Publié le 24 Aug 2017 - 20:19
RELATIONS HEURTEES ENTRE EXECUTIF ET JUDICIAIRE

La séparation des pouvoirs mise à rude épreuve

 

Un vent nouveau souffle dans la magistrature, depuis samedi dernier, avec la nomination de Souleymane Téliko à la tête de l’Union des magistrats sénégalais (UMS). Avec cette alternance, l’Exécutif a du pain sur la planche, dans la mesure où le successeur de Magatte Diop est décrit comme un ‘’rebelle’’, or les magistrats ne cessent de dénoncer une immixtion de l’Exécutif dans le judiciaire.

 

Si la séparation des pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire) est un principe sacro-saint prôné par la Constitution sénégalaise dans son préambule, dans la pratique, elle s’apparente plutôt à un vœu pieu. En attestent les récurrentes crises notées entre l’Exécutif et le Judiciaire. Jaloux de son indépendance, ce dernier a toujours dénoncé l’immixtion du premier. Ce qui fait qu’à chaque fois qu’un nouveau bureau de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) est élu, il en fait son cheval de bataille. Le bureau sortant n’a pas été en reste. Les justiciables ont dû assister, à un certain moment, à un duel entre les deux pouvoirs.

Les tensions sont apparues en février 2016, poussant les magistrats à adopter une résolution datée du 26 du même mois. Dans ce document, les signataires, le comité de ressort de Dakar et le Bureau exécutif national de l’UMS dénonçaient ‘’les immixtions intempestives du pouvoir Exécutif dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire’’. Ils fustigeaient également ‘’les sorties maladroites des pouvoirs publics à l’égard de décisions de justice rendues dont la dernière en date est celle de la Cour suprême dans l’affaire des élèves maîtres’’. Par la même occasion, l’UMS déplorait ‘’l’indifférence du ministre de la Justice, Garde des Sceaux à l’égard de la Magistrature’’, ainsi que leur non-implication dans l’organisation des assises de la justice annoncées pour le mois d’avril dernier.

Les nombreuses affectations de ‘’collègues sans justification objective dues au  dysfonctionnement’’ du Conseil supérieur de la magistrature et le retard entretenu dans l’adoption des textes régissant la magistrature nourrissaient également le courroux des juges. Ces complaintes des magistrats n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd, du moins, la question liée aux attaques. Car, lors d’une tournée effectuée quelques jours après à Tambacounda, le ministre de la Justice avait remis sa toge d’avocat pour défendre les magistrats. ‘’Nous constatons qu’à l’heure actuelle, des personnes de tout bord se mettent à attaquer le système judiciaire et les magistrats. Je dis non ! Il faut arrêter cela. Les magistrats méritent respect et considération, car ce sont eux qui assurent le fondement de la stabilité nationale, lorsqu’il y a des passions et différends entre les institutions’’, avait pesté Me Sidiki Kaba. Avec cette réaction du Garde des Sceaux, tout semblait rentrer en ordre.

Bataille pour le départ de l’Exécutif du Conseil supérieur de la magistrature

Mais voilà qu’au mois de juillet, les magistrats, confinés pourtant à l’obligation de réserve, en firent fi et sortirent de leur mutisme pour faire front contre l’Exécutif. Ils exigèrent le départ de ce dernier du Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, Magatte Diop et ses collègues ne souhaitaient plus que le CSM soit présidé par le Chef de l’Etat qui a pour adjoint le ministre de la Justice. Mais cette fois-ci, la complainte des magistrats n’a pas eu d’écho favorable au niveau de la tutelle. A l’occasion de la cérémonie de clôture de la huitième session de formation des acteurs de la justice en matière de criminalité organisée et du terrorisme tenu le 15, le Garde des Sceaux n’avait pas hésité à recadrer l’UMS. ‘’Le Sénégal a une Constitution, cette Constitution donne des prérogatives au président de la République de présider le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), c’est le président du CSM, c’est la Constitution sénégalaise qui le dit’’, avait tranché Me Sidiki Kaba. Puis la tempête sembla se dissiper.

Mais elle souffla de nouveau, après l’élaboration finale des textes relatifs au projet de loi organique portant Statut de la magistrature ; le projet de loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature et le projet de loi organique abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 relatif à la Cour suprême. Le 4 novembre 2016, l’UMS se fendit d’un nouveau communiqué pour dénoncer ‘’l’absence de concertation dans l’élaboration finale des textes’’. L’Exécutif campant dans sa position, les magistrats haussèrent le ton dans un autre document rendu public le 18 novembre. Cette fois-ci, c’était pour marquer leur totale désapprobation aux modifications apportées à l’article 65 du projet de loi organique portant Statut des magistrats consistant à allonger l’âge de la retraite de 65 à 68 ans exclusivement pour certains magistrats, en l’occurrence le Premier président, le Procureur général, les présidents de chambres de la Cour suprême, les Premiers Présidents et Procureurs Généraux près les Cours d’Appel.

