors qu’il allait à la boutique, un homme l’a intercepté et lui a demandé de lui indiquer le domicile d’une fille. Par la suite, il a voulu l’entrainer dans une maison abandonnée. Flairant un sale coup, l’enfant a essayé de rebrousser chemin et a ainsi poussé le malfrat à faire usage de sa force. ‘’Il a sorti un couteau et lui a coupé la main. L’enfant a continué à crier, il l’a projeté sur le sol et a tenté de l’égorger. Ses cris stridents arrivaient au voisinage, mais on ne savait pas d’où venaient les cris. Finalement, l’enfant a pu s’échapper et a regagné sa famille le corps ensanglanté’’, rapportent les témoignages dans les vidéos devenues virales, où l’on voit les traces de couteaux à la gorge du chérubin. Il n’en fallut pas plus pour pousser les populations à ruer dans les brancards.

Par rapport à ces drames, le commissaire de police appelle les parents à se remettre en question. ‘’On ne peut pas laisser un enfant de sept ans sans surveillance. C’est vrai qu’il y a des problèmes réels en matière de prise en charge de la sécurité, mais les parents doivent aussi redoubler de vigilance. Là également, il faut développer les réflexes de sécurité. Quand on a un enfant qui sort, il faut savoir où il va, s’assurer que c’est un endroit sûr. Et c’est du ressort des parents’’, souligne le commissaire. 

Amadou Fall

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