‘’1 800 professeurs recrutés en 2021 n’ont aucune formation jusqu’à présent’’
Secrétaire national aux revendications du Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire du Sénégal (SAEMSS), Tamsir Bakhoum est revenu en détail sur le recrutement polémique spécial des 5 000 enseignants.
En tant qu'acteurs de l'éducation, est-ce que l'État vous a consulté avant de procéder au recrutement ?
En 2021, l'État du Sénégal avait recruté 5 000 enseignants par voie de recrutement spécial. Ces derniers étaient répartis entre le préscolaire, l'élémentaire et le moyen secondaire. Parmi eux, il y avait des enseignants qui avaient déjà eu la formation professionnelle avec les diplômes professionnels et d'autres qui ne l'avaient pas. En tant qu'acteurs, syndicalistes, nous avions à l'époque demandé au gouvernement de tout faire pour qu'il y ait véritablement une transparence dans la sélection des dossiers et que ceux qui avaient déjà le diplôme professionnel puissent être prioritaires dans le recrutement. Il faut quand même reconnaitre que tous ces gens qui avaient le diplôme professionnel, qui avaient déposé par voie normale, avaient été recrutés en priorité.
Maintenant, il restait, pour le moyen secondaire, 1 800 professeurs qui n'avaient pas de formation. Depuis lors, ces derniers n’ont aucune formation. Au mois d'août, il leur a été demandé d'aller à la Fastef pour s'inscrire pour la formation. Mais nous sommes au regret de constater que la formation n'a pas encore démarré, jusqu'au moment où nous parlons. En tant qu'acteurs, collaborateurs, mais aussi partenaires sociaux, ce que nous demandons, c'est que cette formation puisse démarrer et que ces enseignants puissent avoir leur diplôme professionnel et être intégrés dans la Fonction publique, mais également pour qu'ils puissent avoir la pédagogie qui va leur permettre de mieux se tenir dans les classes.
Ne pensez-vous pas que vous devez réagir pour stopper ces recrutements qui pourraient détruire le système éducatif ?
Vous savez, c'est l'État, à travers le président de la République, qui définit la politique de la nation et qui confie les responsabilités à des ministres de façon sectorielle par la voie d'un décret. Pour le secteur de l’éducation qui nous concerne, nous n’avons pas la prérogative de dire qu'il faut ou qu’il ne faut pas stopper le recrutement spécial des enseignants. Ce qui est important de dire aujourd'hui dans le système éducatif sénégalais, c’est que nous avons un manque de plus de 40 000 enseignants, du préscolaire au moyen secondaire. C’est un gap crucial qu'il faudra combler pour que véritablement les enseignements-apprentissages puissent se dérouler correctement. C'est la raison pour laquelle nous, nous estimons qu’il était préférable de lancer par voie de concours comme la Fastef, l'UFR SEF de Saint-Louis, le Sineps de Thiès... Il y a beaucoup de structures de formation qui sont là, et l'État pouvait faire un appel à candidatures à travers ces structures de formation pour que les jeunes Sénégalais, qui sont aptes à recevoir la formation et aller dans l'enseignement, puissent être formés dans un délai raisonnable et aller s'engager dans le système éducatif pour pouvoir donner des enseignements-apprentissages de qualité.
Mais si l'État pense que les postes budgétaires ne lui permettent pas de former de jeunes Sénégalais, parce que c’est cher et pense pouvoir faire un recrutement spécial, nous ne pouvons que leur demander que cela ne se fasse pas sur une base politique. C'est-à-dire, il faut qu'il puisse, de façon transparente, voir les jeunes Sénégalais les plus méritants pour les recruter, mais aussi que ces jeunes puissent avoir une formation initiale au moins de quelques jours afin d’avoir un encadrement, une formation minimale pour pouvoir aller en classe et se tenir en attendant d'avoir la vraie formation qui leur permettra d'avoir leur diplôme professionnel.
De ce point de vue, quelque part, on ne peut pas dire à l'État de ne pas recruter des enseignants. Mais pour la bonne marche du système éducatif, pour la qualité des enseignants, des enseignements-apprentissages, en tant que partenaires sociaux, nous avons un devoir de dire à l'État du Sénégal, il serait mieux de tenir ce recrutement à travers des critères bien définis, qui seront normés, afin de donner la chance aux jeunes Sénégalais diplômés, les plus méritants, mais sans se baser sur ce qu'on appelle la clientèle politique.
Ne pensez-vous pas que recruter des personnes qui n'ont pas de pédagogie peut desservir les apprenants ?
On a l'habitude de dire que l'expérience est la meilleure pédagogie pour un enseignant. C'est-à-dire, plus vous gagnez une année dans l'enseignement, plus vous gagnez en pédagogie.
Donc, ce n'est pas parce que j'ai acquis une certaine formation au niveau de la Fastef que j'ai de la pédagogie. Non ! Ce qui est important pour nous, c'est qu'il faut former les enseignants, parce que la formation leur donne les techniques. Ce n'est pas la pédagogie seulement, mais ça leur donne les techniques cognitives comme psycho cognitive. Cela leur permet d'avoir les compétences, les outils didactiques et pédagogiques qui leur permettent de tenir une classe et d’être de bons enseignants. Il y a des gens qui sont sans aucune formation et qui peuvent avoir de la pédagogie et c'est tout à fait normal. Il y a aussi des gens qui peuvent être formés et qui n'ont pas de pédagogie. Ce qui est important est que la formation permet à l'enseignant de connaître les techniques du système, de l'éducation. Et donc, de ce point de vue, de savoir comment tenir une classe, comment fonctionnent les enseignements-apprentissages, comment préparer les cours, comment corriger les devoirs, comment faire les séances d'imprégnation... Il y a énormément de choses qu'il faut apprendre et tout cela s'acquiert dans le temps. Le problème, c’est donc moins qu’untel n’a pas de formation, mais de tout faire pour qu’il y ait des critères objectifs, qu’il n’y ait pas de sélections basées sur la politique politicienne.
FATIMA ZAHRA DIALLO (STAGIAIRE)