Pour les magistrats, ‘’ces dites modifications créent une discrimination entre les membres d’une même corporation’’. Ainsi, le Ben ne s’était pas contenté d’un simple communiqué, mais en ‘’raison de la gravité de cette mesure et de ses implications’’, il avait convoqué une Assemblée générale extraordinaire, le samedi 26 novembre 2016. Lors de ladite assemblée générale tenue à huis clos, certains avaient prôné le dialogue, mais les radicaux préconisaient des stratégies de lutte. Comme le mouvement d’humeur observé en 2011 et qui avait consisté à renvoyer tous les dossiers inscrits au rôle, étant donné que la grève est interdite.

La démission de Ibrahima Hamidou Dème du CSM

Finalement à l’issue de la réunion, l’assemblée avait donné mandat au Ben de mener toutes actions appropriées, tant au plan interne qu’international, pour préserver l’indépendance de la magistrature. Malgré cette colère, le texte est finalement passé à l’Assemblée nationale. Comme si les relations évoluaient en dents de scie, une autre crise secoua à nouveau les deux pouvoirs, en février dernier, avec la démission de Ibrahima Hamidou Dème du CSM. Le substitut général avait, dans une lettre ouverte, expliqué les raisons de sa démission. Le ministre de la Justice fut dans tous ses états. Durant le vote du projet de loi portant création de l’Ordre national des experts du Sénégal (ONES), Me Sikidi Kaba n’avait pas hésité à charger et livrer le magistrat à ses pairs, car coupable, à ses yeux, de la violation du droit de réserve.

‘’On a mis sur la place publique des débats qui n’auraient pas dû l’être. Il faut qu’on sache quelle est la situation d’un magistrat, parce que des confusions ont été créées pour prendre des positions qui n’ont rien à voir avec les positions professionnelles des magistrats’’, pestait le ministre. Qui avait cité l’article 11 du statut des magistrats qui interdit à ces derniers de traiter, dans les médias, des sujets autres que ceux d’ordre professionnel et technique. Et d’ajouter avec verve : ‘’On peut régler les questions de la justice sans entrer dans l’arène médiatique. Il faut éviter une justice spectacle, sensationnelle et émotionnelle. Nous n’en avons pas besoin, car il y a un cadre approprié pour débattre de toutes les questions essentielles.’’

Le courriel de Téliko

Si pour le cas du parquetier Dème, la tutelle s’est limitée à condamner la démarche, avec le juge Souleymane Téliko, coupable d’avoir adressé un courriel daté du 22 mars 2017 à ses collègues mandants pour leur rendre compte de magistrats affectés après consultation à domicile du CSM, la menace d’une sanction disciplinaire a été brandie. L’actuel président de l’UMS avait même été convoqué devant la commission disciplinaire du CMS pour le 19 avril 2017. Une fois encore, l’UMS, qui parle d’une ‘’vaine tentative d’intimidation et de musellement d’un membre légitimement élu par ses collègues et qui n’a fait qu’exercer son mandat’’, est sorti de ses gonds. Promettant de mener ‘’toutes actions appropriées pour la sauvegarde des intérêts matériels, moraux et professionnels des magistrats’’. Elle n’en a pas eu besoin, car, le chef de l’Exécutif, président du CSM et président de la République, avait finalement annulé la convocation.

Autant dire qu’avec ces nombreuses tensions, la séparation des pouvoirs est mise à rude épreuve, puisque le Judiciaire a du mal à se défaire de la tutelle de l’Exécutif. Ce qui risque de faire perdre à la justice ainsi qu’à ses acteurs, surtout les magistrats, toute leur crédibilité. La nouvelle équipe dirigeante de l’UMS semble si bien le comprendre qu’elle a décidé de faire de la restauration de la crédibilité de la justice son principal cheval de bataille.

La conviction de Souleymane Téliko et de ses collègues est que l’UMS, ‘’dirigée avec vision et engagement, peut contribuer à restaurer la crédibilité du magistrat et de la justice’’. Pour y arriver, ils comptent œuvrer pour le renforcement de l’indépendance et de la crédibilité de la justice. A ce titre, le Ben considère qu’il est de la responsabilité de l’UMS d’œuvrer à renforcer les garanties statutaires de cette indépendance et à instaurer la transparence dans la gestion de la carrière des magistrats en promouvant ‘’le culte du mérite et de l’excellence’’. Ce qui constitue à leurs yeux, ‘’le meilleur moyen de favoriser la performance des juridictions et l’épanouissement professionnel des magistrats’’.

Tout un programme pour le magistrat Souleymane Téliko, qui s’est déjà distingué par ses prises de position sécessionnistes, et son équipe. Mais, avec le président Macky Sall et son ministre Sidiki Kaba, ils risquent de trouver à qui parler.   

FATOU SY  

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