Publié le 29 Jun 2016 - 00:07
SECURITE PRIVEE AU SENEGAL

Le business de la peur

 

Les attaques terroristes intervenues récemment dans la sous-région ont boosté, au Sénégal, la demande en matière de sécurité privée. Au niveau des sociétés, cette sécurité privée est devenue un business lucratif qui se développe au détriment des agents et dans la pagaille.

 

Avec la menace terroriste et les récentes attaques terroristes chez nos voisins ivoiriens et maliens, la demande en sécurité privée a explosé au Sénégal. Dans divers endroits de la capitale, la présence des agents des sociétés de sécurité privée se fait davantage ressentir. De plus en plus d’entreprises font appel à leur service. Une sollicitation qui fait, sans aucun doute, leurs affaires. C’est la période des vaches grasses dans ce secteur !

Entre le souci de protéger les biens et les personnes et la crainte devenue récurrente d’attaques terroristes, les sociétés de sécurité privée sont devenues très sollicitées. Tout comme le matériel de sécurité. « La présence des agents de sécurité dans les hôtels ne passe pas inaperçue. Ils ont de nouvelles recrues qui sont très costauds », fait remarquer Jérôme Sagne sur un ton taquin. « Je me suis rendu au Terrou bi pour un rendez-vous, mais, ma voiture n’a pas échappé à leur contrôle », constate-t-il.

En effet, à côté des vigiles que les populations ont l’habitude de voir, des hommes en costume ont fait leur apparition. Ces gros bras en costumes foncés et en lunettes de soleil, rappelant le film « Men in Black », se chargent de ces autres mesures sécuritaires que l’Etat ne peut pas prendre dans les établissements privés. Ils sont chargés de tout passer au peigne fin. Personnes et voitures. De Dakar à Mbour, en passant par Saly, ils sont présents, à côté des vigiles.

Travaillant dans un hôtel de la place, Seydou avoue qu’il a été recruté, il y a de cela quelques mois, lorsqu’on a commencé à parler de menaces terroristes. Il se réjouit : « Ce n’est pas fameux mais on gagne mieux qu’avec les agences. J’ai été engagé à titre personnel pour faire ce travail. » Lorsqu’on insiste sur le montant de son salaire, il se braque, se ressaisit puis lance furtivement : « En tout cas, je ne gagne pas plus de 100 000 F Cfa. Et c’est de loin supérieur à ce que gagnent, en moyenne, les vigiles. » Est-ce un privilège qu’ils ont à cause de leur accoutrement élégant ? Il pouffe de rire et lance : « Vous savez, ces costumes nous sont le plus souvent offerts. »

Les attaques dans la sous-région boostent la sécurité privée au Sénégal.

Vêtus comme ils le sont et corpulents comme ils peuvent l’être, ce genre d’hommes de sécurité étaient plutôt aperçus, en de rares occasions, auprès d’hommes puissants. A présent, les « terroristes » ont fait bouger leurs activités. Tout risque mis à part, la situation leur est profitable. « Quand on décide de faire de la garde rapprochée, ce n’est pas toujours évident d’être permanent. On fait des prestations mais les cachets que l’on reçoit ne règlent pas grand-chose », argue Ousmane Bèye. L’agent de sécurité, officiant à Saly, se dit fier de la profession qu’il a choisie.

Toutefois, il dénonce le manque de considération : « Agent de sécurité, c’est un métier. Cependant, on ne nous respecte pas. Maintenant que la peur plane sur le pays, on fait appel à nous, à nos agences. » Sa chemise contenant difficilement sa poitrine, le musculeux agent qu’on appelle « Ouz » fait comprendre, à l’instar de ses collègues, qu’il n’est pas entré par hasard, dans le secteur de la sécurité privée. « C’est une passion qu’on a nourrie, avant d’être formé à pouvoir assurer la sécurité des personnes. » Malheureusement, regrette-t-il : « Nous sommes les poules aux œufs d’or des agences qui s’enrichissent à travers notre travail. Pendant ce temps, nous vivons dans la précarité. »

