Publié le 30 Oct 2023 - 13:31
SAINT-LOUIS - CHAVIREMENT PIROGUE REMPLIE DE MIGRANTS

Gandiole ramasse ses cadavres

 

Durant le week-end, la marine nationale n'a pas chômé sur les côtes de Saint-Louis. En quarante-huit heures, les éléments de la base navale de la zone Nord ont intercepté trois embarcations remplies de migrants clandestins tentant de regagner l'Europe, au moment où la grande contrée du Gandiolais pleure ses enfants et ramasse ses cadavres rejetés par la mer.  

 

Dans la nuit du mercredi dernier, une embarcation remplie de migrants s'est renversée à la brèche de Saint-Louis, à hauteur du village de Pilote-Barre dans la commune de Ndiébène-Gandiol. Un accident qui avait occasionné un mort et des portés disparus parmi les jeunes candidats à l’émigration clandestine. 

Entre-temps, le bilan des morts s’est nettement alourdi. En moins de soixante-douze heures, cinq corps, dont ceux de trois jeunes filles, toutes originaires de la zone, ont été ramassés sur la plage de Gandiole par les sapeurs-pompiers et déposés à la morgue de l'hôpital régional de Saint-Louis.

D'ailleurs depuis hier, les recherches sont arrêtées sur les lieux. Selon les services de secours, il n'y a plus d'espoir de retrouver de survivants, parce qu'aucun des passagers clandestins ne portait un gilet de sauvetage pour tenir aussi longtemps.  

Après le chavirement de la pirogue, les rescapés du naufrage et leurs familles avaient choisi de garder le silence, de peur d'être cueillis par la gendarmerie pour les besoins de l'enquête. Mais après ce temps de silence radio, les langues commencent à se délier dans le Gandiolais. Des parents qui sont restés des jours sans voir leurs enfants ou avoir de leurs nouvelles élèvent la voix et alertent.

Le vieux Magatte Ka : ‘’Je suis profondément choqué…’’

C'est le cas du vieux Magatte Ka qui s'inquiète de l'absence prolongée de ses deux enfants. ‘’Je suis profondément choqué. C'est un des rescapés qui m'a informé que mes deux fils étaient avec lui dans la pirogue. Malheureusement, depuis mercredi, nous n'avons aucune nouvelle d'eux. Sont-ils morts noyés ? Leurs corps ont-ils dérivé vers d'autres plages ? En tout cas, nous ne savons rien d'eux, depuis lors", se désole le vieillard.

Très bouleversé par la triste situation, le patriarche de la famille Ka déclare qu’il ignorait tout du voyage clandestin de ses enfants. "Dieu m'est témoin, ils ne m'ont jamais informé de leur projet d'émigrer clandestinement en Espagne. Ils ont caché leur voyage à toute la famille.  Même si les temps sont durs au Sénégal, rien ne vaut la vie humaine. Il faut que notre jeunesse se ressaisisse. Gandiole a énormément perdu de jeunes dans la mer. Toutes les familles de la commune sont endeuillées par l'émigration irrégulière. S’ils sont morts, c'est l'espoir de toute une famille qui est ruiné", déclare le vieux Ka au bord des larmes. 

Au village de Tassinère, des familles sont également endeuillées. Deux des jeunes filles mortes lors du naufrage sont originaires de cette localité. "Elles ont été influencées par leurs amies qui leur envoient de l'Europe souvent des photos et des vidéos. Pratiquement tous les jeunes ont l'esprit tourné vers l'Europe. Mais ceci ne doit nullement être un prétexte pour affronter les vagues de l'océan. Maintenant, voilà le résultat, des jeunes dont l'une était en classe de première ont bêtement perdu leur vie et plongé leurs familles dans une grande tristesse. Les passeurs et les capitaines doivent être retrouvés et bien châtiés par la justice. Malgré les nombreuses pertes en vies humaines, d'autres jeunes hommes et femmes confondus sont prêts à aller à l'assaut de la mer. C'est vraiment dommage. C'est pourquoi nous invitons les autorités à sévir et à renforcer les dispositifs sécuritaires", lance Abou Dièye, voisin des familles des victimes.

Vaste coup de filet de la marine nationale

Il faut souligner que ni ce récent naufrage ni tous les autres avant ne découragent les candidats. En 48 heures, les marins de la base navale de la zone Nord ont intercepté et arraisonné trois embarcations remplies de candidats à l'émigration clandestine au large de Saint-Louis. Près de 400 clandestins sous bonne escorte de la marine ont été débarqués au port polonais de l'Hydrobase. Des sources sécuritaires révèlent que l'une des pirogues, qui avait à bord 141 passagers, est partie de la Gambie depuis une semaine. Mais pour des raisons de pannes techniques, elle a accosté près de plusieurs villes côtières avant d’être interceptée dans la nuit du samedi au dimanche par la marine nationale.

D'ailleurs, dans cette embarcation, il a été dénombré une trentaine de blessés par arme blanche et des passagers mal-en-point. Ils ont été acheminés aux urgences de l'hôpital régional. À en croire des blessés rencontrés à l'hôpital, après cinq jours de navigation, des heurts ont éclaté entre passagers dans la pirogue. Lèvres enflées et une blessure à la tête, habits trempés, pieds nus, A. Diallo, raconte le calvaire qu’ils ont vécu en mer. "C'est ma deuxième tentative d'émigration irrégulière. Mais celle-là a été un enfer. Nous avons connu beaucoup de problèmes à l'intérieur de la pirogue. Les passagers avaient des comportements très bizarres. Les gens étaient devenus subitement très violents. Pour un oui ou un non, c'était la bataille rangée. Vous avez constaté, j’ai reçu un coup de coupe-coupe à la tête au cours d'une altercation en pleine mer, alors que j'étais assis sagement dans mon coin. Je me demande comment et pourquoi des coupe-coupe ont été embarqués dans la pirogue ? Nous sommes 28 à être blessés par arme blanche et il y a d'autres qui ont eu des ennuis de santé mentale. On ne pouvait pas arriver à destination dans cette atmosphère. Mais Dieu merci, personne n'est mort en cours de route. La marine a débarqué tout le monde sur la terre ferme", confie A. Diallo, originaire de la région de Kolda. 

Il faut signaler que la gendarmerie a ouvert une enquête pour traquer les convoyeurs et que la majeure partie des clandestins arrêtés a été libérée après audition.

IBRAHIMA BOCAR SENE SAINT-LOUIS 

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