Des demandes improbables

Derrière les déclarations d’intention du Gouvernement, se cachent de réels obstacles qui rendent difficile la matérialisation de la volonté de l’État de renégocier les contrats, en particulier dans le projet GTA.
Qu’est donc devenue la Commission nationale de renégociation des contrats ? Voilà bientôt un an que cette structure a été mise en place et placée sous la présidence de Monsieur El Hadj Ibrahima Diop, inspecteur des Impôts et Domaines à la retraite. Depuis lors, pas grand-chose ne fuite. Même accéder aux textes règlementaires qui régissent la Commission est quasi-impossible. Ce qui peut se présenter comme un vrai paradoxe pour un Gouvernement qui se veut chantre de la transparence. A plusieurs reprises en effet, EnQuête a interpellé les services compétents de la Primature pour accéder audit texte, mais en vain. “Nous allons vous revenir dès que le texte sera disponible”, répète-t-on sans cesse.
Ainsi, à date, on ne connait ni la composition, ni les missions, ni les prérogatives, encore moins les conditions dans lesquelles travaille cette Commission au coeur de la renégociation des contrats. Mais le plus curieux, confient certaines sources, c’est que malgré le bruit, la Commission n’a même pas entamé des discussions formelles avec les compagnies qui restent dans le plus grand flou. “Ce que je puis vous assurer c’est que la Commission ne mène aucune discussion directe avec les compagnies. Il peut y avoir peut-être quelques contacts avec le ministère ou Petrosen, mais la Commission, elle n’a pas saisi de manière formelle les compagnies”, renseignent certaines sources.
Après Woodside, l’État vers un bras de fer avec BP
Alors que les compagnies ne cessent de s’interroger sur leur devenir avec un État imprévisible, le Premier ministre a fait une nouvelle sortie qui ne va guère rassurer les investisseurs. S’adressant à ses militants, Ousmane Sonko leur a demandé de se remobiliser parce que son Gouvernement va vers des combats. L’un des grands combats qu’il a voulu donner en exemple c’est le combat de la renégociation des contrats, en particulier dans le domaine gazier. “Nous allons renégocier par force notre gaz”, affirme le Premier ministre. A l’entendre, les compagnies n’auront d’autre choix que d’accéder aux requêtes de son Gouvernement. “Ils sont obligés de nous donner ce que nous demandons. Pour le moment, on leur a écrit mais ils traînent les pieds. Nous allons à coups sûrs vers un bras de fer”, a-t-il poursuivi.
Selon Ousmane Sonko, il s’agit-là d’une promesse qu’ils entendent mettre en oeuvre… Cela va permettre, d’après lui, de faire rentrer beaucoup d'argent dans les caisses de l’État et de réduire de manière considérable les coûts de l'énergie au Sénégal. “Nous ne pouvons accepter que les multinationales nous imposent les contrats déjà signés pour refuser la renégociation. Ce sont des combats qui vont venir et nous comptons sur la mobilisation de la jeunesse et du peuple. On a besoin d'un peuple qui fasse bloc derrière son Gouvernement. Si on le fait avant la fin du mandat, vous allez voir les résultats”, indique le Premier ministre.
Ce que demande le Gouvernent
En fait, les nouvelles autorités veulent augmenter la quantité de gaz domestique. Elles en veulent bien plus que ce qui est prévu dans le cadre des contrats, quasi impossible selon certains spécialistes interpellés par EnQuête. A en croire ces interlocuteurs, le régime a fixé la barre bien trop haut. “Ce qu’elles demandent est énorme, alors que c’est un projet qui a coûté extrêmement cher à l’opérateur. Ce dernier a connu beaucoup de surcoûts, notamment à cause de la covid, de la guerre en Ukraine, les difficultés avec le FPSO, les installations sous marines…. Et comme pour ne rien arranger, la Douane est en train de leur réclamer beaucoup d’argent pour de présumées fraudes douanières….”
Sous Macky Sall, l’État avait déjà mis en place le projet gas to power avec le Réseau gazier du Sénégal (RGS). Un projet qui reposait essentiellement sur le champ Yaakaar Teranga dont une bonne partie devait être utilisée domestiquement. Malheureusement, ce projet a connu quelques difficultés avec le retrait de BP et l’absence d’un nouveau repreneur. Pour GTA, la part réservée au gaz domestique était très faible. Elle était fixée à 35 mmscf (millions de pieds cubes stands) par jour sur une production journalière estimée en moyenne à environ 356 mmscf (2,5 millions de tonnes par an). Tout le reste, selon les explications des spécialistes, est dédié à l’export. “Avec cette quantité (35 mmscf), vous pouvez alimenter une centrale à gaz de 250 à 300 mw”, renseigne un de nos interlocuteurs.
Les menaces sur le projet gas to power
C’est donc le projet gas to power qui est sérieusement menacé avec les difficultés de développement de Yaakaar Teranga. Le Gouvernement veut-il alors se tourner vers GTA pour sauver le projet ? Selon certaines confidences, le nouveau régime exigerait en tout cas 300 mmscf dans le cadre des renégociations, soit presque 10 fois plus que ce qui est dans le contrat initial. Il est peu probable que BP accède à une telle revendication, estiment nos sources, car selon eux, le projet peut difficilement le supporter.
“Le modèle GTA reposait essentiellement sur l’exportation, pas sur l’alimentation du marché domestique. Ils ont fait des investissements lourds en fonction de ce business modèle. Si ce n’était que pour faire du gaz domestique, ils n’auraient pas eu besoin de liquéfier le gaz, de construire ce FLNG…”, renchérissent nos sources qui signalent que la première phase du projet peut difficilement être rentable pour les compagnies.
“La situation est déjà assez carabinée pour BP…”
La situation, selon elles, est déjà assez carabinée pour l’entreprise britannique. “Entre ce que veut le Gouvernement et ce que le projet peut permettre en ce moment, je ne pense pas qu’ils puissent trouver un accord dans ces conditions. Ce qui fait que les relations sont assez tendues il faut le reconnaitre”, précisent nos sources.
C’est dans ce contexte que des rumeurs commencent à courir et font état d’une volonté de BP de vendre ses actions. Nos sources sont perplexes par rapport à cette information. “J’avoue que je n’ai aucune information sur une volonté de se retirer. De toute façon, ils peuvent difficilement trouver repreneurs dans ces conditions, car il est peu probable de gagner de l’argent dans la première phase du projet”, réagissent les experts.
Nous avons sollicité la compagnie britannique pour apporter des éclairages mais ses services n’ont pas réagi à nos sollicitations.
PAR MOR AMAR