Au Sénégal, le secteur de la sécurité privée compte plusieurs milliers de travailleurs. Un nombre qui ne cesse de croître, puisque les sociétés privées de sécurité foisonnent. D’anciens militaires libérés y sont recyclés. Des jeunes, convaincus d’avoir été formés à bonne école, sont engagés. Des emplois sont créés. Toutefois, la précarité reste de mise. «Cette dévalorisation de ces activités est essentiellement due  au manque de considération des employeurs envers leurs employés, au manque de formation de qualité, au manque d’application des textes qui régissent le secteur et surtout, à l’absence de  contrôle de l’Etat qui gagnerait à s’impliquer davantage dans ce secteur où tout est à faire », estime Jean Léopold Guèye du Syndicat national des convoyeurs de fonds et agents de sécurité.  Ainsi, M. Guèye confirme les propos d’agents qui préfèrent parler sous le couvert de l’anonymat. « Ils sont confrontés à un manque de considération qui commence par leurs propres patrons,  avec des salaires trop bas», souligne-t-il.

Des agents frustrés                                 

Il faut souligner, toutefois, que certains agents réussissent à tirer leur épingle du lot. Ils parviennent à gagner honorablement leur vie. Le garde du corps d’un député soutient anonymement gagner mensuellement 175 000 F Cfa. Toutefois, il n’a aucune prise en charge. Certaines agences ont réussi à étendre leurs activités dans la sous-région ; d’autres bénéficient d’une solide réputation. Elles offrent des conditions plus ou moins acceptables à leurs agents. Dans l’ensemble, les agents de sécurité, malgré toutes les responsabilités de sûreté et de sécurité des biens et des personnes qu’ils doivent assurer, n’ont aucune protection.

 « C’est inimaginable la précarité de nos conditions de travail. Les agences peuvent parfois demander jusqu’à 300 000 F Cfa par tête aux entreprises et autres structures dans lesquelles nous sommes affectés. Pourtant, rares sont ceux qui perçoivent plus de 75 000 F Cfa. Il y en a même qui ont 50 000 F Cfa à la fin du mois et ce sont des pères de famille », révèle cet autre vigile. La sécurité étant devenue aujourd’hui un véritable business, il est d’avis que les agents devraient aussi en bénéficier. Ce qui, constate-t-il, n’est malheureusement pas le cas.

Entre la prolifération des agences et l’essor que connaît la sécurité privée au Sénégal, les écoles de formation et autres formateurs se signalent de part et d’autre. Entre les maîtres des arts martiaux, les anciens militaires et ex-agents de sécurité, la formation des nouvelles recrues est aussi devenue un gagne-pain. Cependant, n’est pas professionnel de la sécurité privée qui veut. Et n’est pas formateur qui s’en sent capable.

De la pagaille dans le secteur !                                   

Dans le secteur, Cheikh Ahmadou Bamba Faye, propriétaire de la Maison des Gardes du corps (MGC), est une voix autorisée. Il a travaillé pour de nombreuses célébrités du pays. Et son jugement est sans appel : il y a de la pagaille dans le secteur. Chef de la sécurité de Cheikh Béthio Thioune « depuis 1997 », Monsieur Faye a travaillé pour Cheikh Amar « pendant 5 ans ». Il a aussi assuré la sécurité d’événements d’artistes jusqu’à l’étranger. De son point de vue, « des jeunes sont abusés par des personnes qui se disent formateurs et qui vont même parfois jusqu’à leur faire croire qu’ils peuvent être assimilés à des éléments du GIGN». Insistant sur la formation des agents, il soutient : « Ils en ont besoin parce qu’ils ont besoin de connaître leurs limites, de comprendre la nécessité de se former. Ce n’est pas parce qu’on est ceinture noire que l’on peut être agent de sécurité. Et il faut aussi qu’on arrête d’être le fonds de commerce des autres. »

Selon le boss de MGC, la profession d’agent de sécurité privée est très prisée et les acteurs doivent en prendre conscience. « C’est à nous de forcer le respect. Mais, en nous formant d’abord et en étant professionnels. C’est primordial. C’est une profession émergente. Donc, il faut être curieux », il souligne, non sans préciser : « Moi, personne n’ose payer certaines sommes à mes éléments. Personnellement, je facture à l’heure et au kilomètre, mais aussi en fonction de l’événement, quand il s’agit de prestation à titre individuel. Nous sommes exposés. On ne doit pas accepter d’être exploités ou utilisés dans des querelles politiques. Ce n’est pas notre travail », conclut-il.

A.T

 

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